David Bradby

David Bradby

rachelandersonanddavidbradby.jpg David Bradby  est mort ce mois-ci. Né en 1942, il avait consacré toute sa vie à l’étude du théâtre français contemporain et  beaucoup œuvré  pour le faire connaître  en Grande-Bretagne.  Comme  beaucoup d’entre nous, il a mené en parallèle un travail de professeur, de critique  et  d’ historien du théâtre.  Professeur à l’université de Canterbury, il y avait fondé le département théâtre en 1970, puis dans les années 1980, il a enseigné à Caen ,invité par Robert Abirached,  et, de 1988 à 2007, a  été directeur du département théâtre à Royal Holloway, à l’université de Londres.
Il connaissait très  bien l’œuvre de Vinaver et de Koltès,  qu’il a traduite en anglais. Et  il était  resté fidèle à sa passion de jeunesse : Adamov , auquel il avait consacré sa thèse, puis de nombreuses études, notamment  une introduction à son  théâtre radiophonique dans un numéro spécial de La nouvelle critique   (1973); il   avait organisé plusieurs colloques Adamov et  était impatient de découvrir  Les retrouvailles  que va bientôt mettre en scène Gabriel Garran. Critique, il rendait compte  de l’actualité du  théâtre français dans le Times .  Historien du théâtre,  il a publié une étude  minutieuse sur le Théâtre et la guerre d‘Algérie : « Images  de la guerre d’Algérie sur la scène française », dans  Théâtre/public », n° 123 (mai-juin 1995).  Parmi  ses ouvrages : People’s theatre  (avec John Mc Cormick) : sur le théâtre populaire en Europe depuis 100 ans (Ed Croom Helm, 1978).  Director’s Theatre  (avec David Williams) (Ed Macmillan, 1988). « Le théâtre français 1940-1980″ (Presses universitaires de Lille, 1990). The theatre of Michel Vinaver   1993. Mise en scène  French theatre now  (avec Annie Sparks) (Methuen drama, 1997). Enfin  le point d’orgue  de sa vie :  Le théâtre en France de 1968 à 2000 , en collaboration avec Annabel Poincheval;  Honoré Champion ,  2007. 752 pages.
Il était marié à la romancière Rachel Anderson, auteur  notamment  de  L’orphelin de guerre -hélas, non  traduit en  français – qui raconte l’histoire d’un enfant vietnamien dont les parents ont été tués par l’armée américaine, et placé dans un orphelinat.  Roman  inspiré de la vie  de Chang, que Rachel et David avaient  adopté. Depuis quarante ans, David Bradby  faisait le pont entre le théâtre français et les Iles britanniques. Il y était  notre propagandiste, et ici,  il nous faisait bénéficier de sa passion, de sa compétence, de son « regard éloigné »  si bienveillant, si précieux…

René Gaudy


Archive pour 30 janvier, 2011

La Critique de l’Ecole des femmes

La Critique de l’Ecole des femmes de Molière , mise en scène de Clément Hervieu-Léger.

 gprcritiqueecoledesfemmes1011.jpgL’Ecole des Femmes vient de connaître en 1662 un immense succès dans le petit Paris de l’époque qui est quand même la capitale de la royauté et de l’art dramatique français, même si ses chers collègues reprochent  à Molière d’avoir écrit cette longue pièce en en cinq actes et en vers, sans guère respecter les règles classiques. et de plus,  faute impardonnable, de traiter le thème du mari trompé avec désinvolture, ce qui ne plaît guère aux esprits chagrins de son temps. Y compris à des auteurs réputés comme les deux frères Thomas et Pierre Corneille.

En 1663, Molière reprend L‘Ecole des femmes et la fait suivre de cette Critique où il répond à ses détracteurs.  Quelques personnages se retrouvent chez Uranie et  discutent entre eux en reprenant les arguments pour et contre la pièce; chose absolument nouvelle à l’époque  que cette  mise en abyme, puisque cette petite comédie d’un heure a pour seul thème une autre pièce de théâtre jouée un an à peine auparavant… Comme le souligne, à juste raison, Clément Hervieu-Léger: si Molière l’avait voulu, il aurait pu répondre aux critiques par une préface ou par n’importe quelle forme d’ écrit, mais il choisit de le faire sous la forme d’une comédie qui,  dit-il :  » est révélatrice de la puissance qu’il accorde à l’écriture dramatique ». Effectivement bien vu: on assiste à une discussion en temps réel, où il n’y a pas de grands discours et où la diction, pour être soignée, reste celle de la conversation et n’a rien d’emphatique, où les personnages ne forcent jamais le ton, comme Molière le recommandait à ses comédiens.

