Words are watching you

Words are watching you, création collective , texte et mise en scène Julie Timmerman

words.jpgSous l’œil de Big Brother, on n’est pas seulement surveillé, on a la langue nouée. Novlangue : les choses sont leur nom, il suffit de trafiquer les mots pour changer le réel. Changer, non, mais masquer. Il n’y a plus de pauvres, on le sait, le mot est vieilli et inacceptable : il n’y a, au choix, que des marginaux qui ont choisi ce style de vie -faut-il dire clochards, vagabonds, mendiants, miséreux… (le lexique était riche, autrefois…), ou plus pudiquement SDF ?. En tout cas des gens dits modestes qui heureusement ont parfois l’orgueil de leur courage et de leur révolte, ou toute dénomination propre à éliminer ce qu’elle désigne.
L’idée, c’est, au Minimot (le Ministère des Mots) celle d’un bureau de la correction du langage où trois employés s’activent à ôter des dictionnaires et des livres les mots qui ne doivent plus avoir cours ou les sens dont ne veut plus…  Un Big Brother caché (tout comme ces bébés voraces que sont les Marchés) derrière la modernité.
Le tout, sous l’aile d’une Big Mother rassurante: ne vous inquiétez pas de votre liberté, entre autres, on s’en occupe pour vous. S’il faut être de son temps à ce prix, quel temps perdu… À côté d’eux, une miss-télé, miss Bonheur, militante de la guimauve qui engluent et dans la censure par le sucre.
De beaux moments de saccage, un texte d’autant plus ironique qu’il emprunte directement ses énormités au langage politique du jour qui fournit plus que son compte… Un heureux retour au cabaret politique où la sévérité du questionnement n’interdit pas le rire. Mais le tout peut-être trop pressé, trop vite fait. Bref, on demanderait un peu plus de théâtre…

Christine Friedel

Confluences, du 3 au 20 mars, Paris (XX ème).


Archive pour mars, 2011

Encore une heure si courte

Encore une heure si courte, de Claire Heggen et Yves Marc

 

Tout est en ordre : des boîtes, des cubes bien rangés sur scène. Et puis un premier petit désordre s’introduit : les cubes bougent, émettent des sons délicats, rares. Coquilles de drôles de Bernard-l’ermite, soit deux circassiens et  un mime : Pau Bachero, Sébastien Dault, Jean-CHarles Gaume. Ces trois-là, avec une incroyable maîtrise, jouent de tous les déséquilibres, se perchant sur une tour de cubes comme en bâtissent les  enfants, entrant et sortant de boîtes incroyablement petites, achoppent, échouent, trébuchent comme seuls peuvent le faire les virtuoses du mouvement.
Il faut les voir, passage particulièrement savoureux, s’empêtrer dans trois vestes malencontreusement boutonnées ensemble et exploiter tous les magnifiques empêchements que cela permet.  Un autre  désordre, qui va en grandissant : un  petit papier vient froisser la remarquable géométrie initiale : cela grandit, grandit. Quel message portait ce premier  papier ? On ne le saura pas, pas plus que la musique parlée de Georges Aperghis.
C’est peut-être là le défaut de ce spectacle du Théâtre du Mouvement : on n’a pas envie d’une leçon, d’un « sens obligatoire », il faudrait juste que cette langue mystérieuse et riche crée une tension dramatique dans laquelle le spectateur puisse se projeter. Du coup, cette heure ne paraît pas toujours si courte.
Reste le-grand-plaisir d’admirer des performances aussi exceptionnelles que modestes, et  des acteurs d’une grâce rare.

 

Christine Friedel

 

Au Théâtre Berthelot à Montreuil jusqu’au 25 mars. 01 41 72 10 35

 

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L’Art du rire

 L’Art du rire de et par Jos Houben.

