Iphigénie en Tauride

Iphigénie en Tauride  de Goethe d’après Euripide, version scénique de Nathalie Joy Quesnel

L’œuvre de Goethe (d’abord écrite en prose, puis versifiée vers 1787), est un texte d’une grande beauté qui fut  traduit en français  et publié un siècle plus tard. L’adaptation  de la metteuse en scène canadienne  qui s’est déjà fait une réputation  professionnelle , met en relief les moments  les plus saillants  du drame , en en  donnant une version  scénique  remarquable, avec des étudiantes comme actrices.
Iphigénie, devenue prêtresse de Diane après avoir été emmenée en Tauride (l’actuelle Crimée ) , a la nostalgie de son pays natal, la Grèce. Le roi Thoas , tombée amoureux d’Iphigénie,  la presse de partager son trône et,  puisqu’elle refuse, irétablit les sacrifices humains, en visant surtout deux étrangers:  Oreste accompagné de son fidèle Pylade,  récemment arrivés dans le pays.
Quand on les emmène  au temple de Diane pour y être immolés,  ils reconnaissent  la similarité de leur accent avec celui d’Iphigénie et  la vérité éclate: Iphigénie retrouve ainsi son frère, seul survivant de sa famille. Le texte est remarquable, surtout quand il  reprend l’histoire des Atrides. En effet, la malédiction qui pèse sur  la famille , est le thème des trois pièces de L’Orestie d’Eschyle,  qui est   repris dans le texte de Goethe.  Le récit épique sert de toile de fond à la rencontre entre le frère et la  sœur.  Iphigénie permet à son frère Oreste de s’enfuir, et après  une  dernière rencontre avec le roi où il l’accuse d’ingratitude,  elle explique l’identité de ces étrangers et exhorte le roi  et son frère à la conciliation. Pourtant la tragédie va éclater…
La mise en scène  de Nathalie Joy Quesnel est très intéressante.  Et Biran Smith, son scénographe a réalisé un  beau travail en reconstituant les volumes du temple de Diane, des surfaces en marbre,  baignés par  les éclairages mystiques de Margaret Coderre-Williams. La princesse est accompagnée par  deux figures grecques, les multiples voix d’Iphigénie. C’est  un chœur de jeunes femmes  délicates qui se déplacent comme des danseuses, évoquant les bas-reliefs antiques ou les vases  grecs, comme ceux qui ont inspiré  la chorégraphie de L’Après-midi d’un Faune de Nijinski.
Mais faire jouer les hommes par des femmes a influé sur le rythme général  de la mise en scène… Nathalie Joy Quesnel oppose très clairement la présence de ces  femmes , légères, délicates, presque diaphanes, à des guerriers solides  et barbares, qui ont  l’arrogance et  l’habitude de s’emparer de ce qui leur plaît.Et les beaux costumes de Geneviève Couture  font bien ressortir cette opposition mais les casques des guerriers  ressemblent un peu trop à des marmites, ce  qui a  provoqué  quelques rires…
Mais l’énergie  virile,  la force physique, la cruauté, voire la tension érotique,  ne se concrétisent pas  vraiment sur le plateau : les  comédiennes essayent  de se comporter comme des hommes, mais en vain. Ce qui induit  une  mise en scène  trop statique.  En fait, si Nathalie Joy Quesnel a bien compris  ce qu’il en était de la confrontation entre  la douceur séductrice des  personnages féminins et l’instinct de possession des mâles , thème qui est très  fort chez  Goethe,  le contraste  entre ces pulsions  qui auraient dû exister entre  locuteurs et  locutrices  dans  l’acte même d’énonciation du texte , ne se traduit pas sur le plateau. Même Nathalie Joy Quesnel, qui a voulu privilégier la belle langue de  Goethe,  a fait, au préalable, un travail méticuleux sur la pièce avec ces étudiantes/comédiennes qui ont  tout à fait compris  leurs personnages,  le sens  et les mouvements du texte, qu’elles  articulent bien: chose non négligeable pour une tragédie  de cette difficulté.
Signalons la maturité du jeu de Sariana Monette-Saillant (Iphigénie)  qui a dominé la soirée, et  la solide présence scénique de Laurianne Lehouillier (Oreste) à la voix  très agréable. Par ailleurs, la metteuse en scène a  particulièrement soigné les   déplacements et la gestuelle de ses comédiennes, le paysage sonore (excellent),  et les éclairages. Les  tableaux vivants  qu’elle a su créer, en plaçant des personnages aux différents niveaux du dispositif scénique, ont révélé la remarquable précision  du regard  de Nathalie Joy-Quesnel, qui travaille  dans les deux langues: français et anglais,  et l’on attend avec impatience sa prochaine mise en scène.

 Alvina Ruprecht

Iphigénie en Tauride  a été créé au Théâtre de l’Université d’Ottawa.