Dans la mise en scène de Clément Hervieu-Léger, tout sonne juste; les personnages ont des costumes contemporains,  cela se passe dans une sorte de remise comme il existe dans tous les théâtres qui peuvent à l’occasion servir de salle de travail, même si c’est un peu encombré de toiles peintes roulées et de meubles qui ont déjà servi pour une autre  mise en scène. Il y a là, deux jeunes cousines: Uranie (Clotilde de Bayser) et Elise (Georgia Scalliet) et sans doute un peu plus âgée, plus mûre aussi, Climène (Elsa Lepoivre),  un jeune homme, Dorante (Loïc Corbery) mais aussi un marquis, assez infatué de lui-même (Serge Baldassarian) qui n’aime pas la pièce, alors que Dorante lui trouve de belles qualités, puisqu’il défend la peinture des hommes d’après nature et lance la fameuse réplique: « C’est une étrange entreprise que celle de faire rire les honnêtes gens ». Et il y a aussi  l’auteur, un certain Lysidas, visiblement en retard et pressé de repartir lire sa pièce ailleurs, impayable caricature d’un auteur contemporain aux grosses lunettes et un peu égaré en K way bleu, sa brochure sous le bras, (formidable Christian Hecq qui commence à faire rire le public à peine entré en scène!). Et enfin Galopin (Jérémy Lopez), un valet qui serait maintenant un tout jeune régisseur de plateau…

Théâtre dans le théâtre: Uranie  sent aussitôt « qu’il se passe des choses plaisantes dans notre dispute » puisqu’elle trouve « qu’on pourrait bien faire une petite comédie, et que « ce ne serait pas trop mal à la queue de L’Ecole des femmes« . Et Climène souhaiterait « que cela se fît, pourvu qu’on traitât l’affaire comme elle s’est passée ». Clément-Hervieu a sans doute eu raison d’ajouter quelques citations de L’Ecole des femmes dont le texte n’est pas forcément connu de tous les spectateurs.

Il y avait encore parfois des baisses de rythme à la première mais cela devrait se roder. Cette courte pièce reste d’une incroyable modernité, alors qu’elle est historiquement bien ancrée dans son siècle.  Molière ne résiste pas à l’occasion de tisser des relations entre chacun des personnages, et on a a vraiment l’impression que l’on a affaire à des gens qui se connaissent bien: c’est nouveau, éblouissant d’intelligence et de virtuosité.Et il y a aussi, malgré le bruit régulier du métro, le plaisir que l’on a d’entendre cette langue magnifique qui est encore la nôtre, n’en déplaise aux gens bornés qui n’apprécieraient pas plus La Critique de l’Ecole des femmes que La Princesse de Clèves… Suivez mon regard, comme disait le philosophe Olivier Revault d’Allonnes.

La pièce est peu jouée mais, si vous avez une heure à employer, vous verrez qu’elle n’a rien d’insignifiant. Et qu’ici elle est très bien dirigée et bien mise en scène et qu’elle vaut largement un épisode de ces séries télévisuelles dont on nous rebat les oreilles et où les comédiens surjouent leurs personnages  en disant des phrases d’une platitude exemplaire. Les jeunes gens qui étaient ce soir-là dans la salle semblaient en tout cas apprécier que l’on ne les prenne pas pour des demeurés, même si le texte a plus de trois siècles. Comme dirait Christine Friedel, l’une et non des non moindres critiques du Théâtre du Blog, cela vaut le détour…

 Philippe du Vignal

 Studio de la Comédie-Française, Galerie du Carrousel, Paris (Ier) jusqu’au 8 mars.T. : 01 44 58 15 15.

La Dispute

La Dispute de Marivaux, mise en scène de Vincent Dussart.