On avait connu Jos Houben  chez Aperghis comme chez Peter Brook dans Fragments de Beckett; en fait, cet Art du rire a été peaufiné depuis longtemps sous la forme de  cette vraie/fausse conférence sur le rire et le comique. Sur la grande scène du Rond-Point, une table de bistrot avec deux chaises Thonet, avec dessus , un chapeau, une bouteille d’eau et un verre: c’est tout. Il entre par la salle, pantalon et chemise gris et annonce tout de suite  qu’il il va parler de l’art du rire.
Pourquoi rit-on? Comment rit-on?  de quoi rit-on? énonce-t-il avec un sérieux imperturbable… Quelle est la gestuelle du rire dans notre vie quotidienne de citadins ordinaires confrontés au principe absolu de la verticalité, au déséquilibre et à la chute, au peu de maîtrise que nous avons de notre propre corps?
Bergson avait déjà théoriquement répondu: nous rions quand il y a répétition, quand la mécanique prend le pas sur l’humain. Et Jos Houben  le démontre,  exemples à l’appui, avec peu de mots mais avec  une  merveilleuse gestuelle: il montre la norme et l’équilibre, même instable mais aussi le déséquilibre et le ridicule accompli de la chute, seul ou avec un complice venu du public.
Jos Houben a une façon, exemplaire et bien à lui,  de parler de la verticalité du corps. Pourquoi, dit-il aussi, la Tour Eiffel en impose-t-elle tellement , alors que la Tour de Pise  provoque une certaine pitié? Les exercices sont à la fois fins, intelligents et brillants et provoquent instantanément le rire du public dans une salle qui reste un peu éclairée: géniale trouvaille!
Le public est ainsi davantage en confiance et l’ancien élève du grand Lecoq,devenu enseignant dans cette même école, et aussi membre du fameux Théâtre de complicité londonien,  a une gestuelle irréprochable  et un sens du burlesque qui fait souvent penser à celui de Buster Keaton,  dans la façon qu’il a de mouvoir son corps. Jos Houben est à la fois magnifique dans sa générosité et dans l’intelligence qu’il a du plateau. Avec, pour finir quelques citations, dont une du grand  Wittgenstein. C’est d’une rare élégance de céder ainsi la place aux mots!
En une heure, on a ri  comme rarement-que demande le peuple? -avec, en plus l’impression de sortir de là,  un peu moins bête qu’en y entrant… Vraiment exceptionnel.

Philippe du Vignal

Théâtre du Rond-Point jusqu’au 10 avril à 18 h 30.

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Casteljaloux

Casteljaloux , texte et mise en scène de Laurent Laffargue, en collaboration avec Sonia Millot.

casteljalouxsite.jpgNous vous avions parlé la saison dernière de Casteljaloux première version (voir Théâtre du Bog du 4 avril 2010:http://theatredublog.unblog.fr/2010/04/08/casteljaloux/), où, seul en scène, Laurent Laffargue, avec beaucoup de passion et de savoir-faire, interprétait les personnages de son adolescence et de sa jeunesse.
Depuis, il a entrepris de réaliser avec plusieurs comédiens une sorte de saga sur ce même scénario où l’on voit vivre Casteljaloux ( 5.000 habitants )dans le Lot-et-Garonne. Pas très loin de Bordeaux, lieu de toutes les fascinations, surtout celle du Conservatoire pour un jeune homme attiré par le théâtre. Avec les mêmes histoires d’amitié et d’amours secrets…que tout le monde connaît dans cette petite ville : Jeannot, qui a fait de la taule et Chichinet le fils du boucher, excellement interprétés par Philippe Bérodot et Eric Bougnon, qui vont se battre pour l’amour de la séduisante Chantal (remarquable et très crédible Elodie Colin)… Il ya aussi Jean-François qui cache soigneusement son homosexualité, et qui aime beaucoup Romain qui lui, aime beaucoup Pascaline.
Ce n’est sûrement pas du copié-collé de ce qu’il a vécu mais Laurent Laffargue a sûrement mis beaucoup de son cœur à concevoir cette suite de scènes qui fleure bon le bonheur de vivre mais aussi parfois , et comme ailleurs, le malheur qui s’abat finalement sur des vies qui ont mal tourné. La faute à pas de chance, la faute à la solitude dans un milieu trop fermé où les gens peinent à se reconstruire…
Laurent Laffargue, après ce remarquable exercice en solo avec juste une vieille voiture et quelques accessoires, a entrepris de transformer cet essai réussi en une sorte de pièce avec les mêmes protagonistes, soit quand même dix comédiens. Avec des scènes souvent très courtes qui font penser ,bien sûr, à des séquences cinéma.
Mais c’est un euphémisme de dire que l’on ne s’y retrouve pas tout à fait. il y a au début une partie de hand-ball vraiment trop longuette, puis une série de petites scènes sans grand intérêt qui s’essouffle, faute d’une véritable dramaturgie. Comme c’est bien joué et bien dirigé, on se résigne à écouter ces histoires qui ne dépassent quand même pas celles du café du coin, puis, après quelque quarante minutes à peine, on se lasse d’attendre une fin téléphonée depuis longtemps , bref on s’ennuie vraiment.
Dommage! Moralité de l’histoire: on ne fait pas passer impunément un monologue sympathique et enlevé à quelque chose qui voudrait ressembler à une pièce. Et il n’est même pas sûr que les habitants du coin, – certains ont un accent à couper au couteau et d’autres pas! – se retrouvent dans ces personnages quand même souvent un peu trop caricaturaux, et franchement pas passionnants.
Ce qui était léger et agréable dans le solo pèse tout d’un coup très lourd dans ce long spectacle. Y compris les scène de théâtre dans le théâtre… usées jusqu’à la corde, quand deux des personnages vont passer le concours du Conservatoire… Alors à voir? Sûrement pas. Désolé, Laurent Laffargue, mais c’est trop décevant.

