Prévert Blues

Prévert Blues, mise en scène Henri Texier et Frédéric Pierrot

   prevertblues.jpgCinq types entrent en scène marchant d’un même pas, droits dans leurs bottines, le béret vissé sur le crâne, le clope au bec, l’imper bien cintré, les mains au fond des poches. Ambiance simenonienne, atmosphère audiardienne. Chacun prend place derrière un instrument, de cour à jardin seront disposés en demi-cercle, entre un lit et une table de travail, le saxophoniste (Sébastien Texier), le guitariste (Manu Codjia), le contrebassiste (Henri Texier), le batteur (Christophe Marguet).
Revenu de derrière un paravent, le cinquième a troqué le béret contre un Borsalino et porte une valise. Il s’assied au bureau, allume une lampe de banquier, et commence à écrire. Il se met à parler, on entend des rimes. C’est Prévert, le poète, qui s’exprime. Frédéric Pierrot, l’imparable interprète , durant deux heures, va faire revivre sous nos yeux l’amoureux de la vie et de l’amour. Accompagné par le quatuor de jazz, sans que jamais la musique ne l’emporte sur sa voix, il donne vie aux multiples personnages de celui qui avait tant le blues.
Le comédien, très expressif, s’en donne à cœur joie, il est tout à son art, autant qu’à son aise. Prévert n’est-il pas l’auteur des paroles des Enfants du Paradis ? Dans la lignée d’Anacréon ou de Pindare, ces poètes grecs qui s’accompagnaient de la lyre, cette harmonie entre texte et musique soutient sans relâche notre attention. Mais, avec Prévert, sa vision mélancolique et désabusée, nous sommes peut-être plus proches de l’inconsolable Orphée… Dans cet univers qui nous est donné à voir aussi bien qu’à entendre, si l’on joue avec les images, si l’on accroche des cœurs sur un mur ou fait du dessin, on est aussi un cabotin qui se déguise et qui se grime, un forain qui vit d’expédients, un simple homme qui épluche des patates ou fait son repassage dans une terrible et douloureuse solitude.
Visage sombre d’un Paris pauvre et populaire qui a aujourd’hui migré ailleurs.La délicate union du jazz et du théâtre, où les arts sont l’un au service de l’autre, et se répondent avec entrain, passion et plaisir. Un jeu interdisciplinaire en hommage à un artiste maître en la matière.

 

Barbara Petit

À L’apostrophe – Théâtre des Louvrais de Pontoise, le 4 février 2011.


Archive pour 6 février, 2011

de Alain Behar, texte et mise en scène.

