La Fin ( Koniec) d’après Nickel Stuff, scénario pour le cinéma de Bernard-Marie Koltès, Le Procès et Le Chasseur Gracchus de Franz Kafka, et Elisabeth Costello de John Maxwell Coetzee, adaptation de Krysztof Warlikowski et Piotr Gruszynski, mise en scène de Krysztof Warlikowski.
On connaît bien en France maintenant le travail de Warlikowski, dont le Hamlet avait été présenté au Festival d’ Avignon il y a dix ans déjà, où fut également joué en 2009 dans la Cour d’Honneur, (A) pollonia (voir Le Théâtre du Blog juillet 2009 ) , montage à partir de textes d’Eschyle et Euripide mais aussi d’auteurs contemporains comme la romancière polonaise Hanna Kral, J. Littel , ou encore John Mawel Coetzee avec des fragments d’ Elisabeth Costello, texte que l’on retrouve dans cette Fin.
Dans une unité dramaturgique très forte, le passé se bousculait avec le présent, le texte avec la scénographie et les images vidéo, et le créateur de ce spectacle magnifique ,malgré quelques longueurs, avait su admirablement évoquer la dignité et la souffrance du peuple polonais. Warlikowski reprend ce même processus d’écriture pour La Fin, où la scénographie tout à fait remarquable de Malgorzata Szcesniak sert de fil conducteur à cette tentative d’exorcisme, si l’on a bien compris ses intentions du créateur polonais, dans la relation qu’il a avec le corps et la pensée féminine. A travers une sorte de tricotage -associé à une transmission vidéo presque permanente- des quatre textes cités plus haut , dont un scénario de cinéma, pour Koltès, et des dialogues du Procès d’Orson Welles.
Chacun des personnages mis en scène par Warlikowski, ont une vie qui a, pour dénominateur commun, une sorte de seuil » de la loi, de la vie, de la mort » qu’ ils ne peuvent arriver à franchir. Joseph K. se retrouve ainsi prisonnier d’une procédure incompréhensible où il ne sait même pas de quoi il est accusé; Tony, le héros de Koltès , envisage la possibilité d’un crime, Le Chasseur Gracchus est à la fois mort et vivant: « Ma barque est sans gouvernail, elle marche avec le vent qui souffle dans les plus profondes régions de la mort », dit-il au maire de Riva.; quant à Elizabeth Costello, en proie à une traque juridique, elle doit se plier à un examen de conscience aussi implacable qu’absurde, et se retrouve dans un centre de rétention, en proie aux interrogatoires d’un petit fonctionnaire…
Comme toujours chez Warlikowski, la mise en scène est d’une très grande qualité plastique, et les acteurs polonais font un travail impeccable. Pourtant, là où il avait réussi son coup avec (A)polonnia, cette fois, ce long spectacle de quatre heures ne fonctionne pas très bien, en grande partie , parce que Warlikowski s’est laissé prendre, comme bien d’autres au piège de la retransmission vidéo qui est vite devenu un procédé à la fois, stéréotypé, inefficace et fatiguant pour le spectateur. Il faudrait qu’il nous explique, en quoi un travail théâtral acquiert une dimension supplémentaire quand il fait filmer des personnages derrière une vitre sur le côté, à demi cachés, ou même sur le plateau, pour retransmettre leurs visage en gros plan sur un écran de six mètres carrés. Ou encore mieux, quand il filme un escalier de coulisses et des loges de comédiens !On nous a déjà fait le coup cent cinquante fois, et ce théâtre dans le théâtre à la sauce électronique n’a strictement aucun intérêt. C’est prendre les spectateurs pour des gamins de cinq ans qui , eux, ne seraient même pas fascinés par d’aussi pauvres trouvailles….A l’heure de jeux vidéo, heureusement, ils en ont vu d’autres et bien plus inventifs!
Quant au public, pris en otage, il est prié de voir à la fois les personnages dans l »espace scénique, et leur image vidéo en gros plan, envahissante diffusée presque en continu , d’entendre le texte en polonais, et en prime, sur un écran de surtitrage placé en fond de scène le texte français, et une bande sonore… Au bout d’une heure, on est vite assommé par ce déluge d’informations. Mais, comme la soupe concoctée par le créateur polonais dure quand même trois heures avant l’entracte, on crie grâce. D’autant plus que, sur le plan dramaturgique, le spectacle est nettement bien moins construit qu‘(A)pollonia)…
Après l’entracte, il y a eu une hémorragie de spectateurs mais il y a comme une embellie: les dialogues semblent plus efficaces et le scénario plus rigoureux, si bien que les 55 minutes restantes passent relativement vite. Mais on a connu Warlikowski mieux inspiré. Ma voisine, qui devait avoir une vingtaine d’années, sans être émerveillée, et qui n’avait jamais vu un de ses spectacles, trouvait qu’il y avait quand même quelques belles et fortes images. Sans doute, mais il faut les mériter…
Alors à voir? Pas vraiment. 1) Si vous avez envie de découvrir l’univers de Warlikowski, il est urgent d’attendre, vous risqueriez fort de trouver le temps vraiment long d’autant que, sans doute par provocation, Warlikowski a accroché, dans la seconde partie, une pendule qui fonctionne parfaitement, bien éclairée par un spot lumineux, sans doute pour nous dire que cette petite heure va vite passer… 2) Si vous avez vu (A)polonnia en Avignon ou à Chaillot, vous aurez bien du mal, en comparaison, à y trouver votre compte.
Il serait temps que Warlikowski revienne à un vrai travail théâtral, au lieu de faire joujou avec des assemblages de textes et avec la vidéo, ou choisisse un autre medium pour se livrer à cet exorcisme personnel qui , finalement, a bien du mal à nous toucher. Et cela ne fait que confirmer ce qui semblait déjà se dessiner dans cette adaptation du Tramway nommé désir, déjà pas vraiment convaincante…
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon jusqu’au 13 février.