Ma Chambre froide
Ma Chambre froide, texte et mise en scène de Joël Pommerat.
C’est un spectacle où la narration, du moins des morceaux de narration, est plus explicite que dans les précédents spectacles de Jöel Pommerat mais, avec une dramaturgie qui lui est bien personnelle; de temps à autre, en effet, une voix off ponctue, voire commente l’action, un peu comme dans une sorte de roman-feuilleton théâtral. L’auteur/ metteur en scène a abandonné le fantastique et le fabuleux qui était un peu comme la signature de ses précédents spectacles et Ma chambre froide qui garde quelque chose du conte moderne possède une lisibilité sans défaut: personnages, intrigue, etc… du moins en apparence, puisque Joël Pommerat invite quand même le spectateur à l’aider dans la construction de cette tragi-comédie…
Cela se passe dans une entreprise- une P.M.E. comme on dit- qui possède un super-marché, un abattoir, un bar et une cimenterie, et c’est cet ensemble qui est dirigé par un certain Blocq qui fait penser à la fois à Maître Puntila, le héros de Brecht mais aussi au Thomas Pollock Nageoire de L’Echange de Claudel.
Méprisant, raciste, exigeant , l’engueulade et le hurlement faciles, cynique et enclin à la promotion-canapé; Blocq est évidemment détesté mais ses employés n’ont pas le choix et filent doux…. Jusqu’au jour où il apprend de ses médecins qu’il est condamné et qu’il disparaîtra dans quelques mois. Et, comme il hait profondément ses enfants, il va léguer son entreprise à ses employés, à charge pour eux de consacrer une journée par an à sa mémoire, de façon à ce qu’il reste quand même quelque chose de lui. C’est Estelle , une jeune femme douce et gentille, qui rend service à tout le monde, sans jamais se plaindre de ses collègues qui abusent de sa gentillesse, ni de son patron qui, pense-t-elle, est quand même un être bon qui, s’il voyait correctement les choses, se conduirait comme il faut. Estelle n’arrive pas à condamner les agissements des autres: c’est sa force mais aussi sa faiblesse et elle, avec ses collègues, s’engage devant notaire à monter un spectacle sur la vie de Blocq. Le spectacle, avec des animaux joués par les employés, bien entendu, ne verra jamais le jour!
Aucun d’entre eux n’a été préparé au bouleversement qui va tous les secouer, aussi fortement que s’ils avaient été licenciés par Blocq et, comme le dit Adeline: « Passe encore d’hériter d’un magasin et d’essayer d’apprendre à le diriger mais devenir, en même temps, patron de trois autres sociétés dans lesquelles je n’ai jamais mis les pieds, ça me dépasse, je l’avoue, et ça me liquéfie ça! « . Adeline et ses collègues, de petits employés smicards qu’ils étaient, vont se retrouver tous patrons à égalité, et découvrir à leurs dépens , les rouages qui font tourner la boîte, et comment il faut parfois , envisager et vite et le moins mal , des solutions dures radicales, même si c’est aux dépens d’autres hommes qui n’ont rien à se reprocher… C »est à partir de là que les vrais ennuis vont commencer . En fait, la cession de l’entreprise aux employés se révéler être un cadeau empoisonné, avec une série de catastrophes annoncées mais que Blocq avait fait passer sous le tapis: le bar se révèle être un bar à putes, et ils donc ont peur d’être accusés de proxénétisme; les abattoirs ne sont plus aux normes et il faudrait beaucoup d’argent pour faire les travaux, et, comme le cours de la viande n’est pas fameux, on irait droit dans le mur ; quant à la cimenterie, elle, ne vaut plus grand chose, sauf à vendre le terrain…
Parmi eux, la situation n’est ps réjouissante et ils commencent à s’injurier; la gentille et douce Estelle, va devenir une femme très dure, au moment où il va falloir procéder à des choix douloureux. C’est elle aussi qui va prendre en main les répétitions du spectacle en hommage à leur ancien patron, petit clin d’œil de Joël Pommerat au grand Shakespeare et sans doute l’un des meilleurs moments du spectacle.
Et le magasin? Il tiendra encore le coup mais lui aussi finira par fermer. Et cela se termine comment ce feuilleton? Le mari policier d’Estelle se fera tuer, Estelle quittera son emploi sans crier gare pour ne revenir que bien des années après.
Mais, ultime coup de théâtre, il y aura une fin heureuse pour les autres employés, que l’on ne vous dévoilera pas … Comme toujours chez Joël Pommerat, le dialogue d’abord mais aussi la mise en scène, la direction comme le jeu des comédiens (Jacob Ahrend, Saadia Bentaïeb, Lionel Codino, Serge Larivière, Frédéric Laurent, Ruth Olaizola-exceptionnelle dans un double rôle que l’on vous laisse découvrir-Maria Pumontese et Nathalie Rjewsky ) sont d’ une rare qualité: les changement de scène, ponctués par des noirs, sont impeccables, comme les éclairages et le son.
Joël Pommerat a sa façon bien à lui, comme il dit, de considérer « le théâtre comme un lieu possible d’interrogation ». Et toute cette machinerie dramaturgique qui parait simple comme toutes les belles choses, est en réalité fondée, semble-t-il, sur une espèce d’équilibre complexe entre le temps théâtral et le temps du vécu de chacun des protagonistes, et le remarquable scénario de cette fable ne cesse de nous surprendre.
Seuls bémols: la pièce, qui dure quand même deux heures et quart, patine un peu sur la fin et aurait sans doute été plus forte, si elle avait eu quelque 25 minutes de moins. Et cette inscription du temps vécu dans un cercle avec le public installé tout autour sur de raides banquettes n’est pas vraiment convaincante.
Mais bon, qu’importe: il n’est pas si fréquent de voir un spectacle de cette ampleur et de cette intelligence…
Philippe du Vignal
Odéon-Théâtre de l’Europe-Ateliers Berthier, jusqu’au 27 mars puis au Théâtre d’Arras les 12 et 13 mai, et ensuite, en tournée, pendant la saison 2011-2012. T: 01-44-85-40-40