Adagio, Mitterrand, le secret et la mort, un spectacle d’Olivier Py.
« Ce n’est pas un traité de sagesse dont nous avons besoin mais d’une représentation. représentation est le mot juste, rendre présent à nouveau ce qui se dérobe à la conscience. L’ au-delà des choses et du temps. La cour des angoisses et des espérances, la souffrance de l’autre, le dialogue éternel de la vie et de la mort ». C’est par ces phrases de François Mitterrand que s’ouvre le spectacle qu’Olivier Py a écrit, en partie avec des textes , des dialogues et des déclarations de l’ancien Président de la République, en partie avec un texte de lui. Qu’il a aussi mis en scène.
Olivier Py a situé cette méditation sur la mort dans un grand escalier qui occupe tout le plateau, avec dans le fond une immense bibliothèque qui glisse pour laisser apparaître un bois avec quelques arbres où se déroulent certaines scènes, scénographie exemplaire de Pierre-André Weitz ; tout le personnage politique de l’époque, plus ou moins proche du Président, est là entre autres: son éminence grise Anne Lauvergeon, souvent présente sur scène, Robert Badinter, Jack Lang, Bernard Kouchner, Michel Charasse, Pierre Bérégovoy, Jacques Séguéla, Pierre Bergé, François de Grossouvre, Danièle Mitterrand, etc… mais aussi Gorbatchev, Helmut Kohl, etc…. sans oublier son médecin personnle le docteur Gubler.
Mai 1981: François Mitterrand a été enfin élu, après plusieurs tentatives infructueuses, à la Présidence de la République; il apprend quelques mois après son élection qu’il est atteint d’un cancer de la prostate qui a aussi atteint les os. Ce qui n’empêchera pas les grandes victoires: abolition de la peine de mort, semaine de 39 heures, cinquième semaine de congés annuels, et…
Et il avoue qu’il a la hantise de la fin de Georges Pompidou que les huissiers de l’Elysée avaient dû soutenir pour aller jusqu’à son dernier conseil des ministres. Et, en même temps, François Mitterrand , malgré les voiles noirs qui planent sur son second septennat, refuse de quitter le pouvoir comme il refuse aussi les dernières années de sa vie qu’on lui vole sa mort avec l’aide de la morphine .
Mai 88: il est réélu mais le second mandat , malgré l’inauguration de la Pyramide du Louvre, qui sonne comme un curieux présage de sa fin proche, puisqu’il passa ses presque derniers jours en Egypte- et malgré la ratification du traité de Maastricht, est terni par trop de mauvaises nouvelles: affaire Urba qui éclabousse ses proches, prêt de Patrice Pelat à Pierre Bérégovoy qui, incapable de faire face, se serait suicidé dans des circonstances curieuses, victoire de l’opposition avec l’arrivée de Baladur, puis l’année suivante, suicide encore pour le moins troublant de François de Grosouvre, proche du Président dans son bureau de l’Elysée, débuts des massacres au Rwanda: tous ces événements ont affecté François Mitterrand , déjà très malade. Mais sans qu’il envisage un instant de démissionner.
En fait, ce à quoi nous convie avec beaucoup de finesse Olivier Py, c’est surtout aux dernières années du vieil homme obsédé, dit-il, non par l’acte même de mourir mais par sa disparition. On se souvient sans doute des mots de Mazarin: » Dire qu’il va falloir quitter tout cela! ‘ ».
Olivier Py a éludé le versant familial- et il a eu raison- de la vie compliquée de François Mitterrand qui avait formellement interdit que l’on parle de sa fille Mazarine Pingeot, ce qui était en réalité un secret de Polichinelle dans Paris. On ne la verra donc pas ni aucun de ses deux fils: on ne parle , et brièvement que de Jean-Christophe, soupçonné à plusieurs reprises, de malversations financières , et Danièle Mitterrand ne fait qu’à la fin une brève apparition.
Le spectacle entier repose surtout sur le personnage de François Mitterrand incarné par Philippe Girard, absolument étonnant de vérité et de vraie sensibilité. Il ne copie pas l’ancien Président mais il en a la voix, les inflexions et son fameux débit- sans doute, savamment mis au point- avec ses bouts de phrases qui souvent restaient en l’air.
Philippe Girard pendant plus de deux heures restitue une image de ce Président qui commence à regarder la mort en face, parfois avec humour et désinvolture. C’est un travail exceptionnel d’acteur , et même s ‘il est plus grand que l’ancien Président, il en a la stature et donne une vérité et une profondeur de tout premier ordre à ce personnage en proie à la solitude et envahi par un orgueil démesuré.
Les autres comédiens bien dirigés par Olivier Py; en particulier Elizabeth Mazev (Anne Lauvergeon) , comme John Arnold, Bruno Blayret, Scali Delpeyrat et Jean-Marie Winling font aussi un remarquable travail si bien qu’avec les pauses musicales ( Phil Glass, Bach, Ligeti, Barber, entre autres..) du très bon Quatuor à cordes Léonis, ces deux heures vingt coulent très vite. Sans doute, le texte a parfois une couleur bande dessinée, avec des mots d’auteur que n’aurait pas désavoué Guitry, mais qui font mouche. et mieux vaut connaître les protagonistes proches de Mitterrand qui sont ici un peu flous, puisqu’ils n’apparaissent le plus souvent que quelques minutes. mais bon, cette page de l’histoire de France et ce portrait - parfois un peu long- du vieux Président attaché par-dessus tout à ce que l’on ne lui vole pas sa mort, vu par Olivier Py, a quelque chose de juste et de profondément vrai.
C’est, allons lâchons le mot, du théâtre « populaire », puisque c’est tout un peuple qui aura finalement assisté à la fin de François Mitterrand. La longue ovation du public était tout à fait justifiée.
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon, jusqu’au 10 avril.
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