 

ladispute.jpgCette pièce, une des dernières de Marivaux, apparaît plus que jamais comme un conte cruel sur les relations qui existent les êtres entre eux. Le Prince et Hermiane se demandent qui, de l’homme ou de la femme, fut le premier à être infidèle en amour. Pour répondre à cette  question, le Prince montre à Hermiane le résultat d’une expérience initiée par son père une vingtaine d’années auparavant. Deux filles et deux garçons ont été pris au berceau et élevés individuellement en lieu clos. Pour la première fois, ils vont se rencontrer et être confrontés les uns aux autres, dans une reconstitution artificielle des premières amours. Les intentions de Vincent Dussart, sont claires dès le début : pour lui, La  Dispute n’ est pas une pièce sur la fidélité mais sur l’identité.
Le Prince (interprété par Louis-Marie Audubert:  très juste), entraîne Hermiane (Sophie Torresi) et le public dans un univers étrange et sombre. Sa mise en scène ,comme la scénographie sont épurées : des éclairages latéraux, une cabine où Hermiane et le Prince peuvent voir sans être vus, des effets de caméras pour rendre les jeux de reflets, des disques de lumière rouge sur le sol  où les quatre personnages testés vont sagement se ranger une fois leur scène finie, comme dans les bocaux à taille humaine des  ouvrages de science fiction. On est loin des bosquets radieux aux ruisseaux chantants suggérés chez Marivaux!
Ces deux couples de
  personnages, qui n’ont jamais rencontré personne, (Fabrice Cals, Xavier Czapla, Anne de Rocquigny et Nathalie Yanoz), sont soudain poussés à la découverte d’eux-mêmes.L’attitude implacable et le regard ironique de leurs éducateurs (Chantal Garrigues et Jean-Pierre Bélissent) font froid dans le dos.
Les acteurs, bien dirigés par Vincent Dussart, sont très  à l’aise dans cette mise en scène ;  il insiste sur la froideur de l’expérience menée et joue avec les individualités naissantes des personnages. On assiste moins à la montée  du sentiment amoureux et des rivalités intérieures qu’il suscite, qu’à la construction de l’identité par le regard de l’autre et par le reflet qu’il renvoie. Vincent Dussart précise: « Ils apprennent tout d’abord à dire : « je ». Puis la rencontre avec l’autre: le » vous » fait vaciller leur conscience d’eux-mêmes, ils ne peuvent plus se définir, et disent: » on ». Enfin, ils fusionnent dans le « nous » et y perdent le « je ».et les personnages hésitent sur les pronoms. Et y correspond une gestuelle qui s’intègre peu à peu dans un véritable ballet de la rencontre et de la relation à soi et à l’autre.
L’atmosphère légèrement pesante s’en trouve  allégée. D’autant que cette gestuelle souligne la touchante innocence des deux couples et la maladresse due à leur inexpérience,  ce qui provoque le sourire, voire le rire du spectateur. La cruauté de cette mise en scène  a le mérite de nous montrer  une autre facette de ce que l’on  appelle  le “marivaudage”.
Replacée dans un univers contemporain , cette Dispute questionne plus que jamais le spectateur sur sa propre identité, à travers le reflet que lui renvoie la quête d’identité de ses  personnages.

 

Elise Blanc

 

La Dispute, de Marivaux, mise en scène de Vincent Dussart.
Au Lavoir Moderne Parisien, jusqu’au 11 février, le lundi à 19h, du mercredi au samedi à 20h30, relâche mardi et dimanche.

Suréna

Suréna de Corneille, mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman.

