Le Jeu de l’île
Le Jeu de l’île, d’après L’Île des esclaves, L’Île de la raison et La Colonie, de Marivaux, adaptation et mise en scène de Gilberte Tsaï
On est sidéré par la modernité de Marivaux dans cette dernière pièce où il pose toutes les questions de l’égalité et de la mixité qu’un demi-siècle plus tard… les révolutionnaires oublieront. On voit déjà là la force du combat féministe, y compris, et de façon plaisante, dans ses contradictions entre les « pures et dures » et les féministes « lipstick » qui ont envie d’être coquettes pour elles-mêmes. La pièce finit sur le constat qu’une seule égalité est vivable, sans retour en arrière.
C’est peut-être parce qu’il y a là un réel enjeu pour aujourd’hui que la représentation s’anime vraiment quand on arrive à La Colonie. Féministes, rassurez-vous : le public jeune, filles et garçons, réagit joyeusement et positivement à la proposition de Marivaux. Il n’en est pas de même pour les deux autres pièces, dont l’enjeu est plus lointain : difficile d’assimiler l’opposition entre riches et pauvres d’aujourd’hui au couple maître-serviteur, la société industrielle et Marx étant depuis passés par là. Cela rend les pièces plus abstraites et plus moralisantes, même si on aime toujours l’humanisme de Marivaux. Peut-être, aussi, ces deux pièces manquent-elles de situations dramatiques, même si se dessine dans L’Île des esclaves, à côté du renversement de base, une coupable indulgence du président de cette république pour la coquette et tyrannique Euphrosyne…
Le spectacle est lent à démarrer, donc, avec de jeunes comédiens issus de l’école de Limoges qui peinent à se lâcher. En revanche, ils excellent dans la musique chorale composée pour eux par Olivier Dejours, et manipulent remarquablement, ce qui est rare parmi les comédiens, surtout débutants, les marionnettes de Pascale Blaison.
Toute l’affaire est placée sous le regard d’un philosophe un peu cynique et ironique, un peu bohême et pas mal arrosé, qui passe heureusement, le temps de la représentation, d’un regard misanthrope à un regard humaniste.
On en est heureux, mais on attendait quand même un peu plus de théâtre.
Christine Friedel
Nouveau Théâtre de Montreuil T: 01 48 70 48 90 , jusqu’au 15 mars