Les Fridolinades
Les Fridolinades de Gratien Gélinas, mise en scène de Perry Schneiderman.
Écrit par le québécois Gratien Gélinas entre 1938 et 1946 (Gélinas est décédé en 1999), ce témoignage de la vie québécoise pendant la deuxième guerre mondiale, devenu un spectacle culte, était conçu au départ pour la radio, à l’époque où la télévision n’existait pas. Présenté comme une suite de sketchs comiques, dont chacun cerne un élément de la vie populaire, il est encore souvent monté dans la » belle province » .
Toutefois, cette co-production du théâtre de la Catapulte à Ottawa et du Théâtre français de Toronto, est la première création franco-ontarienne de la pièce. Le texte d’origine est composé d’une centaine de sketches et les metteurs en scène sont toujours obligés d’en faire sélection, selon les attentes du public ou les possibilités de leur troupe. Dans ce cas présent, Perry Schneiderman de Toronto, responsable de l’adaptation et de la mise en scène, insiste sur les moments « typiques » de la famille à l’époque mais rehaussés par une verve comique et un jeu physique qui frôlent la farce. Les portes claquent, les personnages entrent et sortent à la minute près, les pères râlent, les mères exercent leur autorité à la maison, et tous les tabous qui rongent la tranquillité de la maisonnée sont brisés: la sexualité dont on ne parle jamais, le bingo qui est pris très au sérieux et qui retient les femmes à l’église car il se fait dans la salle commune de l’église, et la radio qui joue un rôle primordial quand la femme est coincée à la maison.
Et souvent l’action tourne autour de la radio ou du téléphone, comme pour montrer le pouvoir de ces nouvelles inventions sur cette population qui n’est pas du tout au fait des dernières découvertes technologiques . Et le tout est présidé par Fridolin qui fait le lien entre les sketches en résumant l’action, en expliquant ce qu’il pense. Il situe l’actualité dans la pièce, avant d’évoquer la situation suivante, et l’ensemble de ces petits récits caricaturaux constitue les « Fridolinades ».
Le tout est bien mené, avec un rythme comique soutenu et les cinq comédiens excellent dans des rôles de composition . On est un peu déçu par certains dialogues, révélant une société qui est plutôt en marge du XXe siècle sur tous les plans. On entend des questionnements identitaires, on constate jusqu’à quel point les dialogues reflètent un profond manque de confiance en soi, une dévalorisation de la personne et une absence de remise en question des rapports avec la majorité anglophone au Canada. Ce sont très clairement des colonisés qui semblent ne rien connaître de l’histoire du Québec . L’Eglise est la grande absente dans ce dialogue comique sur la société des années quarante, alors qu’elle a démoli le mouvement artistique Refus Global et chassé toute l’avant-garde du pays.
La pièce montre bien toutefois cette société qui acceptait de voir ces artistes chassés de la province et Gélinas excelle à peindre des femmes qui ont leur franc-parler, et d’autres qui s’affolent au moindre contre-temps, et semblent tout à fait incapables de mener une vie hors du foyer. Mais comment se retrouver dans une telle comédie à notre époque ? Un autre élément important dans cette mise en scène est la langue. Michel Tremblay s’est sûrement inspiré de la scène du bingo dans Les Belles-Soeurs qui est un drame sérieux et critique, alors que dans Les Fridolinades, Gélinas jette un regard affectueux sur ce monde un peu simpliste.
Michel Séguin qui joue Fridolin a une belle voix et le jeu très physique des acteurs, dirigés par Schneiderman est pétillant et très amusant. Et pour ceux qui s’intéressent à l’histoire du théâtre québécois, Les Fridolinades est une œuvre qu’il faut voir. Elle dépeint une époque sur le plan social et artistique car la langue populaire dans ce contexte caricatural dit bien quelles étaient les limites imposées par la bourgeoisie culturelle à l’expression locale.
Cette langue du peuple était interdite dans les théâtre sérieux parce que les gens en avaient honte. Elle n’était bonne que pour faire rire, pensaient-ils. Pourtant, Michel Tremblay a transgressé ces interdits à partir du moment où ses personnages des Belles-sœurs (1968), se sont mis à parler comme les personnages de Gélinas, mais dans un contexte poétique, et quasi tragique.
Depuis, on ne se moque plus de cette langue populaire et le théâtre contemporain était né au Québec à partir du moment où l’on a pu prendre langue du peuple au sérieux. Toutefois, hors de ce contexte historique, Les Fridolinades présente peu d’intérêt scénique actuellement.
Et Broue, une pièce qui fait parler des gens du peuple rassemblés autour d’un verre de bière dans la taverne du coin, a pris la relève et est jouée sans arrêt au Québec comme en Ontario…
Alvina Ruprecht
Les Fridolinades , une coproduction du théâtre La Catapulte et le Théâtre français de Toronto, se joue à la Nouvelle scène, à Ottawa.