VATER (PÈRES)

VATER (PÈRES), d’Alvis Hermanis

Patrick Sommier arpente les théâtres sans frontières depuis des années, il a fait découvrir et a invité à plusieurs reprises à Bobigny nombre de belles surprises venues de l’Est, comme ce Nouveau théâtre de Riga qu’on avait pu voir à l’ouverture du Théâtre Monfort avec Sonia (voir Le Théâtre du blog du 30 septembre 2009).
Entreprise originale, ce sont les souvenirs de 3 fils qui évoquent la mémoire de leurs pères : l’odeur du père, ses habitudes, il faisait la lessive la nuit, l’étendait dans le grenier, le matin c’était sec. Un autre partait courir tous les matins, même par moins 30°, en affirmant que s’il n’avait pas fait ça, il serait mort dans le camp en Sibérie…Le jardin de fraises cultivées sur un minuscule lopin de terre volées par les voisins dès qu’elles étaient mûres. La vodka, les infidélités, les métiers, l’un est fils de policier, l’autre fils d’un acteur. Pendant ces monologues qui se succèdent de façon plutôt linéaire, trois heures durant (heureusement il y a un entracte) des techniciens apportent d’énormes portraits des pères, parfois avec les mères en fond de plateau. À la cour et au jardin, les maquilleuses s’affairent pour transformer les trois fils en pères ou en fils. Excellents acteurs tous les trois, ils n’ont pas la tête de l’emploi au regard de nos critères français, ils jouent en allemand et l’on se lasse de lever la tête pour lire la traduction. La monotonie de la construction, ce sont seulement des solos d’un bout à l’autre de la représentation fait décrocher même les fervents. Dommage, car il ne faut pas bouder les moments de plaisir.

EDITH RAPPOPORT

Nouveau théâtre de Riga (Lettonie) 8e édition du festival Le standard Idéal

MC 93 Bobigny 01 41 60 72 72

 


Archive pour 1 février, 2011

FOUCAULT 71

FOUCAULT 71 feuilleton théâtral en 3 épisodes à voir séparément ou dans la foulée, par Sabrina Baldassarra, Stéphanie Farison, Emmanuelle Lafon, Sara Louis et Lucie Nicolas, musique de Fred Costa.

C’est le premier épisode de ce feuilleton théâtral insolite, conçu voilà plus de deux ans par ce dynamique groupe de pétroleuses, qui rend sa dimension politique oubliée au Théâtre de l’Aquarium des années 70 créé par Jacques Nichet, Bernard Faivre, Didier Bezace, Thierry Bosc et Karen Rencurel…Le hall est bourré d’un public jeune qui fait la queue et feuillette les livres de la petite librairie. Ces cinq jeunes femmes ont été frappées par la résonance des textes de Foucault avec notre actualité, par leur capacité à questionner notre réel. Elles endossent bizarrement les rôles très majoritairement masculins au sein de différentes luttes. Celle du G.I.P. groupe d’information sur les prisons, celle des protagonistes du comité Djellali, créé sous l’égide du Secours Rouge à la Goutte d’or, pour protester contre le racisme et l’assassinat d’un jeune homme. On découvre des scandales oubliés comme l’affaire Jaubert, un journaliste tabassé violemment par la police alors qu’il tentait de porter secours à un passant blessé au bord d’une manifestation. Certaines dérives des « Maos » sont évoquées rapidement, l’engagement d’intellectuels comme Gilles Deleuze, Pierre Vidal-Naquet, comme des appuis réels. D’autres engagements comme ceux de Catherine von Bulow, Brigitte Fontaine ou Genet absent des manifestations, sont abordés de façon ironique.

Il y a une belle rage de jouer et de porter une parole libertaire chez ce collectif d’actrices engagées, issues pourtant pour la plupart du Conservatoire national d’art dramatique qui privilégie les carrières individuelles. Elles abordent les défis de porter les paroles de véritables engagements collectifs largement oubliés de nos jours, avec une simplicité, une vigueur et un naturel confondants. Pas de décor, quelques projections et slogans, des banderoles, des tables et des chaises.
On avait pu les voir au festival Impatiences organisé par l’Odéon.

