Le Roi Cymbeline
Le Roi Cymbeline, de Shakespeare, mise en scène Hélène Cinque
Le spectacle s’est joué un mois au Théâtre du Soleil, il fallait y aller plus tôt… Cela n’interdit pas d’en rendre compte. Bernard Sobel avait exhumé la saison dernière avec les élèves de l’ENSATT cette étrange tragi-comédie des erreurs, rarement jouée. Jugez-en : le roi Cymbeline a perdu ses deux fils, et ne s’en remet que dans les bras de sa seconde femme, une vraie méchante perfide et doucereuse. Comble, il chasse Imogène, sa fille unique, pour avoir épousé secrètement celui qu’elle aime et non Clotène, le fils taré de sa reine. Exil de Posthumus, le héros, pari pervers d’un Iago qui lui fait croire que sa femme l’a trahi, fuite de la femme en question, rencontre dans les bois avec deux sauvages qui sont ses propres frères, pas si morts que ça, nobles amitiés, guerres et alliances … On est en plein conte, comme dans le Conte d’hiver ou Comme il vous plaira, ces grandes pièces méconnues parce qu’elles paraissent légères.
Hélène Cinque et sa troupe en donnent un spectacle formidable de rythme et de précision. Le sol de terre légère assourdit les pas, permet tous les rebonds, les chutes, les cascades presque dansées ; le décor entre et sort à toute vitesse devant un écran d’images et d’ombres qui élargit l’espace. Qu’est-ce qui manque ? Seulement de creuser, d’approfondir le jeu individuel des comédiens, pour qu’on touche aussi à la belle mélancolie shakespearienne. Mais, sans parler des mois de travail que cela supposerait – et qui peut se les offrir aujourd’hui ?- , ce n’est pas le choix de la compagnie.
À cette réserve près, il faut saluer l’intelligence de la mise en scène dans le choix des doubles rôles, et l’habileté des comédiens : métamorphoses magiques de Pierre Ficheux entre ses deux rôles rivaux, Posthumus et Clotène, le courageux tout d’une pièce, et le lâche bravached’Alain Hhouani entre le roi affaibli et velléitaire et le farouche Belarius, l’homme des bois qui a adopté ses fils.
Une compagnie à ne pas manquer, la prochaine fois.
Christine Friedel