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Commune à Aubervilliers jusqu’au 25 mars. Ensuite en tournée.

Othello

Othello de Skakespeare, traduction et adaptation de Marius von Mayenburg, mise en scène de Thomas Ostermeier                                            

Après Le Songe d’une nuit d’été et Hamlet, Othello est le troisième travail shakespearien  de Thomas Ostermeier ( 42 ans) , directeur et auteur d’une vingtaine de mises en scène à la Schaubühne de Berlin. Thomas Ostermeier est devenu un habitué des Gémeaux où il est notamment  venu avec Nora et Hedda Gabler  d’après Ibsen, Ibsen dont il avait aussi présenté Jean-Gabriel Borkmann à l’Odéon.
On connaît l’histoire racontée par Shakesperare: Othello, un noble maure,qui est chargé, à la tête de la marine vénitienne de défendre la République de Venise contre les attaques ottomanes,  enlève  puis  épouse, contre l’avis de son  père, la jeune et belle Desdémone qui est  amoureuse de lui. Deux officiers se  partagent l’amitié et la confiance d’Othello.
Mais Iago, est fourbe et dissimulateur; et  Cassio, tout à fait  honnête et loyal. Iago va le dénoncer tout d’abord à Brabantio, le père  de Desdémone. Convoqué chez le Doge de Venise, Othello se défend avec succès . Victime d’une tempête, la flotte ottomane est coulée,  et les Vénitiens, sains et saufs, accostent à Chypre. Othello, nomme alors Cassio comme second. Iago,très ambitieux, et  qui convoitait cette place, en ressent une terrible  humiliation, se sent exclu et décide de se venger. Il complote alors contre Cassio et tente de séduire Desdémone.