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 FOUCAULT 71, Collectif F 71 Conception, mise en scène et interprétation Sabrina Baldassara, Stéphanie Farison, Emmanuelle Lafon, Sara Louis, Lucie Nicolas


Qui suis-je maintenant ? C’est le dernier épisode de ce feuilleton théâtral entrepris depuis 2004 par le dynamique collectif féminin F 71 d’après l’œuvre  de Michel Foucault. Celui-ci est issu de La vie de hommes infâmes : « Qu’a-t-on fait historiquement des fous, des pauvres, des malades ? Pourquoi enferme-t-on certaines catégories de malades ?…À quel type de pouvoir avons-nous affaire…Comment peut-on devenir sujet moral de son action ? ».
Nous sommes dans le hall joliment rénové du Théâtre de l’Aquarium, une actrice surgit, et interpelle le public devant une grande affiche évoquant l’errance d’un pauvre abandonné, fuyant sa famille. On crève cette affiche qui barre l’entrée du théâtre, pour s’asseoir dans la salle. Et derrière un transparent, on voit une succession d’images  sur la vie de paysans dans les bois au XVIIe et au XVIIIe siècle. Puis, en pleine lumière, les filles en tenues de foot vertes  lancent des dénonciations de vagabondages, des suppliques adressées au roi par le mari contre sa femme adultère et dépensière, un père contre son fils désobéissant, la recherche d’une fille prostituée mineure…
Enfin il y a une furieuse séance de projections d’une série de textes, accompagnées comme le reste du spectacle,  par Fred Costa. Il y aurait eu un bug technique qu’on n’a pas tous remarqué. Ce spectacle encore un peu brouillon donne cependant envie de voir les deux premiers épisodes sortis depuis plusieurs mois.


Edith Rappoport

Théâtre de l’Aquarium jusqu’au 6 février T: 01 43 74 99 61

http://theatredelaquarium.tumblr.com

www.collectif71.com

 

HISTOIRES D’ÈVA LUNA

HISTOIRES D’ÈVA LUNA  d’Isabel Allende, mise scène Philippe Hottier, d’après Les contes d’Èva Luna.

Sophie Shaikh , belle grande brune élancée sous une tente dorée, nous conduit avec vigueur au fil de quatre contes d’aujourd’hui.
D’abord avec  l’histoire de Ryad Alami, artisan en déroute échoué dans un village perdu, accueilli par maîtresse Inès, redoutable institutrice, mère célibataire d’un enfant abattu par un riche propriétaire, au moment où le garçon ramassait une mangue tombée dans son jardin. La police ne faisant rien, Ryad prend la tête de la vengeance, mobilise tout le village qui expulse le criminel.
Des années plus tard, maîtresse Inès a pris sa retraite, Ryad l’a poussée à ouvrir une pension où le vieux criminel débarque. Inès qui l’a reconnu et, juste vengeance , le tue avant de faire appel à Ryad. Nouvelle mobilisation du village qui fait disparaître le cadavre ! Puis  Sophie Shaihk nous conte l’histoire de Maria, jeune fille de famille devenue handicapée, qui, au cours d’une fuite sur un bateau,  découvre sa sensualité torride dans les bras d’un matelot. Une fois abandonnée, elle finira par vendre ses charmes, jusqu’à ce que la vieillesse la fane. Malgré quelques longueurs, le charme de Sophie Shaikh emporte l’adhésion du public dans la jolie petite salle de l’accueillant Théâtre Aleph.

Edith Rappoport


www.chambouletoutheatre

Théâtre Aleph d’Ivry 

 

La Tempête

La Tempête de Shakespeare, spectacle en russe surtitré, mis en scène de Declan Donnellan.

