Long voyage du jour à la nuit

 Long voyage du jour à la nuit d’Eugène O’ Neill, traduction de Françoise Morvan, mise en scène de Célie Pauthe.

 0613413001299667509.jpgPrès de trente ans  (1913) après sa première pièce En route vers  Cardiff, Eugène O’Neill commence en 1939 ce Long Voyage, qu’il situe en 1912 , comme pour boucler un parcours, et  dont sa dernière pièce,  Une Lune pour les déshérités ,sera comme  une  sorte de prolongement  .
Il avait  cinquante ans et souffrait déjà de la maladie de Parkinson dont il devait mourir en 53.. C’est  sans doute la pièce où Eugène O ‘Neill se raconte le plus, dans une sorte d’autobiographie douloureuse où l’on retrouve sa famille: un père qui fut un acteur qui ne fit guère d’efforts pour jouer un autre rôle que celui du Comte de Monte-Cristo qui l’avait fait connaître et qui sombra dans l’alcoolisme  comme  le frère d’Eugène; sa mère, elle se droguait à la morphine  pour échapper  à un mal-être permanent.
Le théâtre d’O'Neill n’est en fait connu en France que par quelques pièces, et nous n’avons vu, pour notre part que les plus importantes  Le Désir sous les ormes que monta brillamment Langhoff, Le marchand de glaces est passé, Le deuil sied à Electre, Vingt sept remorque pleines  de coton,  et  La Lune pour les déshérités mais Alain Ollivier, disparu il y a un an déjà,  a bien fait de recommander à Célie Pauthe ce Long voyage du jour à la nuit, pièce peu  jouée ( en 2010 quand même à Alençon!) ;  créée à Stockholm trois ans après  la mort d’O'Neill, contre ses volonté testamentaires,  elle est  longue-presque quatre heures- et pas si facile à monter.
Quatre personnages seulement et quelques répliques de la  femme de chambre: le père, Tyrone, « soixante cinq ans  mais on lui en donne dix de moins » , vieil acteur pas très intéressant, vivant plus dans ses souvenirs de vieux cabot qui n’a jamais eu la volonté de préparer de grands rôles, et toujours le verre de whisky à la main, d’une avarice maladive et incapable de générosité, Jamie le fils aîné qu’il a plus ou moins obligé à  devenir acteur,  qui gagne très mal sa vie, et donc toujours sans le sou, et son  jeune frère Edmund, maigre et atteint d’une tuberculose à un stade déjà  avancé,ce qui, en 1912, ne se soignait pas du tout, et Mary, 54 ans, et la mère, fille  d’un épicier alcoolique et elle- même droguée en permanence; et, même si elle ne veut pas se l’avouer, mère envahissante et  aimante à la fois, dure envers elle-même comme envers ses proches.
Ce quatuor improbable règle ses comptes, dans un amour doublé de haine,  où,  comme le dit Céline Pauthe, les deux parents et leurs fils  se disent tout au cours d’une seule journée. O’Neill nous  les livre ici tels qu’ils sont sans les juger ni les accabler: ils semblent flotter , loin d’une exigence par rapport à eux-mêmes, en proie à un mal-être qui ne les  quitte pas.
On ne les voit jamais rire et ils ont  pour unique consolation, l’alcool ou la morphine. A la fin seulement, il semblent plus  apaisés; la parole, l’acte même de parler les a libérés, alors même qu’il vivent tune tragédie moderne fondée sur une unité d’action, de temps et de lieu on ne peut plus classique, puisque la mort rôde et qu’Edmund  est vraiment très atteint. T
Toute l’action de ces quatre actes se passe dans le salon des Tyrone depuis  8 heures et demi du matin, puis vers 18 h et demi , et enfin à minuit. Plus encore que Tchekov, O’Neill est quelque peu maniaque des  didascalies : il indique avec une grande  précision  la disposition de ce salon de cette maison de campagne, et même les titres des livres de la bibliothèque!
Célie Pauthe a imaginé, elle, que tout pouvait se passer dans une chambre d’hôtel propre mais à décoration minable, au motif que l’écrivain a beaucoup vécu , enfant, dans des hôtels quand son père était en tournée, et que lui- même y est mort.. Ce n’est sûrement pas l’idée du siècle mais bon…
Le décor de Guillaume Delaveau restitue donc avec précision une chambre d’hôtel avec  un numéro sur la porte , assez sinistre avec un  papier  peint vulgaire à grosses fleurs et un plafond blanc, juste éclairée par deux grosses lampes de chevet et un lampadaire; au fond, on voit une salle de douche avec un grand miroir et un lavabo. On pense bien entendu à Edward Hopper mais aussi à Greg Crewdson dont avait pu voir les extraordinaires photos il y a peu à la galerie Templon.
La mise en scène et la direction d’acteurs de Célie Pauthe sont d’une rare exigence  et elle ne fait aucune concession à l’air du temps; et c’est bien ainsi. On pourrait  décrocher de ce texte fleuve mais non, on  écoute,  fasciné et 
avec attention, cet exorcisme familial mis en scène avec intelligence et sensibilité.  Mary, la mère est magnifiquement jouée avec beaucoup de nuances par Valérie Dréville, mais qui,même avec une perruque de cheveux blancs, parait  trop jeune pour le rôle. On nous rétorquera sans doute qu’elle était  chez Vitez,  Clytemnestre , à 25 ans. Mais c’est peut-être moins évident dans l’univers  et le langage réaliste d’O'Neill que, par ailleurs, Célie Pauthe à su très bien traduire, même remarque, en  sens inverse, pour Philippe Duclos, impeccable comme toujours. Même si l’on a un peu de mal  à croire qu’avec ses cheveux blancs, il puisse être le jeune Edmund…
Ou bien, il faut accepter cette convention théâtrale dès le début et se laisser porter par l’immense talent des cinq comédiens: Pierre Baux ( le fils aîné) comme Alain Libolt James Tyrone le père père) et la Anne Houdy ( la servante) sont ,eux  aussi, excellents. Il y avait, ce soir-là, comme de la magie dans l’air et  Célie Pauthe réussit à nous entraîner sans difficulté dans cette espèce de huis-clos infernal.
Cela dit, mieux vaut quand même être dans les premiers rangs… Si les lumières de Joël Hourbeigt – juste  deux lampes de chevet et un lampadaire- soutenues parfois par quelques pinceaux de projecteur sont très belles comme d’habitude, on est quand même un peu dans la pénombre. Alors y aller? Oui, trois fois oui, mais attention, le spectacle a quand même quelques longueurs vers la fin de la première partie… Mais quelle mise en scène!
Notre consœur, et néanmoins amie, Edith Rappoport n’a pu dépasser l’entracte…comme quelques spectateurs, mais le reste du public, même un peu sonné par cette drôle de ballade dans cet enfer sur terre, semblait  vraiment touché et heureux-paradoxe du théâtre- d’avoir vu vivre pendant presque quatre heures avec ces drôles de frères humains attachants, même empêtrés qu’ils sont dans cette tragédie familiale qui, sur fond d’alcoolisme et de drogue, a, soixante ans après, de singuliers accents contemporains…

Philippe du Vignal

Théâtre de la Colline jusqu’ au 9 avril. Attention c’est à 20 heures!

 

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