  Comme elle refuse, il  provoque, avec beaucoup d’habileté, la jalousie morbide  d’Othello qui en devient presque paranoïaque, et Iago  va alors le persuader que sa Desdémone  est bien la maîtresse de Cassio. Grâce à une fausse preuve (un mouchoir perdu par Desdémone et placé chez Cassio) ,Othello finit par être convaincu et ira étouffer Desdémone dans son lit. Avant de comprendre qu’il a été floué et de  se poignarder. Ce qu’il ne fait pas, dans l’adaptation de Marius von Mayenburg. Cassio prendra alors  sa succession et Iago sera exécuté.e11c72024e6211e088c5518bfb963df4.jpg La pièce de Shakespeare vaut surtout pour quelques unes de ses scènes  devenues cultes.
Reste à savoir comment quatre siècles après sa création, Thomas Ostermeier, lui-même ancien élève de l’Ecole des Beau-Arts de Berlin et très attentif à la picturalité de ses mises en scène, a demandé à son scénographe Jean Pappelbaum un décor résolument contemporain. Soit un grand carré noir qui, dès l’entrée des personnages, se révèle être une pièce d’eau. Vision magnifique: c’est comme à un tableau que nous convient Jean Pappelbaum et Thomas Ostermeier. tous les comédiens sont là debout ou assis mais tous, les pieds dans l’eau, quelques fauteuils et chaises thermoformées en plastique gris où ceux qui ne jouent pas attendent poliment leur tour. Chose d’une rare nouveauté!   Dans le fond, deux baies coulissantes  et, côté cour, un praticable pour un petit orchestre ; saxo, orgue/clavier, trompette et batterie. Les personnages sont en costumes/  cravate et tenues d’officier pour les hommes, en robe ou mini-robe très collante argentée pour les femmes. L’on pense évidemment à Venise et les personnages barbottent beaucoup dans l’eau, quand ils ne s’y bagarrent pas ; l’eau, ensuite,  se retirera presque entièrement,découvrant une  plage, où les protagonistes seront plus au sec pour jouer; l’eau toujours , à la fin de ce long spectacle (2h 30 sans entracte), reviendra comme la marée montante.
  C’est, dans la grande tradition de la Schaubühne et, malgré la barrière du langage sur-titré, un  beau travail scénique, magnifiquement interprété; en particulier par Sébastien Nakajev (Othello), Stefan Stern ( Iago) et Tilman Strauss (Cassio). Tout est réglé au centimètre; le début est assez émouvant quand on voit Othello ( blanc et non noir)  et Desdémone, enlacés  complètement nus.   Mais on se demande très vite où Thomas Ostermeier veut nous emmener , et ce que viennent faire ces effets vidéo non figuratifs en fond de scène, même signés de  l’excellent Sébastien Dupouey  et les airs africains et jazzy du petit orchestre.
Il y a un côté un peu sec et démonstratif , un poil prétentieux, dans cette mise en scène souvent agaçant du genre :  » Vous allez voir moi comment je m’y prends, moi,  Thomas Ostermeier , pour monter Othello, et croyez-moi, vous n’allez pas être déçu du voyage ». Mais désolés, nous n’avons pas vraiment ressenti une  véritable émotion, comme pour Nora ou Hedda Gabler., et on a connu le metteur plus inspiré..
Même si, encore une fois, c’est, même un peu prétentieux,  un travail théâtral fondé sur un jeu et une technique de tout premier ordre…Mais bon! A une mienne consœur , un peu interloquée par ces stéréotypes enfilés comme des perles, qui lui demandait, après le spectacle, quelques précisions sur ses intentions, Thomas Ostermeier répondit sèchement, peut-être pas :  » Tout se trouve dans mon spectacle, il suffit de le regarder « . Sans commentaires…

  Alors y aller ou pas? A vous de voir. Le spectacle est d’une grande beauté plastique, et visiblement influencé par le cinéma, mais qui traîne en longueur et qui n’est sans doute pas le meilleur de Thomas Ostermeier.
Le public a applaudi  avec beaucoup de politesse les acteurs allemands qui le méritent mais n’ a pas  manifesté un enthousiasme très délirant pour la mise en scène…

Philippe du Vignal

Spectacle créé à Epidaure en 2010. Théâtre de Sceaux-Les Gémeaux jusqu’au  25 mars, puis à Saint-Quentin-les Yvelines le 12 avril.

 
 

 

                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                                            

Etty

Etty d’après les écrits d’Etty Hillesum , création théâtrale  et mise en scène d’Antoine Colnot de Staël.

 