tempete.jpgProduction du Festival Tchekhov de Moscou,  la  pièce, est sans doute ( 1611)  la dernière de Shakespeare et l’une des plus souvent montées: on se souvient en France de celle de Giorgio Strehler,  mais aussi de celle  d’Alfredo Arias,  très différentes mais magnifiques toutes les deux . Avec un texte admirable où l’on retrouve à la fois l’influence de Montaigne, mais aussi une longue citation des Métamorphoses d’Ovide dans le brillant discours de Prospéro.Texte admirable que ce conte qui est aussi une réflexion philosophique sur la vie et la notion de pouvoir…
C’est l’histoire de Prospéro, duc de Milan qui a été évincé de son trône par son propre frère Antonio, et qui arrive sur une île déserte avec sa jeune et très belle fille,  Miranda. Prospéro n’a plus de pouvoir politique mais il  a des dons  et des pouvoirs magiques:  il  sait comment régner sur les vents et les tempêtes, avec , à ses côtés Ariel , esprit de l’air  qui lui est dévoué, et Caliban,  esclave entravé par des cordes, à la fois énorme et monstrueux, très terrien,  esprit de mort.
Ariel va faire se lever une tempête dont parviendra  à se tirer vivant Antonio, le roi de Naples et  son fils Ferdinand. Ariel leur  fera subir de nombreuses épreuves punitives mais finalement Prospéro pardonnera à son frère; Ariel et Caliban seront libérés ; Miranda épousera Ferdinand, et Prospéro retrouvera son duché de Milan.
La pièce n’est pas facile, et de loin, à maîtriser. Declan Donellan a demandé à Nick Ormerod,son scénographe habituel un décor simple. Trois hautes portes ouvertes sur un mur gris en arc de cercle avec un peu de sable; quelques sièges dont un cageot en plastique (?). Chaque porte pouvant s’ouvrir sur des univers différents. Au sol, un plancher de carrés de lattes de bois. En haut du mur, une passerelle invisible où peuvent jouer des musiciens. C’est aussi beau que simple  et efficace. Malgré un côté esthétisant qui n’était sans doute pas indispensable pas plus que les vidéos de vagues ou ce film en noir et blanc des années 50 montrant des paysannes russe en train de moissonner.!  Que l’on revoit ensuite en babouchkas incarnés par des hommes de la troupe!!!
Comment Donnellan,  qui n’est certes pas un débutant et qui a réalisé de de belles mises en scène de Shakespeare comme La  Nuit des Rois, s’est-il laissé entraîner dans ce sstéréotypes usés jusqu’à la corde? Sa mise en scène est surtout fondée sur le jeu des comédiens, tous excellents,  en particulier Yanna Gurianova ( Miranda)  , Ilya Ilyn ( Trinculo), Alexandre Feklistov ( Caliban). Certes, il a  quelques scène tout à fait réjouissantes comme la visite d’une bijouterie par Trinculo et Stefano qui communiquent par portable, alors qu’ils ne sont qu’à quelques mètres l’un de l’autre. Le gag est  drôle mais lui  aussi  un peu usé.
On a parfois l’impression que Declan Donnellan s’est,  souvent et d’abord, fait plaisir sans trop tenir compte du public qui n’est pas toujours au fait de cette histoire quand même compliquée, et l’amie russe qui nous accompagnait nous a précisé que cela ne tenait nullement à la qualité du surtitrage  de très bonne qualité. La direction d’acteurs  comme la mise en place, reste assez sèche et il manque à cette mise en scène, malgré encore une fois, la qualité des comédiens, une poésie et une folie qui sont quand même l’ essentiel de cette formidable pièce. Alors à voir? Si vous avez envie de voir des acteurs russes interprétant une des grandes œuvre de Shakespeare, et une belle scénographie, pourquoi pas? Quant à la mise en scène, vous risquez d’être déçu. Declan Donnellan nous avait habitué à plus de grâce et de sensibilité dans ses dramaturgies…

 

Philippe du Vignal


Théâtre des Gémeaux à Sceaux jusqu’au 12 février
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Caligula

Caligula  d’Albert Camus, mise en scène de Stéphane Olivié-Bisson

Après avoir réalisé trois mises en scène dont un texte de Jean Genet, le metteur en scène avait quitté la France pour la Palestine. Nous le retrouvons après plusieurs années de silence avec Caligula, le rôle où Gérard Philipe s’était révélé. Il y a une belle vigueur dans la peinture de cette montée au pouvoir irrépressible d’un jeune tyran sanguinaire, désespéré par la mort de Drusilla, sa sœur et amante.
Caligula a le pouvoir absolu et il commence par déshériter les enfants des riches patriciens pour mettre la main sur leurs biens. Aucun frein à sa cupidité, “gouverner c’est voler, tout le monde sait ça…pour qui aime le pouvoir, la rivalité des Dieux a quelque chose d’agaçant….” Caligula ne recule devant aucun crime: « Quand je ne tue pas, je me sens seul”. Face à lui, des patriciens serviles et lâches qui n’arrivent pas à contrer ses caprices mis en scène par la fidèle Cæsonia qui, elle, ne recule pas devant ses folies les plus insensées… Seul, le jeune Scipion dont le père a été assassiné par le dictateur, s’opposera à lui, parce qu’il lui ressemble…

Bruno Putzulu mène la danse avec rage et désespoir; autour de lui, des acteurs solides incarnent  bien ces patriciens égarés qui finiront tout de même par assassiner le dictateur.   Un seul regret: de vilains costumes qui sont- on a du mal à le croire- conçus par Yamamoto !

