Frances Wessells : A portrait of 92 years

Frances Wessells : A portrait of 92 years

akira2.jpgC’est dans le cadre d’Anticodes à Chaillot, que le public a découvert un  spectacle à la fois sensible et beau .
A une époque où la vieillesse doit se cacher un peu trop souvent,  (la maladie et le besoin d’assistance, cela ne fait pas bien dans le tableau!), une ancienne danseuse de  Martha Graham ( 92 ans) se produit encore en public .
Cette performance est due aux chirurgiens qui lui ont permis de retrouver ,grâce à  des prothèses de hanche et de genou,  une mobilité rare à cet âge. Frances Wessells n’a cessé, bien que retraitée, de danser et d’enseigner  » Je suis née pour le mouvement. Quelqu’un qui ne peut pas s’exprimer de quelconque manière que ce soit, se bouche énormément d’horizons. Pour moi, la vie est une improvisation, et être capable de l’exprimer par le mouvement est le moyen le plus naturel sain et salutaire qui soit« .
Une équipe artistique exceptionnelle l’accompagne  dans cette démarche: Christophe Lancaster, compositeur et violoncelliste qui joue une musique électro-acoustique dans une belle folie créatrice. Et Jason Akira Somma, ancien danseur de Bill T. Jones, qui mène  une triple carrière de danseur , photographe et vidéaste, et  qui  avait réalisé une  film d’elle   quand elle avait 89 ans.   France Wessells commence  par une chorégraphie minimaliste de ses pieds filmée et projetée en fond de scène. Elle danse sur sa propre image modifiée par le vidéaste. Les gestes  sont précis et harmonieux, même si  l’on voit que ses articulations sont déformées par l’arthrose.
Et l’émotion est intense quand Jason Akira Somma quitte sa caméra pour venir accompagner la danseuse dans un pas de deux , aussi doux que  décalé. Les regards se croisent, les mains se frôlent, la rigidité naturelle du corps de France Wessells disparaît dans les bras de ce danseur de 31 ans. Un moment unique et rare…

Jean Couturier

Anticodes se poursuit en mars au Quartz  de Brest, et aux Subsistances de Lyon www.anticodes.fr


Archive pour mars, 2011

Le siècle d’or : La Célestine et Don Juan

Le siècle d’or : La Célestine, de Fernando de Rojas, et Don Juan, de Tirso de Molina , mise en scène Christian Schiaretti

Entre Rojas et Tirso de Molina, un bon siècle où se forge la grande dramaturgie espagnole. À eux deux, ils ont inventé rien moins que La Célestine, et Don Juan: deux personnages fondateurs du théâtre européen… D’un côté, une « mauvaise femme », entremetteuse, ancienne prostituée, un peu sorcière, un peu médecin, un peu prêteuse sur gages. On la retrouvera à l’arrière-plan dans le personnage de la  vieille de l’École des femmes (on n’échappe pas à Molière, qui débute au milieu du XVIIe siècle, au moment où meurt Tirso de Molina), et dans les « marchandes à la toilette » des romans de Balzac, et jusqu’à Zola, puis chez la Mère Courage de Brecht.
Très intéressante, cette femme : aucun sens moral, mais celui des affaires, l’obsession des (anciens ?) pauvres pour le moindre gain, dangereuse, bouffonne, vieille mais pétant d’énergie, se jouant de la religion mais croyant dur comme fer à la Vierge Marie et à tous les saints, et d’une vitalité inépuisable… Elle remplit intégralement la profession misogyne de Simpronio sur les femmes: « coquettes, changeantes, menteuses, sans âme » ; bref au moins « mille et trois » vices et défauts et un chapitre « à durer jusqu’au soir », mais elle la remplit avec panache, en hardie revancharde, et se relève de toutes les chutes, avec le courage d’assumer  ses instants de faiblesse. Peut-être est-ce là la touche moderne donnée par la mise en scène;  même contre deux hommes, elle est proprement in-tuable. Elle tire à elle la Tragédie de Calixte et Mélibée. Calixte a été ébloui par la vue de Mélibée, Mélibée et sa vertu ont été choquées par l’aveu de Calixte, celui-ci a recours à la Célestine qui verse le poison des douces paroles dans l’oreille de Mélibée (où l’on voit que « les enfants se font par l’oreille »), et le coup est fait, l’amour et le désir sont plantés dans les corps, pour une lourde cassette et une chaîne d’or dont périra la sorcière. San doute, son art dans la contagion du mal y est pour quelque chose : bien fait, ses leçons d’immoralité ont été trop bien écoutées. À la fin de la pièce, tous les méchants sont tués, ainsi que les amoureux trop pressés : à escalader les murs des jardins, on tombe parfois de haut.