Ester  ( Etty) Elsumi était née  1914 aux Pays-Bas et décédée le 30 novembre 1943  à Auschwitz en Pologne; elle  a tenu un  journal intime (1941-1942) et écrit des lettres (1942-1943) depuis le camp de transit de Westerbork qui témoigne d’une grande recherche spirituelle et  d’une foi en l’homme, envers et contre tout, malgré ce qu’elle a eu à subir depuis la remise en question des droits des Juifs aux Pays-Bas, puis les persécutions, et enfin la mort au camp d’Auschwitz.
Elle se refuse toujours à céder à la tentation de la violence et cherche à trouver une voie vers la sagesse  » Pour humilier, il faut être deux. Celui qui humilie et celui qu’on veut humilier, mais surtout, celui qui veut bien se laisser humilier », écrivait-elle. Et son Journal comme sa Correspondance sont pleins de ces phrases à l’intelligence aiguisée .
Antoine Colnot de Staël avait déjà monté à à Créteil une première version de ce spectacle ( voir Le Théâtre du Blog de mars 2010), dont la rigueur , la densité et le jeu dans l’espace avaient  quelque chose de tout à fait prometteur; mais la deuxième version  sur le petit plateau de la Comédie-Nation a quelque mal à s’imposer. Le travail sur le texte est aussi rigoureux qu’il l’était  à Créteil  et dans Les Justes de Camus qu’il avait  montée précédemment. Les trois comédiennes: Audrey Boulanger, Anne Jeanvoine et Valérie Maryane ont une belle présence…mais il faut plus d’une demi-heure pour que l’émotion commence enfin à surgir.
Antoine Colnot de Staël  les fait monologuer, dire ou chanter en solo ou en chœur, avec une grande précision et aux tout moments de la dernière partie, on sent enfin  le parcours  qu’Etty a dû accomplir pour se réconcilier avec l’univers qui l’a fait naître. Mais il n’est pas du tout certain ,comme  de Staël le dit,  que la matière offerte par la parole et la pensée d’Etty soit le support d’une forme théâtrale qui utilise au mieux  le corps, du moins pas de cette façon-là. Sur un thème similaire,  Grotowski, qui savait ce dont il parlait puisque l’ immense camp d’Auschwitz avait été installé dans son pays, avait autrefois mieux compris les choses.
Et  les petits morceaux  d’une  chorégraphie aussi  conventionnelle qu’inutile, ne correspondent  en rien à l’hymne à la vie que  de Staël  voudrait voir surgir des textes d’Etty Elsumi, ce  qui  affaiblit singulièrement  sa proposition… En effet, des épreuves subies et du dénuement vécu,  par ces trois femmes , nous n’avons pas vu grand chose. Les comédiennes sont beaucoup plus à l’aise quand elle disent, avec un très beau phrasé, les paroles justes et sobres de l’auteur.
Restent quelques  images fortes dont celles de la fin, quand les trois jeunes femmes nues, s’en vont, calmement sans un mot,  vers leur pauvre destin. Alors à voir? Non pas vraiment: c’est encore une des formes théâtrale hybrides qui n’apportent pas grand chose à un  texte qui mérite cependant d’être lu.
Antoine Vitez disait, sans doute avec quelque ironie pédagogique,  que tout pouvait faire matière à théâtre… Sans doute, mais pas n’importe comment, et surtout pas sur une scène aussi peu adaptée!

Philippe du Vignal

 

Comédie-Nation 77 rue de Montreuil 75011, le vendredi et samedi, et dimanche à 19 heures.( Attention, c’est bien à 19 heures) jusqu’au 3 avril.

 

LE PRÉCEPTEUR

LE PRÉCEPTEUR  de Lenz, Mise en scène Mirabelle Rousseau,

 

letoc.jpgLa compagnie TOC, en résidence au Collectif 12 de Mantes-la-Jolie avait  mis en scène Turandot ou le congrès des blanchisseurs de Brecht au Festival d’Avignon en 2009, et  ce spectacle vient d’être repris au Théâtre des Quartier d’Ivry en alternance avec  une  première ébauche du Précepteur, dans le cadre d’une rencontre consacrée aux collectifs.
La dernière mise en scène du Précepteur était peut-être celle d’Antoine Vitez au Théâtre de l’Ouest Parisien dans les années 70. À la fin du XVIIIe siècle, le jeune Laüfer a terminé ses études, il n’a pu se se faire recruter comme instituteur faute de recommandation, et est contraint de se faire précepteur chez des aristocrates avares et méprisants.
Il a en charge un enfant buté et ignorant et une jeune fille qui a dû se séparer de son soupirant et néanmoins cousin parti  pour  l’université. Accablé par les mauvais traitements des parents qui le considèrent comme un domestique, le jeune homme tombe dans les bras de leur fille Gustine,  et doit s’enfuir pour échapper à leur vengeance meurtrière; il  se réfugie chez Wenceslas, instituteur du village qui le prend en affection.
Gustine va accoucher secrètement, et abandonnera son enfant pour aller retrouver son père désespéré, pendant que Laüfer se castre, etc… Fertile en événements et rebondissements inattendus, cette pièce pourrait s’engluer dans des longueurs inutiles. Mais cette première version  dure 2 h 30, mais on ne décroche pas un instant.
Après une première partie soignée, le reste du spectacle se déroule dans un joyeux désordre, les acteurs manipulant des panneaux qui s’abattent, s’écroulent, se remontent, le texte étant débité joyeusement comme pour une répétition à l’italienne ».   Un essai prometteur !