Edith Rappoport 

Théâtre de l’Athénée, Paris (VIII ème) jusqu’au 5 février. T:  01 53 05 19 19.

La Maladie de la Famille M.

La Maladie de la Famille M.  de Fausto Paravidino, mise en scène de l’auteur.

 

    Jeune auteur  de 35 ans joué un peu partout en Europe mais aussi metteur en scène, et comédien, Fausto Paravidino est maintenant bien connu en France ; c’est Stanislas Nordey puis Victor Gauthier-Martin  qui avaient mis en scène Gênes 01, puis Jean-Romain Vesperini avait monté Les deux frères et Nature morte dans un fossé, notamment par le collectif DRAO, et l’Odéon avait présenté l’an passé une version roumaine de cette même Maladie de la Famille M.
arton265147df0.jpgDonc la pièce est une sorte de chronique de quelques moments de cette famille M. : il y a Luigi, le père ( Christian Blanc) , ni très jeune ni très vieux mais assez mal en point et incontinent dont l’épouse est morte, et leurs enfants Martha( Marie-Sophie Ferdane,) la plus âgée,qui remplace un peu la mère, Maria ( Suliane Brahim) et Gianni, un petit jeune homme ( Benjamin Jungers) qui semble traîner un peu partout. ils habitent une maison aux bords des champs mais il n’ont rien à voir avec le monde rural. Quant à Maria, elle a un amoureux Fulvio (Nâzim Boudjenah) mais elle  n’est pas non plus insensible aux charmes de son meilleur ami Fabrizio (Félicine Juttner).Et il y a le médecin du village (Pierre-Louis Calixte) qui les connaît tous très bien depuis qu’ils sont petits, et qui commente, de temps en temps, les faits et gestes de leur vie dont le dénominateur commun semble quand même être le désir d’être ailleurs que dans cet endroit où il est difficile d’avoir de solides repères. et la maladie physique ou mentale, qui du père aux enfants semble les atteindre tous à un degré plus ou moins grand. Il y a aussi le temps qu’il fait: la pluie, la neige, le froid, la chaleur qui, finalement en ville ou à la campagne nous concerne toutes nos activités du jour présent et de ceux qui viendront. Paravidino , comme il le, précise, est fils de deux médecins de campagne et admire beaucoup Tchekhov évidemment, et La maladie de la Famille M. y fait souvent penser dans les thèmes abordés: la vieillesse, la mort,le deuil de la mère comme celui du deuil du père dans Les Trois sœurs, la fascination pour la campagne mais aussi le profond désir d’aller vivre en ville, les histoires d’amour des jeunes gens avec son lot d’inquiétudes, de jalousie, le besoin permanent d’être aimé mais aussi les  rêves inassouvis. Cela fait penser parfois à une série télévisuelle mais réussie, dont l’auteur par la voix du médecin fait preuve d’une vraie tendresse pour ses personnages qu’à la fin de la pièce, on a l’impression d’avoir bien connus.Il y a du réalisme dans l’air et, en même temps pas du tout. Les lieux, les actions s’interpénètrent en effet mais  sans aucun accroc. Grâce aussi à l’intelligente scénographie de Laura Benzi. Paravidino procède très habilement par petites touches intimistes: pas de  grandes tirades, pas d’éclats de voix mais  des petites scènes rapides, juste parfois esquissées, qui composent comme une chronique d’une famille ordinaire.

C’est lui qui a aussi réalisé la mise en scène: tout à fait sobre et juste, comme sa direction d’acteurs qu’il a parfaitement choisis: ils sont là, plus vrais que nature: tous  impeccables: on ne voudrait pas être méchant mais là, Paravidino -miracle italien- a vraiment réussi son coup. Nous n’avons pas toujours dit du bien des réalisations du Vieux-Colombier mais celle-ci est vraiment de grande qualité.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre du Vieux-Colombier jusqu’au 20 février.

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