Un Tramway nommé Désir de Tennessee Williams, texte français de Jean-Michel Desprats, mise en scène de Lee Breuer.
Un an après les représentations d’une adaptation du Tramway par le metteur en scène Krystof Warlikoswski à l’Odéon, ( voir le Théâtre du Blog du 26 et du 15 février) , c’est au tour de Lee Breuer de s’emparer de cette pièce-culte, joué par Marlon Brando au théâtre en 48 puis devenu aussi un film culte, celui d’Elia Kazan ( 1951) avec toujours Marlon Brando, et Vivian Leigh.
En fait, sauf erreur, c’est la première fois qu’une pièce américaine est jouée salle Richelieu. Vous avez dit, énorme? Eh! Bien, oui, c’est énorme, mais les faits sont têtus, comme disait le camarade Staline; nombre d’auteurs contemporains d’origine étrangère auront ainsi été jouées à la Comédie-française, et c’est bien ainsi, des dramaturges étrangers ont été joués, le dernier en date est le jeune écrivain italien Fausto Paravidino… Mais ceux qui sont entrés au répertoire et dont les pièces y ont été effectivement montées, sont bien rares: Ostrowski, Gombrowicz, (mais pas Witkiewicz), Horvat, de Filippo, Fo, et c’est récent !
Mais ni Pinter, ni Wesker, ni Bond, ni Crimp… Ni Botho Strauss, ni Handke…Comme s’il n’y avait qu’une seule petite porte royale pour entrer au répertoire, celle de la salle Richelieu…
Tennessee Williams, vingt sept ans après sa mort, aura donc été le premier américain à y être joué! En effet, mais pas Eugene O’Neill, ni Edward Albee, ni Arthur Miller, ni Thorton Wilder, Cliford Odets, ou encore James Baldwin qui vécut quand même près de quarante ans en France. Passons sur cette grande frilosité franco-française!
Muriel Mayette a fait appel à Lee Breuer, metteur en scène new yorkais, créateur de l’excellente compagnie des Mabou Mines, dans les années 70, qui vint souvent en France et qui y monta Le Dépeupleur de Beckett avec David Warrilow, et plus récemment Maison de poupée au Théâtre national de la Colline. Lee Breuer pense avec raison que l’on ne pouvait plus monter la pièce comme elle l’avait été à sa création , il y a déjà plus de soixante ans. Mais comment?
Il se réfère à un entretien ( 1960) entre Tennessee Williams et Yukio Mishima où il dit: “ Il faut être un habitant du Sud décadent pour comprendre les Japonais. “ Mélange de brutalité et d’élégance » lui répond Mishima, et Williams lui précise: “ Au Japon, vous êtes proches des habitants du Sud des Etats-Unis”. Soit. Lee Breuer ajoute que toute la pièce est dominée par le subjectivisme de Blanche Du Bois. Et, dans un syllogisme parfait, Lee Breuer ajoute: “ La vie est un rêve et ce rêve devient cet orientalisme japonais dans une transfiguration française”.
Lucide, il ajoute quand même une petite réserve: » c’est un choix périlleux”, pour conclure que le parlé français de La Nouvelle-Orléans ne peut plus être transmissible, donc qu’il fallait trouver une métaphore. “ Nous proposons donc l’orientalisme japonais pour illustrer cet esprit du Mississipi d’avant la guerre de Sécession”. C.Q.F.D. Vous suivez? Non pas vraiment!
Donc, que fait Lee Breuer? Il essaye de réaliser une mise en scène japonisante avec tout le savoir-faire qu’on lui connaît. Le spectacle commence par une très belle image de girls de cabaret, éclairées de lumière bleue. Le début est accompagné de blues au piano à l’avant-scène, pendant que Steve (Bakary Sangaré en aveugle, à cheval sur le bord de la loge dite du Président de la République) parle à Eunice Hubbell (Léonie Simaga) qui se trouve, elle, dans la loge en vis-à-vis côté cour…??? Les choses paraissaient déjà mal parties!
Lee Breuer va faire défiler, et presque sans cesse, des châssis suspendus représentant des papiers ou des peintures japonaises, et même- si, si, c’est vrai- des peintures reproduisant en trois exemplaires, le fameux tramway!!!!
Pendant que, des serviteurs habillés, comme des manipulateurs de marionnettes bunraku (les zukari), de longues robes noires (kurogi) et la tête masquée par un voile aussi noir, vont tendre un verre ou une bouteille de whisky à Blanche ou à Stan, et ranger les accessoires nécessaires aux scènes représentées.
La scène reste nue , juste entourée de pendrillons noirs, avec des praticables dotés de quelques marches, qui vont être déplacés,sans doute par les dessous, en silence, mais, non parfois sans quelque difficultés de raccord, dans une circulation infernale qui donne un peu le tournis.
Mais, pour donner une note de réalisme et faire plus vrai, dans cet univers de pacotille pas vraiment japonais, bien sûr, comme la maison de Stan et de Stella est située dans un quartier pauvre près d’une voie ferrée, on voit même un disque lumineux, censé représenter la lanterne d’une locomotive qui passe, de temps en temps, et laisse échapper un petit nuage de fumée. Tous aux abris!