Edith Rappoport

Théâtre Obsessionnel Compulsif au Théâtre des Quartiers d’Ivry

www.letoc.blogspot.com 

Adagio, Mitterrand

Adagio, Mitterrand, le secret et la mort, un spectacle d’Olivier Py.

adagio.jpg« Ce n’est pas un traité de sagesse dont nous avons besoin mais d’une représentation. représentation est le mot juste, rendre présent à nouveau ce qui se dérobe à la conscience.  L’ au-delà des choses et du temps. La cour des angoisses et des espérances, la souffrance de l’autre, le dialogue éternel de la vie et de la mort ». C’est par ces phrases de François Mitterrand  que s’ouvre le spectacle qu’Olivier Py a écrit, en partie avec des textes ,  des dialogues et des  déclarations de l’ancien Président de la République, en partie  avec un texte de lui. Qu’il a aussi mis en scène.
Olivier Py a situé cette méditation sur la mort dans un grand escalier qui occupe tout le plateau, avec dans le fond une immense bibliothèque qui glisse pour laisser apparaître  un bois avec quelques arbres où se déroulent  certaines scènes, scénographie exemplaire de Pierre-André Weitz ; tout le personnage politique de l’époque, plus  ou moins proche du Président, est là  entre autres: son éminence grise  Anne Lauvergeon, souvent présente sur scène, Robert Badinter, Jack Lang, Bernard Kouchner, Michel Charasse, Pierre Bérégovoy, Jacques Séguéla, Pierre Bergé, François de Grossouvre, Danièle Mitterrand, etc… mais aussi Gorbatchev, Helmut Kohl, etc…. sans oublier son médecin personnle le docteur Gubler.
Mai 1981: François Mitterrand a été enfin élu, après plusieurs tentatives infructueuses, à la Présidence de la République; il apprend quelques mois après son élection qu’il est atteint d’un cancer de la prostate qui a aussi atteint les os.
Ce qui n’empêchera pas les grandes victoires: abolition de la peine de mort, semaine de 39 heures, cinquième semaine  de congés  annuels, et…
Et il avoue qu’il a la hantise de la fin de Georges Pompidou que les huissiers de l’Elysée  avaient dû soutenir pour aller jusqu’à son dernier conseil des ministres. Et, en même temps, François Mitterrand , malgré les voiles noirs qui planent sur son second septennat, refuse de quitter le pouvoir comme il  refuse aussi les dernières années de sa vie qu’on lui vole sa mort avec  l’aide de la morphine .
Mai 88:  il est réélu mais le second mandat , malgré l’inauguration de la Pyramide du Louvre, qui sonne comme un curieux présage de sa fin proche, puisqu’il passa ses presque derniers  jours en Egypte- et malgré la ratification du traité de Maastricht, est terni par trop de mauvaises nouvelles: affaire Urba qui éclabousse ses proches, prêt de Patrice Pelat à Pierre Bérégovoy qui, incapable de faire face, se serait suicidé dans des circonstances curieuses, victoire de l’opposition avec l’arrivée de Baladur, puis l’année suivante, suicide encore  pour le moins troublant de François de Grosouvre, proche du Président dans son bureau de l’Elysée, débuts des massacres au  Rwanda: tous ces événements ont affecté François Mitterrand , déjà très malade. Mais sans qu’il envisage un instant de démissionner.
En fait, ce à quoi nous convie avec beaucoup de finesse Olivier Py, c’est surtout aux dernières années du vieil homme obsédé, dit-il,  non par l’acte même de mourir mais par sa disparition. On se souvient sans doute des mots de Mazarin:  » Dire qu’il va falloir quitter tout cela! ‘ ».
Olivier Py a éludé le versant familial- et il a eu raison-  de la vie compliquée de François Mitterrand qui avait formellement interdit que l’on parle de sa fille Mazarine Pingeot, ce qui était en réalité un secret de Polichinelle dans  Paris. On ne la verra donc pas ni aucun de ses deux fils:  on ne parle , et brièvement que de Jean-Christophe, soupçonné à plusieurs  reprises, de malversations financières , et Danièle Mitterrand ne fait qu’à la fin une brève apparition.
Le spectacle entier repose surtout sur le personnage de François Mitterrand incarné par  Philippe Girard, absolument étonnant de vérité et de vraie sensibilité. Il ne copie pas l’ancien Président mais il en  a la voix, les inflexions et  son fameux débit- sans doute, savamment mis au point- avec ses bouts de phrases qui souvent restaient en l’air.
Philippe Girard pendant plus de deux heures restitue une image de ce Président qui commence à regarder la mort en face, parfois avec humour et désinvolture. C’est un travail exceptionnel d’acteur , et même s ‘il est plus grand que l’ancien Président, il en a la stature et  donne une vérité et une profondeur  de tout premier ordre à ce personnage en proie à la solitude et envahi par un orgueil démesuré.
Les autres comédiens  bien dirigés par Olivier Py; en particulier Elizabeth Mazev (Anne Lauvergeon) , comme John Arnold, Bruno Blayret, Scali Delpeyrat et Jean-Marie Winling font aussi un remarquable travail si bien qu’avec les pauses musicales (  Phil Glass, Bach, Ligeti, Barber, entre autres..) du  très bon Quatuor à cordes Léonis, ces deux heures vingt coulent très vite. Sans doute, le texte  a parfois une couleur bande dessinée, avec des mots d’auteur que n’aurait pas désavoué Guitry,  mais qui font mouche.  et mieux vaut connaître les protagonistes proches de Mitterrand qui sont ici  un peu flous, puisqu’ils n’apparaissent le plus souvent  que quelques minutes. mais bon, cette page de l’histoire de France et ce portrait -  parfois un peu long- du vieux Président  attaché par-dessus tout à ce que l’on ne lui vole pas sa mort,  vu par Olivier Py, a quelque chose de juste et de profondément vrai.
C’est, allons lâchons le mot, du théâtre « populaire », puisque c’est tout un peuple qui aura finalement assisté à la fin de François Mitterrand. La longue ovation du public était tout à fait justifiée.

