De l’une à l’autre
De l’une à l’autre, composer, apprendre et partager en mouvements, ouvrage collectif.
C’est en traduisant l’an dernier le livre de la danseuse et chorégraphe américaine, Anna Halprin: Mowing toward Life , que, dit Baptiste Andrien dans la préface, nous avons découvert, , l’ouvrage de son mari, The RSVP Cycles – Creatives Process in the Human Environnement où il cherche à identifier une structure possible du processus créatif, pour les activités artistiques comme pour l’ensemble des activités humaines. En interrogeant artistes et chercheurs sur leur pratiquer du mouvement à différents stades de la création, se sont révélées trois axes essentiels à la réflexion et à la pratique de la danse: apprendre, composer et partager. Il va sans dire que les études contenus dans ce gros volume débordent largement le strict territoire de la danse et les dispositifs de création que cherche à analyser d quelqu’un comme Lawrence Halprin, paysagiste écologiste et mari d’Anna Halprin, quand il examine les liens étroits entre danse et théâtre, mettent l’accent non pas tellement sur le résultat mais davantage sur le déroulement. A travers quatre étapes fondamentales que sont pour lui: Les Ressources, Les Structures ou Partitions, la Valuaction, mot valise qui désigne la dimension tournée vers l’action et la décision au sein du cycle, et P pour, en américain, « performance », que l’on peut traduire par faire , mettre en œuvre. Ce cycle R S V P en fait semble constituer pour Lawrence Halprin, comme une sorte de méthodologie individuelle mais il souligne que l’ordre de ces étapes fonctionne dans n’importe quel sens, et que cette méthodologie peut également être aussi collective. Le plus grave danger consiste selon lui à privilégier un but qui devient alors un véritable piège et une approche simpliste, quelques soient la sophistication des moyens mis en œuvre… Lawrence Halprin met ainsi en lumière la démarche des Indiens Navajo avec leurs peintures sur sable, avec chants et danses , rites archétypaux qui visent à guérir des troubles psychologiques et qui ont un lien incontestable avec le théâtre contemporain. un lien incontestable.
Lawrence Halprin accorde ainsi une place importante à tout ce qui est de l’ordre de la partition, que ce soit la partition musicale très précise ou bien ouverte , la page de l’almanach chinois pour l’année à venir ou celle du calendrier de juin 1970 d’un agriculteur américain. L’aspect le plus important étant leur dimension exploratoire du travail artistique à venir. Il y a aussi dans ce même volume, une réflexion intéressante du chorégraphe Steve Paxton sur la notion d’improvisation ; il rappelle , par exemple, que danser dans un bal est possible, parce que la perception du son devance de quatre millièmes de seconde la position respective des membres, ce qui ouvre effectivement de singulières perspectives sur la manière dont notre cerveau à tous, relie les sens entre eux et sur la coordination entre l’œil, la main et le corps dans un temps et un espace donné. Suit le texte fondamental Illustration ( 1923) de la célèbre méthode Alexander où l’auteur insiste sur les moyens adoptés pour développer une appréciation sensorielle nouvelle et fiable à partir de l’étude et de la compréhension des mouvements du corps.
Il y a aussi un important chapitre où Laurence Louppe, historienne de la danse, montre que la chorégraphie comme, dit-elle, les grands arts du temps: musique, littérature, danse, (elle oublie-les Dieux savent pourquoi-le théâtre! ) est en Occident le seule à garder un rapport avec la tradition orale, parce que, selon elle, la danse ne saurait recourir au signe , parce que son essence même est d’ignorer le détour. Mais elle rappelle que l’écriture chorégraphique n’a rien à voir avec la notation, du moins, en apparence et elle explique que la danse contemporaine, dans la quête d’un mouvement poétique absolu comme chez Trisha Brown et Mary Wigman par exemple, « correspond à une partition intérieure, mouvante et intime ». Le texte qui fait plusieurs fois référence à Dante et au Chant XVIII du Paradis n’es pas toujours d’une lecture aisée mais , que ce soit sur la notion de création en danse et sur les méthodes de notation-Feuillet et surtout Laban- offre de singulières pistes de réflexion. Avec, en regard du texte, de magnifiques dessins de notations comme ceux de John Weaver ( 1706) et de Rameau Le maître à danser (1725) qui semble préfigurer les Calligrammes de Guillaume Appolinaire. Nous ne pouvons évidemment citer tout citer mais La Recherche intérieure , essai de méthodologie de notation de l’expérience d’improvisation par Patricia Kuypers, où la chorégraphe belge raconte comment dans ses carnets de notes , elle utilise l’auto-observation non pas pour observer la forme extérieure du mouvement mais mais les sensations, les images et les sensations mentales, etc … qui le sous-tendent? Un des textes qui est sans doute l’un des plus forts: quatre écrits du chorégraphe Robert Ellis Dunn décédé l’an passé, dont l’atelier, au début des années 60, au Studio Cunnignham de New York avait donné naissance au très fameux Judson Dance Theater. Dunn propose avec la méthode qu’il a mis au point toute une vie d’aider les chorégraphes à » conceptualiser » une danse.
Ce recueil offre donc à travers des approches à la fois pratiques et théoriques sur l’enseignement du corps, sur l’expérience que provoque l’invention et l’écriture d’une chorégraphie, de nombreuses et très fructueuses pistes de réflexion aux danseurs mais aussi à tous les praticiens de la scène.
Philippe du Vignal
Editions Contre-Danse, Bruxelles, 28€