Entre Ciel et Chair, d’après Une Passion de Christiane Singer, avec Birgit Yew (violoncelle), mise en scène de Clara Ballatore.
C’est l’histoire d’Héloïse et Abélard, amants mythiques du XII ème siècle dont l’amour interdit entrainera leur séparation tragique., et qui avait déjà été jouée l’an passé ( voir la chronique de Barbara Petit ,5 juin 2010). On se trouve dans la cellule monacale d’Héloïse, entrée dans les ordres et, devenue à la fin de sa vie, abbesse de Paraclet.
Le récit est à la première personne: Héloïse raconte donc son histoire, l’éducation que lui donna son oncle Fulbert, exceptionnelle pour une jeune fille d’alors, sa rencontre avec Abélard, illustre clerc devenu son précepteur, et la relation amoureuse où ils se livrèrent corps et âme. L’adresse est généralement faite au public, mais aussi à Abélard, qu’elle évoque, et qui se glisse dans ses mots: Héloïse lui reproche ses choix et surtout de ne pas prendre garde à son oncle, qui donna l’ordre d’émasculer Abélard.
Suivra leur entrée mutuelle dans les ordres, et leur séparation définitive. Clara Ballatore a écrit une adaptation du roman Une Passion de Christiane Singer, qui a l’originalité de donner la parole à Héloïse, et qui propose une vision féminine de cet univers masculin du Moyen-âge. Certains moments en sont emblématiques, comme lorsqu’Héloïse avoue son immense amour , à son oncle Fulbert, une fois sa relation avec Abélard démasquée. Son oncle, selon ses dires, la traite alors brutalement, comme une servante.
Deux chaises, occupées par le musicien et la comédienne: le plateau est nu, juste servi par la création lumière toute en nuances de Franck Vidal. Le spectacle repose donc sur la comédienne et son alter ego musical; ce soir ,nous avons entendu le captivant violoncelle de Birgit Yew, ( en alternance avec Michel Thouseau, contrebassiste) toujours en harmonie et à l’écoute de cette voix qui porte le texte. Christelle Willemez, vêtue d’une sobre robe blanche, est une comédienne remarquable : elle possède une voix grave et claire avec une large gamme de modulations qui nous transmettent l’émotion, la saveur et les nuances. du texte. Une respiration bien en place et discrète, qui donne de la souplesse à son phrasé.
La comédienne possède aussi une forte présence ; elle porte un texte poétique très dense, et donne sans cesse à voir son regard dans un jeu dirigé vers le public. Cette mise en scène épurée entraîne une économie de mouvements que l’on peut parfois regretter, car elle demande une écoute plus soutenue du public, confronté à un texte exigeant. Mais la présence de la comédienne est toute en nuances, dans une sorte d’ effacement physique. Elle passe tour à tour de simple narratrice à la voix grave et posée, à la jeune fille tiraillée par les événements, et jusqu’à un apaisement mystique à la fin, dualité entre « ciel » et « chair » s’il en est.
Davi Juca
Au Théâtre du Lucernaire, du 2 février au 26 mars 2011, du mardi au samedi à 18h30.