Texte en ligne: Bibliothèque nationale de France :http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k69353s/f20.image.pagination


Archive pour 17 février, 2011

Iphigénie en Tauride

Iphigénie en Tauride  de Goethe d’après Euripide, version scénique de Nathalie Joy Quesnel

L’œuvre de Goethe (d’abord écrite en prose, puis versifiée vers 1787), est un texte d’une grande beauté qui fut  traduit en français  et publié un siècle plus tard. L’adaptation  de la metteuse en scène canadienne  qui s’est déjà fait une réputation  professionnelle , met en relief les moments  les plus saillants  du drame , en en  donnant une version  scénique  remarquable, avec des étudiantes comme actrices.
Iphigénie, devenue prêtresse de Diane après avoir été emmenée en Tauride (l’actuelle Crimée ) , a la nostalgie de son pays natal, la Grèce. Le roi Thoas , tombée amoureux d’Iphigénie,  la presse de partager son trône et,  puisqu’elle refuse, irétablit les sacrifices humains, en visant surtout deux étrangers:  Oreste accompagné de son fidèle Pylade,  récemment arrivés dans le pays.
Quand on les emmène  au temple de Diane pour y être immolés,  ils reconnaissent  la similarité de leur accent avec celui d’Iphigénie et  la vérité éclate: Iphigénie retrouve ainsi son frère, seul survivant de sa famille. Le texte est remarquable, surtout quand il  reprend l’histoire des Atrides. En effet, la malédiction qui pèse sur  la famille , est le thème des trois pièces de L’Orestie d’Eschyle,  qui est   repris dans le texte de Goethe.  Le récit épique sert de toile de fond à la rencontre entre le frère et la  sœur.  Iphigénie permet à son frère Oreste de s’enfuir, et après  une  dernière rencontre avec le roi où il l’accuse d’ingratitude,  elle explique l’identité de ces étrangers et exhorte le roi  et son frère à la conciliation. Pourtant la tragédie va éclater…
La mise en scène  de Nathalie Joy Quesnel est très intéressante.  Et Biran Smith, son scénographe a réalisé un  beau travail en reconstituant les volumes du temple de Diane, des surfaces en marbre,  baignés par  les éclairages mystiques de Margaret Coderre-Williams. La princesse est accompagnée par  deux figures grecques, les multiples voix d’Iphigénie. C’est  un chœur de jeunes femmes  délicates qui se déplacent comme des danseuses, évoquant les bas-reliefs antiques ou les vases  grecs, comme ceux qui ont inspiré  la chorégraphie de L’Après-midi d’un Faune de Nijinski.
Mais faire jouer les hommes par des femmes a influé sur le rythme général  de la mise en scène… Nathalie Joy Quesnel oppose très clairement la présence de ces  femmes , légères, délicates, presque diaphanes, à des guerriers solides  et barbares, qui ont  l’arrogance et  l’habitude de s’emparer de ce qui leur plaît.Et les beaux costumes de Geneviève Couture  font bien ressortir cette opposition mais les casques des guerriers  ressemblent un peu trop à des marmites, ce  qui a  provoqué  quelques rires…
Mais l’énergie  virile,  la force physique, la cruauté, voire la tension érotique,  ne se concrétisent pas  vraiment sur le plateau : les  comédiennes essayent  de se comporter comme des hommes, mais en vain. Ce qui induit  une  mise en scène  trop statique.  En fait, si Nathalie Joy Quesnel a bien compris  ce qu’il en était de la confrontation entre  la douceur séductrice des  personnages féminins et l’instinct de possession des mâles , thème qui est très  fort chez  Goethe,  le contraste  entre ces pulsions  qui auraient dû exister entre  locuteurs et  locutrices  dans  l’acte même d’énonciation du texte , ne se traduit pas sur le plateau. Même Nathalie Joy Quesnel, qui a voulu privilégier la belle langue de  Goethe,  a fait, au préalable, un travail méticuleux sur la pièce avec ces étudiantes/comédiennes qui ont  tout à fait compris  leurs personnages,  le sens  et les mouvements du texte, qu’elles  articulent bien: chose non négligeable pour une tragédie  de cette difficulté.
Signalons la maturité du jeu de Sariana Monette-Saillant (Iphigénie)  qui a dominé la soirée, et  la solide présence scénique de Laurianne Lehouillier (Oreste) à la voix  très agréable. Par ailleurs, la metteuse en scène a  particulièrement soigné les   déplacements et la gestuelle de ses comédiennes, le paysage sonore (excellent),  et les éclairages. Les  tableaux vivants  qu’elle a su créer, en plaçant des personnages aux différents niveaux du dispositif scénique, ont révélé la remarquable précision  du regard  de Nathalie Joy-Quesnel, qui travaille  dans les deux langues: français et anglais,  et l’on attend avec impatience sa prochaine mise en scène.

 Alvina Ruprecht

Iphigénie en Tauride  a été créé au Théâtre de l’Université d’Ottawa.

Texte en ligne: Bibliothèque nationale de France :http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k69353s/f20.image.pagination

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