http://www.dailymotion.com/video/xhigd1

Quant à Don Juan. Il a fallu que Mozart passât par là pour qu’il devînt le type même du séducteur. celui Tirso de Molina n’est que le Burlador de Séville, et celui de Molière « un grand seigneur méchant homme » qui s’ennuie très vite quand il veut séduire deux pauvres paysannes….
Quant à notre Don Juan : voilà un fils de famille, très protégé par son père, très protégé par le Roi, qui, d’abord à Naples, puis à Séville, a pour principale distraction de coucher avec toutes les femmes qui lui échappent tant soit peu, promises à un autre par exemple. Alors, il se fait passer soit pour le fiancé, soit il fait de la surenchère en promettant un mariage avantageux, quand il  ne surprend pas tout simplement la belle dans son lit, en brisant quelques portes et en compromettant la dite belle : tant pis pour elle si elle n’a pas su défendre ses verrous et sa vertu.
Tout ça au grand galop, au jour le jour, sans mémoire, si les politiques ne venaient exiger de lui l’impossible : sauver les apparences. Évidemment, ça s’aggrave et le Roi l’abandonnera à la mort : trop de scandale… Ne pourront le pleurer que son père et Catalinon, le fidèle valet, confident peut-être ami, « faiseur de remontrances » sans effet.
Tirso de Molina a créé là un type, via Molière qui l’avait lui-même reçu des Italiens, celui du « coureur », du séducteur pressé, dont l’ardent et perpétuel désir est tué net par l’assouvissement. Inutile d’insister sur l’abondance de la littérature donjuanesque, encore vivace au XXe siècle, alors que la libération des mœurs a achevé celle de la Célestine.
En tout cas, la réunion des deux pièces et de ces  deux « types » donne une image terriblement ambiguë d’un théâtre « auto-sacramental » censé terroriser où  la lourde main de Dieu est censée terroriser , en s’abattant sur ceux qui se soumettent à la loi diabolique et féminine du désir, et de la séduction. Ce théâtre-là, où rien ne nous est caché, tient plus du feuilleton que du drame.
Il a aussi un côté pédagogique : dans leur langue vive, les personnages populaires nous bardent de proverbes, tandis que les « grands » nous emmènent dans des considérations plus châtiées. En même temps, c’est un grand cinéma de capes, d’épées et de balcons.

 

http://www.dailymotion.com/video/xhigv6

Le dispositif bi-frontal de Renaud de Fontainiau sert et éclaire à la fois cette cavalcade : tout se joue sur un immense praticable, une rue que la projection de décors lumineux horizontaux (avec de vraies trouvailles à découvrir) transforme en église, jardin, bref tout lieu susceptible de rencontres et d’intrigues. Aux deux extrémités, des portes battantes : tout à tour, vantaux royaux, porte doublement dérobée de la vie secrète et privée, toril lâchant ses monstres lancent le mouvement, qui ne s’arrête jamais.
Dans une belle unité  entre scénographie et jeu : on ne dira pas que les acteurs – Hélène Vincent en tête, dans la Célestine - « en font trop », ils jouent à la mesure de l’énergie dégagée par le texte, parfois en  accéléré dans La Célestine avec quelques  récits en résumé, pour que la pièce ne dure pas cinq heures. La troupe, qui réunit les jeunes comédiens permanents du TNP et – on a envie de dire, des « vieux routiers  » de ce que l’on appelait la « décentralisation », fonctionne à merveille.
Que demande le peuple ?

Christine Friedel

Théâtre de Nanterre-Amandiers, en alternance jusqu’au 6 avril .
T: 01 46 14 70 00

LES RETROUVAILLES

LES RETROUVAILLES d’Arthur Adamov, mise en scène de Gabriel Garran.


  fr12997566411923.jpgGabriel Garran garde un côté juvénile, et malicieux malgré plus de 80 printemps et presque autant de mises en scène. Au Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, il avait monté Off limits d’Adamov en 1969. Il revient avec bonheur à cet auteur important au Théâtre de la Tempête qui avait accueilli Si l’été revenait, toujours du même Adamov, beau spectacle monté par Michel Berto en 1971.
Les retrouvailles, (1953), ce sont celles d’Edgar, jeune étudiant en rupture de ban, qui rate son train sur la route du retour chez sa mère, où sa redoutable fiancée l’attend. Il est recueilli par deux femmes, une couturière déjà mûre et Louise, pétillante secrétaire qui s’entiche de lui, et qui veut l’aider à continuer ses études en lui trouvant un travail à mi-temps dans une librairie.
Malgré toutes ces attentions, il se ferme, ne parvient pas à se concentrer, rejette violemment toutes les attentions dont il est l’objet.   Il parvient seulement à coudre et livrer des blouses pour son hôtesse. Sa valise qu’il garde précieusement finira par s’ouvrir pour laisser échapper des chiffons de papier. Buté, hostile, refusant toutes les attentions, il ne se laisse aller qu’à l’apparition d’une jeune fille lointaine, et  lui déclare son amour.