Philippe du Vignal


Théâtre de l’Odéon, jusqu’au 10 avril.

http://www.dailymotion.com/video/xhl5si

3e PANORAMA DES CHANTIERS DE LA FAI AR

3e PANORAMA DES CHANTIERS DE LA FAI AR 

artsdelaruemars2011.jpgC’est le dernier grand exercice pour les apprentis de la Formation avancée des arts de la rue, au terme de 18 mois de travail en France et à l’étranger, accompagnés par des professionnels de domaines artistiques  et  de la médiation.
La cité des arts de la rue dont on avait pu voir la préfiguration au sein du quartier populaire des Aygalades en 2006 est en voie d’achèvement, Générik vapeur et d’autres compagnies y sont déjà installées, ainsi que la dynamique association Karwan diffusant sur tout le département des spectacles de rue et de cirque.
Michel Crespin, le père fondateur de cette cité, inventeur de la FAIAR rayonne, au terme de de trente années de travail initiées dans une caravane à la Ferme du Buisson,  a mené à bien un fantastique développement des arts de la rue, autrefois méprisés. Pendant quatre jours, la FAIAR avait missionné  quinze  auditeurs et trois observateurs, universitaires, artistes et journalistes, venus de France, d’Allemagne et de Suisse pour porter un regard critique sur les projets personnels de création de quinze  apprentis.
Après une présentation orale des projets, on pouvait assister à des Reflets, courtes séquences de 20 minutes. Le dernier jour, dans le cadre d’un retour sur ce panorama des chantiers, la parole était donnée aux apprentis, au public et aux observateurs.
-DANS LA MESURE DU POSSIBLE : Elsa Vanzande, 27 ans, membre du collectif Ici-Même de Grenoble, terminait une exposition sur les villes, considérées comme des terrains de jeu et d’expériences. Plusieurs maquettes étaient affichées dans un grand hangar, et  elle nous éclairait par un bizarre discours scientifique sur ses recherches des centres de gravité des villes, en l’occurrence celle de Marseille.
-RE-VOLT : Mathieu Gasparini, 32 ans issu de Transe Express de Crest, organisait une “déambulation manifestive pour comédiens et mégaphones” pas très convaincante, qu’il présentait comme un plaidoyer vivant pour la poésie entre agit-prop, expérimentations sonores, slam, harangues et confession. Il ne suffit pas de brailler dans des micros pour faire surgir une émotion, surtout dans la rue…
-MÉTRIE-MOTILE :Anne Corte, 27 ans, plasticienne, se présente comme “un oiseau migrateur à tendance tractopelle, formée à l’usage du stylo”. C’est le projet le plus insolite, le plus prometteur auquel il ait été donné d’assister de la journée. Nous sommes installés sur une passerelle transparente de l’Alcazar, surplombant une rue piétonne où des passages insolites se répètent. Un femme qui bat son compagnon, une autre chargée de bananes qui s’échappent de son sac, et qui  a du mal à les rassembler, un groupe de vieux marche très, très lentement. Quetzacoalt apparaît sur la fin. Un chien galope entre les passants pendant que son maître rassemble les bananes sur une table. Il y a du Jacques Tati et beaucoup d’humanité là-dedans.
