La Mouette
La Mouette d’Anton Tchekhov, mise en scène de Christian Benedetti
(Nous avons choisi de soumettre ce spectacle au jugement de deux de nos plus jeunes critiques: Davi Juca et Nicolas Arribat).
Dans La Mouette, Treplev écrit une pièce pour Nina, dont il est amoureux, et veut la présenter à toute sa famille réunie dans la maison de campagne. Il souhaite obtenir l’estime de sa mère, entichée d’un écrivain à la mode, Trigorine. Nina en est amoureuse et elle le suivra dans l’espoir de devenir une actrice reconnue. Treplev, lui, aspire à changer les choses à travers l’écriture, mais il finit par y renoncer – et c’est ce rapport à l’œuvre d’art qui semble être au cœur de cette pièce.
Chaque personnage est confronté à ses aspirations artistiques mais aussi à l’échec, la désillusion. La lumière de la salle reste allumée. Pour tout décor, il y a sur la très profonde scène du Pôle Culturel un cadre de porte couvert d’un drap blanc, une servante éteinte, des chaises empilées sur les côtés, que les acteurs manipulent quand c’est nécessaire.
En fond de scène côté jardin, il y a une porte ouverte. Nina entre par là, accourant pour la pièce de Treplev qu’elle doit jouer. Quant aux autres personnages, ils arrivent un à un , par la salle, empruntent la porte d’entrée et entrent sur scène.
Procédé qui établit un certain rapport avec le public, puisqu’il brise le fameux quatrième mur de la représentation théâtrale. Les comédiens sont remarquables et possèdent une solide technique. Jean-Pierre Moulin interprète un Sorine à la santé fragile mais à la voix assurée : il entre par la salle et s’assoit sur un fauteuil du premier rang pour discuter avec Treplev, et, malgré ce long moment dos au public, celui-ci ne perd pas une miette de ses paroles. Philippe Crubézy est un Dorn jovial, au rire contagieux, véritable image du médecin de campagne que fut Tchekhov en son temps.
Mais, parfum nouveau, Nina est interprétée par Anamaria Marinca, actrice roumaine qui joue ici pour la première fois en français au théâtre, et qui donne une saveur toute orientale à son jeu. Avec ses choix soulignés, Christian Benedetti donne à voir une Mouette contemporaine. Dans le choix des costumes d’abord: Nina porte un débardeur et une veste en cuir, Dorn un simple gilet et un chapeau noir et Arkadina, qui qui est pourtant une actrice renommée dans son milieu, se contente de vêtements simples aux tons violets et d’un pull noué à la ceinture. Le summum de ce qu’on pourrait appeler une recherche de la banalité: Trigorine, joué par Benedetti lui-même, porte un simple polaire rouge, ce qui souligne ses plaisirs simples comme la pêche à la ligne.
La Mouette s’ouvre par une mise en abyme du théâtre avec la pièce que donne Treplev, avec Nina dans le jardin. Cette recherche formelle est loin d’être insignifiante, comme le souligne Dorn : « Je n’y comprends peut-être rien ou je suis devenu fou, je ne sais pas ; mais cette pièce m’a plu ». Et le metteur en scène va plus loin qu’une simple actualisation: la mouette tuée par Treplev devient juste un dessin à la craie sur le sol, tout comme le domaine qu’observe Nina et Trigorine parle de célébrité et de littérature les mains dans ses poches, en haussant les épaules.
Mais l’usage récurrent des passages dans la salle par les personnages semble estomper et user le lien plus direct au public. Notamment, quand Nina finit l’extrait de la pièce de Treplev assise au milieu du public, ou quand elle écoute Trigorine, assise sur une marche de la salle, comme si elle n’était qu’un prolongement de l’espace de jeu scénique.
Benedetti pourrait se tromper quand il actualise La Mouette, devenue aujourd’hui un classique. Mais dans Des Classiques dans Le théâtre des idées, Vitez, qui fut son professeur au Conservatoire, dit bien : « Il ne faut nullement chercher à les reconstituer tels quels mais il faut s’efforcer au contraire d’en faire des reconstitutions imaginaires » ; et de préciser plus loin : « Et ce qui est important, c’est de rendre bien étranges, bien surprenantes, bien insolites ces œuvres, au lieu de les rapprocher de nous, tout à fait artificiellement, par l’actualisation ».