On comprend que Lee Breuer ait voulu gommer le pittoresque un peu dépassé dont on affuble parfois en France les pièces de Tennessee Williams et n’ait voulu tenir aucun compte ou presque des longues et nombreuses didascalies écrites par l’auteur. Mais le formalisme absolu et le dispositif esthétisant-mais souvent assez laid sur le plan plastique mis en place, font que sa mise en scène ne fonctionne pas. En effet, tout sonne faux dans ce mélange de jeu réaliste et de scénographie prétentieuse qui casse la pièce.
Désolé, Lee Breuer, il faut quand même que soit rendue plus crédible la folle aventure où s’est lancée la pauvre Blanche Du Bois en s’installant dans l’appartement minable où vivent sa sœur Stella et son mari Stanley Kowalski. Impossible en effet de croire une seconde aux rapports difficiles entre les personnages, et à la déchéance de Blanche, comme si la pièce de Tennessee Williams- toujours aussi magnifique mais, ici, malmenée, s’y refusait.
Sans tomber dans le décor construit et minutieux, comme celui de Baby Doll , mis en scène la saison dernière, au Théâtre de l’Atelier par Benoît Lavigne, il y avait d’autres moyens de s’en sortir. Et Lee Breuer aurait pu nous épargner ces allers-et-retours dans la salle, et ces inutiles micros H.F., comme s’il découvrait les derniers petits joujoux scéniques à la mode des mises en scène les plus conventionnelles… C’est très décevant .
Enfin, pour une fois, on échappe à la vidéo que Warlikowski affectionne tellement. La musique instrumentale et vocale procure des pauses qui sont les bienvenues. Et l’interprétation dans cette réalisation quelque peu bancale et sans beaucoup de rythme? Heureusement, là Lee Breuer, excellent directeur d’acteurs, s’en sort plutôt bien, et sait traiter les thèmes chers à T. Williams: la violence, surtout celle de Stanley et celle de ses copains tous accros au jeu et à l’alcool, la dépendance sexuelle de Stella et de Stan, comme de Blanche, le mal-être et la déchéance sociale, la difficulté de Mitch à s’occuper de sa vieille mère très malade. Aux meilleurs moments, la solitude de chacun d’entre eux est poignante quand il s’agit de scènes à deux personnages. On sent la vie sans espoir de ce trio infernal et le recours à l’imaginaire le plus délirant chez Blanche, surtout pour ne pas avoir à se confronter à la réalité quotidienne.
Seule petite lumière à l’horizon, dans ce marasme social et psychologique: le bébé qu’attend Stella, même si on l’on peut prévoir, sans se tromper, qu’il va vivre des jours difficiles dans ce taudis. Si Eric Ruf dans Stan ne semble pas vraiment à l’aise (il le serait davantage s’il savait mieux son texte)… Mais Anne Kessler est, elle, impeccable, dans Blanche Du Bois, avec une belle palette de nuances dans les sentiments, et, cela dès le début du spectacle, ce qui n’est pas évident: enfant gâtée qu’elle est toujours restée, coquette sans beaucoup de goût, minaudant, exaspérante et paumée depuis qu’elle a été lâchée par son grand amour, déjà assez déséquilibrée quand elle arrive chez Stella, angoissée et menteuse sans scrupules, affolée, puis résignée par la grande pauvreté du logement où vit sa sœur. Mais aussi alcoolique et provocante comme la pute qu’elle avouera avoir été dans des hôtels de passe, elle sait aussi être parfois affectueuse avec sa sœur.
Blanche est aussi aussi haineuse et incapable de compréhension pour son beau-frère qu’elle traite avec mépris de « Pollack « et qui deviendra vite odieux avec elle. Aussi cynique , elle n’hésitera pas finalement à coucher avec lui, quand elle comprend qu’il ne veut plus d’elle chez lui… Comme dans une sorte d’exorcisme personnel ou de plaisir masochiste à aller jusqu’au bout de sa déchéance, puisqu’elle semble devenir consciente de l’enfer où elle est en train de plonger. Anne Kessler fait tout cela, sans prétention inutile mais avec une belle solidité… Grégory Gatebois, dans le rôle de Mitch, le pauvre garçon célibataire, longtemps attiré par Blanche, comme Stella que joue Françoise Gillard (l’excellente Roxane de Cyrano) sont, eux aussi, tout à fait à la hauteur de leurs personnages.
Alors à voir? Pas vraiment, à moins de ne pas être difficile du tout: cette japonisation reste superficielle et pas très passionnante surtout trois heures durant, et si vous aviez envie de voir une représentation assez forte de ce Tramway mythique, vous serez déçu:tout est trop sage, trop propre sur soi pour être crédible. Enfin, cadeaux de consolation: vous entendrez le texte très bien traduit par Jean-Michel Desprats, et vous retrouverez ou découvrirez Anne Kessler.
Mais la dramaturgie adoptée ne pouvait vraiment tenir la route, et ce que l’on voit sur le plateau tient plus d’une ébauche, d’une recherche qui aurait dû rester confidentielle… Dans ces conditions, autant revoir le film de Kazan, en attendant une autre mise en scène plus convaincante…
Philippe du Vignal
Comédie-Française, Salle Richelieu (en alternance).