-RETOUR : Cyril Lévi-Provençal, 53 ans, acteur voyageur nous emmène sur une plage, pour le voyage d’Ulysse échoué, qui rassemble des débris pour construire une embarcation fragile. Il s’éloigne avec ses compagnons au rythme du Bateau ivre. On aimerait en entendre plus long.
-RUE DES CITÉS : Laetitia Cordier, 29 ans, graphiste. Elle nous emmène dans un voyage solitaire dans la Cité des Aygalades. Guidé par des silhouettes blanches peintes sur le murs de la route puis du stade, on est hélé par un guide qui nous envoie chez Roger, sympathique patron d’un bar associatif qu’il gère bénévolement avec sa femme dans un sous-sol sans fenêtre des HLM. Il nous offre à boire, parle de la cité, où les habitants se sont organisés, un potager, des jeux pour les enfants, ce bar conquis de haute lutte. C’est une belle aventure humaine où des milieux qui s’ignoraient se rencontrent enfin.

 

Edith Rappoport

 

Cité des arts de la rue Marseille 

 

 

UN CHEVALIER À LA HAVANE

UN CHEVALIER À LA HAVANE , film de Serge Sandor, d’après un spectacle créé à la Havane en novembre 2009.

Serge Sandor, auteur, metteur en scène prolixe et généreux, a toujours emprunté des voies singulières dans des milieux réputés difficiles. Il a réalisé des spectacles dans des prisons au Mexique, a monté avec des “gens dans l’errance” Les bas fonds de Gorki au Théâtre national de Chaillot et Le Concile d’amour au Théâtre de la Tempête. Il a aussi conçu Gueule de mariée, un spectacle pour bars, et Une comète à Cuba présenté au Théâtre du Chaudron. Spectacles d’une belle originalité mais  il en a réalisé beaucoup d’autres. Le chevalier de Paris, film présenté à l’ambassade de Cuba, fruit de deux années de travail avec 200 patients est étrangement porteur d’une indicible joie carnavalesque. “On n’est pas malades, on est fous, dit l’un d’eux !”
On y voit des gens broyés par la vie qui retrouvent une dignité et une fierté d’être ainsi valorisés, au terme de longues semaines d’ateliers, quant ils incarnent  des personnages qui  ont existé  dans la vie de ce Chevalier de Paris. José Maria Lopez Lledin, né en Espagne en 1899, termina ses jours à l’hôpital psychiatrique Ordaz, nouveau Don Quichotte généreux et affable, errant pendant des années dans les rues de la Havane.
Le film qui retrace le différentes étapes du travail, n’est pas une captation du spectacle, on y voit les ateliers, le défilé carnavalesque dans les rues de Regla et surtout des témoignages toniques de ces patients dont certains sont internés depuis 40 ans.

Edith Rappoport

Spectacle créé par Serge Sandor, à l’Hôpital psychiatrique Bernabe Ordaz, sur l’avenue du Prado et au Teatro Fausto, à Regla et au Théâtre municipal de Regla avec 200 patients psychiatriques.

Un livre bilingue sur cette expérience passionnante conduite avec Indira Valdès Ramos,  Serge Sandor, Cristina Diaz Erofeeva et Tatiana Bitir a été publié par les éditions du cygne, 124 pages, 12 €, www.lescygnes.fr

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