La démarche ici adoptée, que l’on peut apprécier ou non pour des raisons diverses, reste cependant passionnante, puisqu’elle touche à la conception même de la mise en scène. Ce qui prime ici, c’est le texte, et, sur ce point, l’on peut faire confiance à la langue de Tchekhov.
Davi Juca
Spectacle vu dans la salle de spectacles du Pôle Culturel d’Alfortville le 11 février 2011.
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La salle du Pôle Culturel d’Alfortville accueille une Mouette un peu inhabituelle : le plateau est quasiment nu, la lumière de la salle ne s’éteint pas de tout le spectacle, et les comédiens jouent dans les gradins ou à l’avant-scène. Ce grand plateau vierge, c’est la campagne russe, immuable et oppressante. Les comédiens près de nous, voire au milieu de nous, nous apparaissent très humains. Tout se passe, donc, comme si la distinction entre comédiens et spectateurs perdait de son importance au profit d’une autre : celle entre des hommes (acteurs et spectateurs) et un espace (la scène). À l’immuabilité des paysages, et de la société russe de l’époque, s’oppose la volonté de vivre des personnages…
La pièce de Tchékhov se situe précisément à la charnière de cette opposition. Elle est l’histoire d’un jeune dramaturge, Treplev (Xavier Legrand). Amoureux, inspiré, impétueux, il veut faire table rase des formes traditionnelles d’écriture pour que “des formes nouvelles” puissent jaillir. Mais il reçoit de plein fouet la condescendance des « anciens ». Et son grand amour, la belle Nina (Anamaria Marinca), part pour Moscou, rejoindre l’amant de sa mère Arkadina. Le désir de vivre et d’aimer de Treplev va alors se transformer en pulsion de mort, qui s’oppose tout autant à l’oppression qu’il ressent devant la campagne russe.
Treplev n’est pas le seul personnage à subir cette oppression. En sont également victimes la fille (N. Renaux) et femme de l’intendant (Marie-Laudes Emond). Nina aussi, c’est pour cela qu’elle part en ville. Seuls les « anciens » semblent trouver une sorte de paix dans cette campagne russe. Comme Arkadina (Brigitte Barilley), mère de Treplev et célèbre comédienne, son amant (Christian Benedetti), écrivain au sommet de la gloire, et l’intendant (Laurent Huon), symbole de l’exploitation agraire ancestrale. Ils font corps avec la nature : tout aussi immuables, ils incarnent une Russie archaïque, encore socialement et culturellement très fermée sur elle-même.
Aussi, dans La Mouette, les rapports que les personnages entretiennent avec leur environnement sont-ils intensifiés. Et cela appelle une mise en espace rigoureuse. Comme celle de Christian Benedetti qui utilise l’opposition scène / comédiens&public et gomme tout élément superflu : déplacements d’acteurs et accessoires réduits au minimum, et rares changements de lumière.
En outre, La Mouette comporte de nombreuses tirades : sur l’amour, la vie, l’écriture, la mort. Pourtant l’intérêt du texte n’est justement pas là, mais dans les silences qui les articulent. S’établit alors une véritable relation entre espace et personnages. Les silences marqués par les comédiens sont intenses et chargés de sens ; ils induisent un jeu non-psychologique. Par exemple, quand Treplev déchire sans rien dire pendant plusieurs minutes des feuilles de papier.
La pièce de Tchékhov apparaît donc limpide et intense, grâce à l’excellente mise en scène de Christian Benedetti, et à une interprétation sobre et de grande qualité.
Nicolas Arribat
Spectacle vu au Pôle culturel d’Alfortville le 11 février.
La Mouette sera jouée aussi du 28 février au 2 avril 2011 au Théâtre Studio d’Alfortville, à 20h30 du mardi au vendredi, et, à 19h30, le samedi.