mo.jpg est d’abord une scénographie très élaborée, très esthétique. Des formes rectangulaires, des lignes, du gris et du blanc, des meubles stylisés : l’ensemble donne l’impression de quelque installation artistique. Et ce sentiment se trouve renforcé par la présence, en toile de fond, d’un double écran.
Les espaces sont  clairement délimités : des structures métalliques, des alternances de moquettes noire et blanche, des lignes au sol, et un mobilier (table, chaises, canapé, miroir) qui reconstitue, côté cour, un salon. Mais les comédiens passent de l’un à l’autre comme si ces espaces n’existaient pas. Même le salon, seule structure réaliste, est à ce point géométrisé qu’il ne saurait représenter un véritable salon. Cela dit, Mô la mise en scène de Mô ne manque pas d’intérêt: Alain Behar exploite en  effet  la scène de manière peu conventionnelle. Ici point de fable, pas non plus de personnages. Mais des entités abstraites (des pensées ? des instances du cerveau ?) jouées par cinq comédiens.   Cinq entités qui ne se touchent pas, ne se parlent pas vraiment. Mais elles habitent les structures spatiales,  interagissent avec les objets scéniques, notamment la vidéo et le texte projetés sur les écrans.
La lumière souligne les temps de pause, et contribue à rendre les espaces encore plus abstraits. Outre des effets visuels impressionnants, Behar met en place un dispositif sonore complexe : la voix des comédiens est amplifiée, comme les bruits de leurs déplacements. Restitués sur les côtés, et en écho au lointain,  les  sons brouillent nos repères spatiaux : on ne sait plus qui parle. Et la mise en scène, très élaborée, prend alors le pas sur la restitution du texte.
est aussi une impressionnante performance d’acteurs. Le texte se présente comme un enchaînement de phrases courtes. Les cinq comédiens, parfaitement en osmose, le restituent à une cadence impressionnante. Cela donne un flot de parole monocorde, presque ininterrompu, pendant les deux heures que dure le spectacle. Il en va de même en ce qui concerne les mouvements ; les comédiens ne s’immobilisent que rarement, avec des déplacements fluides, et des gestes précis qui participent d’une chorégraphie.
Mais que signifie-t-elle? Que dit le texte au verbiage incompréhensible? Enveloppé par l’installation sonore, il nous étourdit si nous essayons de comprendre, ou il nous endort si nous n’essayons pas: la plupart des phrases relèvent d’un jargon scientifique! Ou bien déjantées. Ou hors propos…  est, en fait, une expérience. Alain Behar a commencé à monter ce spectacle en 2008 dans un laboratoire de recherche en neurosciences. Il explique qu’il a essayé de restituer avec ce que pourrait être la pensée. L’installation représenterait donc l’intérieur de la tête d’une personne, et le spectacle serait « le son de la pensée ». Cela reste abstrait, même si c’est beau, et parfois  impressionnant…. Mais de l’abstrait à l’abscons, il n’y a qu’un pas, celui qui nous fait passer de la juste mesure à l’excès. Or est long et monocorde. Et pour une explication de ce qu’est la pensée, est dense et l’on a peu de répit pour digérer les concepts qu’on réussit à glaner, de-ci, de-là. C’est donc un spectacle à voir 15 minutes,  ou à voir  15 fois. Au choix…

Nicolas Arribat

Théâtre de l’Échangeur jusqu’au 12 février.

 

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La Fin ( Koniec)

La Fin ( Koniec) d’après Nickel Stuff, scénario pour le cinéma de Bernard-Marie Koltès, Le Procès et Le Chasseur Gracchus de Franz Kafka,  et Elisabeth Costello de John Maxwell Coetzee, adaptation de Krysztof Warlikowski et Piotr Gruszynski,  mise en scène de Krysztof Warlikowski.       

