À portée de crachat
À portée de crachat, de Taher Najib, mise en scène Laurent Fréchuret
Les conflits géopolitiques n’ont jamais fini d’enfanter des inepties plus inconcevables les unes que les autres. Ainsi à Ramallah aujourd’hui, un individu peut être à la fois israélien et palestinien. Un contre-sens apparent qui n’est pas sans poser des problèmes au personnage créé par Taher Najib dans sa première pièce, À portée de crachat. Désormais disponible en français, le texte a d’abord écrit en hébreu avant d’être traduit en arabe. Il conte les mésaventures d’un acteur palestinien confronté à l’hostilité et au délire sécuritaire sur son territoire aussi bien qu’en France. À l’aéroport de Roissy comme à celui de Tel-Aviv, à l’embarquement comme au débarquement, les services de contrôle le harcèlent, lui demandant de prouver qu’il est bien lui..
C’est le grand mérite de cette pièce que de nous faire partager la situation palestinienne que nous connaissons ici en France de manière tronquée et partielle. D’autant que Taher Najib a su éviter l’écueil du mélodrame larmoyant, en prenant au contraire le parti de l’humour dans un spectacle piquant, vif et intelligent.
Le comédien évoque ainsi le quotidien à Ramallah, ville occupée où règne un sentiment d’impuissance, où la jeunesse est désœuvrée, ne faisant rien que cracher à longueur de temps, usant de sa salive comme d’un projectile. Une occupation qui fait suite à celles plus anciennes des Croisés, puis des Turcs, puis des Anglais, aboutissant à une question bien légitime : qu’a donc ce territoire de si attirant, de si excitant pour être sans cesse envahi ? La violence de cette exploitation trouve d’ailleurs un écho dans le spectacle que l’acteur joue dans un théâtre israélien, portant sur la cruauté du colonialisme et où il incarne le rôle d’un criminel sanguinaire. Catharsis oblige, le public de Tel-Aviv éprouve le besoin de s’identifier à cette figure du vengeur impitoyable …
Mounir Margoum, brillamment dirigé par Laurent Fréchuret, incarne son double avec aise, beaucoup de talent et de persuasion. Le texte émaillé de mots et d’expressions arabes ne pouvait être interprété de façon plus éloquente. Les rires du public au fil de la représentation et la salve d’applaudissements finale témoignent du succès d’un spectacle certes captivant et plein de rebondissements, mais surtout riche d’une subtile réflexion politique.
Barbara Petit
Spectacle vu le 10 février au CDN de Sartrouville (espace Gérard Philipe), en tournée jusqu’au 2 avril dans le cadre du festival Odyssées en Yvelines,
renseignements : www.theatre-sartrouville.com.