surn.jpg À l’occasion de son diptyque cornélien – Suréna et Nicomède- interprété par les mêmes comédiens, Brigitte Jaques-Wajeman illumine les sphères éternelles de la passion mélancolique, assombrie par les enjeux de pouvoir, tout particulièrement dans Suréna.(1674) ,dernière pièce de Corneille, qui appartient, selon l’appellation de la metteuse en scène Brigitte Jaques-Wajeman, exploratrice confirmée de ces contrées théâtrales classiques, au cycle « colonial » dont font aussi partie La Mort de Pompée (1641), Sertorius (1662) et Sophonisbe (1663).
En d’autres termes, Corneille prend plaisir à décliner et à déplier les rapports de pouvoir et de domination que Rome, colonialiste et prédatrice, a su infliger aux contrées avoisinantes,  comme au reste connu de la terre.
Telles des résonances contemporaines d’un bout à l’autre de la planète , sont  ici perceptibles les conflits d’enjeux politiques et d’ambitions personnelles, les rapports de force tendus et cruels qui mènent forcément à l’élimination des plus faibles – les roitelets grotesques d’empires de pacotille, de petits dictateurs en puissance qu’ont pris plaisir à dépouiller les « grands », les  tyrans d’aujourd’hui dans leurs traditions colonialistes.
Suréna nous conduit ainsi aux confins de l’Empire romain dans une situation post-coloniale : les Romains ont décampé et les Parthes sont libres. Le roi Orode ne doit la vie et la restitution de son propre trône qu’au vaillant et glorieux lieutenant Suréna. Aussi, pour asseoir sa suprématie présente contre une Rome éternellement menaçante, Orode souhaite-t-il que Suréna épouse sa fille,  tandis que son fils, le prince Pacorus, épousera de son côté, Eurydice, la fille du roi d’Arménie, fortifiant ainsi son royaume de l’adjonction de l’Arménie.
Mais la passion amoureuse entre la belle et passionnée Eurydice et le ténébreux Suréna en décide autrement à Séleucie sur l’Euphrate (dans l’actuel Iraq) , vers 50 avant Jésus-Christ.
Corneille écrit Suréna,  avant le silence des dix années qui a précèdé sa mort. Il  maîtrise pleinement l’art de l’intrigue dramatique – conjugaison entre la dimension politique et historique et la dimension intime de l’être- comme l’art de l’alexandrin qu’il fait résonner profondément sur les scènes attentives. Plusieurs fois se fera entendre comme une litanie ce merveilleux trimètre : « Toujours aimer, toujours souffrir, toujours mourir. »
Les personnages revêtent alors une parure racinienne qui dévoile la seule voix abyssale du cœur et de l’âme. Qu’est-ce que la main de l’épousée accordée à l’épouseur, si elle n’est offerte avec le cœur ? Voilà la situation du Prince Pacorus qui voudrait conquérir l’impossible chez Eurydice – la passion d’aimer, quand elle n’est pas là d’emblée chez l’amante. Ce prince inconstant avait promis ses feux à la sœur de Suréna, Palmis, confidente d’Eurydice.
Il aurait fallu que les premières amours du Prince Pacorus reviennent à Palmis, libérant ainsi Eurydice et Suréna. Mais le jeune Pacorus est bien vaniteux, et son père , le roi Orode, ne tolère pas de devoir son royaume reconquis au loyal Suréna qui lui fait de l’ombre. Contre le bonheur des amants et dans l’oubli d’eux-mêmes, ils chemineront jusqu’à la mort dans la mélancolie de la perte.
La scène est traversée en diagonale  par une longue table , couverte d’une nappe riche et brodée où  sont posés un bouquet de fleurs blanches champêtres  et une couronne de roi  dorée: les ombres alentour peuvent œuvrer tranquillement selon une pente strictement  tragique. Dans son élégante robe blanche, Eurydice (Raphaèle Bouchard) pourrait être une fleur du bouquet royal, un rappel floral et fragile du prix de la vie quand l’amour s’en mêle.
Dans une fougue et un élan juvéniles, elle évoque l’absolu de son désir pour Suréna (Bertrand Suarez-Pazos) dont le silence et la parole atteignent tout autant la hauteur de ces sentiments élevés. La sœur,  Palmis ( Aurore Paris), une personnalité rare, touche à une grâce à la fois lyrique et acidulée. Quant au Prince Pacorus, il est convaincant dans sa douleur, son humiliation et sa rage de ne pas être choisi par celle qu’il aime. Le roi Orode (Pierre Stéfan-Montagnier) ne cache qu’à peine un esprit bas et calculateur, avec panache et brio : il se débarrasse lâchement de qui l’importune.
Une mise en scène exigeante qui fait entendre les belles liaisons et diérèses intérieures du vers cornélien,  tout en donnant à goûter les beautés du cœur au milieu du chaos du pouvoir, sourd aux bruits intimes du monde et aveugle à l’enchantement des âmes.

 

 

Véronique Hotte

 

Suréna, de Pierre Corneille ; mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman. Jusqu ‘au 13 février 2011.
Nicoméde
, de Pierre Corneille ; mise en scène de Brigitte Jaques-Wajeman. Du 29 janvier au 12 février 2011.

Théâtre des Abbesses- Théâtre de la Ville 31 rue des Abbesses 75018 Paris Tél : 01 42 74 22 77

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