      lafin.jpg On connaît bien en France maintenant le travail de Warlikowski, dont le Hamlet avait été présenté au Festival d’ Avignon il y a dix ans déjà,  où fut également joué en  2009 dans la Cour d’Honneur, (A) pollonia (voir Le Théâtre du Blog juillet 2009 ) , montage à partir de textes d’Eschyle et Euripide mais aussi d’auteurs contemporains comme la romancière polonaise Hanna Kral, J. Littel , ou encore John Mawel Coetzee avec des fragments d’ Elisabeth Costello, texte que  l’on retrouve dans cette Fin.
Dans une unité dramaturgique très forte, le passé se bousculait avec le présent, le texte avec la scénographie et les images vidéo, et le créateur de ce spectacle magnifique ,malgré quelques longueurs, avait su admirablement évoquer la dignité et la souffrance du peuple polonais.  Warlikowski reprend  ce même processus d’écriture
pour La Fin, où la scénographie   tout à fait remarquable de Malgorzata Szcesniak sert de fil conducteur à cette tentative d’exorcisme, si l’on a bien  compris ses intentions du créateur polonais, dans  la relation qu’il  a avec le corps et la pensée féminine. A travers une sorte de tricotage -associé à une transmission vidéo presque permanente- des quatre textes cités plus haut , dont un scénario de cinéma, pour Koltès,  et des dialogues du  Procès d’Orson Welles.
Chacun des personnages mis en scène par Warlikowski, ont une vie qui a, pour dénominateur commun, une sorte de seuil  » de la loi, de la vie, de  la mort » qu’ ils ne peuvent arriver à franchir. Joseph K. se retrouve ainsi prisonnier d’une procédure incompréhensible  où il ne sait même pas de quoi il est accusé;  Tony, le héros de Koltès , envisage la possibilité d’un crime, Le Chasseur Gracchus est à la fois mort et vivant: « Ma barque est sans gouvernail, elle marche avec le vent qui souffle dans les plus profondes régions de la mort », dit-il au maire de Riva.; quant à Elizabeth Costello, en proie à une  traque juridique, elle doit se plier à un examen de conscience aussi implacable qu’absurde, et se retrouve dans un centre de rétention, en proie aux interrogatoires d’un petit fonctionnaire…
Comme toujours chez Warlikowski, la mise en scène  est d’une très grande qualité plastique, et les acteurs polonais font un travail impeccable. Pourtant, là où il avait       réussi son coup avec (A)polonnia, cette fois, ce long spectacle de quatre heures ne fonctionne pas très bien, en grande partie , parce que Warlikowski s’est laissé prendre, comme bien d’autres   au piège de la retransmission vidéo qui est vite devenu  un procédé à  la fois, stéréotypé, inefficace et fatiguant pour le spectateur. Il faudrait qu’il nous explique, en quoi un travail théâtral acquiert une dimension supplémentaire quand il fait filmer des personnages derrière une vitre sur le côté, à demi cachés,  ou même sur le plateau, pour retransmettre  leurs visage en gros plan sur un écran de six mètres carrés. Ou encore mieux, quand il filme un escalier de coulisses et des loges de comédiens !On nous  a déjà fait le coup cent  cinquante fois,  et ce théâtre dans le théâtre à la sauce électronique n’a strictement aucun intérêt. C’est prendre les spectateurs pour des gamins de cinq ans  qui , eux, ne seraient même pas fascinés par  d’aussi pauvres trouvailles….A l’heure de jeux vidéo, heureusement, ils en ont vu d’autres et bien plus inventifs!
Quant au  public, pris en otage, il est prié de voir à la fois  les personnages dans l »espace scénique, et leur image vidéo en gros plan, envahissante diffusée presque en continu , d’entendre le texte  en polonais, et en prime,  sur un  écran de   surtitrage placé en fond de scène le texte français, et une bande sonore… Au bout d’une heure, on est vite  assommé par ce déluge d’informations. Mais, comme la soupe concoctée par  le créateur polonais dure quand même trois heures avant l’entracte, on crie grâce. D’autant plus que, sur le plan dramaturgique, le spectacle est  nettement bien moins construit qu‘(A)pollonia)
Après l’entracte, il y a eu une hémorragie de spectateurs mais il y a comme une embellie:  les dialogues semblent plus efficaces et le scénario plus rigoureux, si bien que les 55 minutes restantes passent relativement  vite. Mais on a connu Warlikowski mieux inspiré. Ma voisine, qui devait avoir une vingtaine d’années, sans être émerveillée, et qui n’avait jamais vu un de ses spectacles, trouvait qu’il y avait quand même quelques belles et fortes images. Sans doute, mais il faut les mériter…
Alors à voir?  Pas vraiment.  1) Si vous avez envie de découvrir l’univers de Warlikowski, il est urgent  d’attendre, vous  risqueriez fort de trouver  le temps vraiment long d’autant que, sans doute par provocation, Warlikowski a accroché, dans la seconde partie,  une pendule qui fonctionne parfaitement, bien éclairée par un spot lumineux, sans doute pour  nous dire que cette petite heure va vite passer… 2) Si vous avez vu (A)polonnia en Avignon ou à Chaillot, vous aurez bien du mal, en comparaison, à y trouver votre compte.
Il serait  temps que Warlikowski revienne à un vrai travail  théâtral, au lieu de faire joujou avec des assemblages de textes et avec la vidéo, ou  choisisse un autre medium pour se livrer à cet exorcisme    personnel  qui , finalement, a bien du mal  à nous toucher. Et cela ne fait que confirmer ce qui semblait déjà se dessiner dans cette adaptation du Tramway nommé désir, déjà pas vraiment convaincante…

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Odéon jusqu’au 13 février.

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