Ce jeu de rêves entre les machines, le bruit de la machine à coudre, celui la machine à écrire de Louise, le bruit du train qui l’écrase quand elle s’absente pour fuir Edgar,  se déroule sous l’œil d’une horloge de gare qui tourne à l’envers et sous le regard d’Adamov, un regard étonnant et profond dont la photo surplombe le plateau. Il disait “ Quand je pense qu’on n’a jamais eu l’idée de retirer aux parents le soin de leur progéniture…Écrire, c’est l’horreur, ne pas écrire, c’est la terreur !”.
Adamov, qui s’est donné la mort en 1970,  est  sans doute un auteur aussi important que Beckett ou Ionesco, mais bien rarement joué. Un débat passionnant avec Gabriel Garran et René Gaudy, auteur d’un livre sur Adamov publié chez Stock , suivait la représentation.

Edith Rappoport.

 

Jusqu’au 10 avril 2011 au Théâtre de la Tempête, du mardi au samedi à 20 h, Tél. 01 43 28 36 36.
Lucien Attoun qui avait édité le livre de René Gaudy accueillera une autre rencontre autour d’Adamov à Théâtre Ouvert le 4 avril à 19 h. 

 

La Cagnotte

La Cagnotte, de Eugène Labiche, mise en scène par Laurence Andreini.

 

   lacagnottedeeugenelabiche604image1fr1285159003l515.jpgUne comédie avec le cynisme qu’il faut, comme on les aime, habilement rendue par la compagnie Théâtre Amazone. On connaît l’histoire: des petits bourgeois de la Ferté-sous-Jouarre décident d’aller à Paris « manger » la cagnotte qu’ils ont réunie après toute une année de parties de cartes quotidiennes. Mais on ne quitte pas sa province impunément, et leur voyage se change vite en course poursuite très Labiche qui les emmènera dans les endroits les plus obscurs de la capitale. Personne ne sortira indemne de cette spirale infernale : les quiproquos se multiplient et mettent au jour la véritable nature des uns et des autres et découvrent toutes les cachotteries, jusqu’à ce que l’idiot de l’histoire, le petit clerc de notaire bousculé par tous, sauve la situation.

Dans la salle au sol de ciment, des caillebotis modulent habilement le voyage des personnages. Sous nos yeux défilent donc le salon bourgeois, le restaurant parisien, le poste de police, le cabinet de l’entremetteur et finalement le bâtiment en rénovation, tandis que le reste de l’espace se retrouve plongé dans la neutralité . Le bruit d’un mécanisme d’horloge, celle qui ornait tous les salons bourgeois, active le début de la pièce qui se déroulera avec une logique implacable, dont Labiche est passé maître dramaturge. Laurence Andréini nous présente un spectacle parfaitement rodé, où scènes et parties chantées s’enchaînent dans une partition sans faute, et où les acteurs s’accordent à merveille dans le petit monde de Labiche.

Ils ont, si l’on peut dire, la tête et le jeu de l’emploi : Michel Baumann est très juste en Champbourcy, le père, le « commandant » de toute la troupe, qui regroupe sa sœur Léonida (Isabelle Védie), sa fille Blanche (Carole Fages), Cordenbois le pharmacien (Éric Bergeonneau), Colladan (Christian Caro) un riche fermier dont on croise le fils rebelle (Cyril Dubreuil), Jean-Marc Lallement est tour à tour Félix, le petit clerc de notaire, et Béchut, le commissaire, deux rôles antagonistes qu’il rend avec une belle présence comique, Damien Henno est un serveur et un assistant irrésistible de souplesse, comme Benoit Marchand, qui joue l’entremetteur.

Des acteurs bien dirigés qui incarnent remarquablement leurs personnages, une scénographie bien adaptée au monde de Labiche, et une mise en scène réglée comme du papier à musique mais aussi pleine d’idées originales et surprenantes… Le spectacle a tout pour plaire et pour faire rire. Et pourtant, comme dans la copie d’un trop bon élève, quelque chose manque. Peut-être les spectateurs sont-ils un peu fatigués par l’heure tardive pour être tout à fait réceptifs…

 Élise Blanc.

 

Théâtre de l’Épée de Bois, Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 20 mars.

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Grimm & Grimm


Grimm & Grimm
de Xénia Kalogeropoulou, mise en scène de Lilo Baur

grim3.jpg Cet hiver, le Théâtre de La Porte (Πόρτα) présente Grimm & Grimm, de  Xénia Kalogeropoulou. L’écrivaine a adapté pour le théâtre quatre des contes des frères Grimm. En première partie, sont présentés Les trois Cheveux d’or du diable  et Les six frères singes, et en deuxième partie, Les musiciens de Brême et la petite table, l’âne et le bâton.
Les deux premiers contes racontent de « sombres » histoires avec des héros ,confrontés à des dangers métaphysiques, qui sont victimes  de sorcières qui les transforment en animaux. La deuxième partie du spectacle, fortement imprégnée de comique,  raconte une histoire drôle  avec  des objets magiques et des personnages/animaux qui vivent en liberté dans la forêt, ou qui ont des pouvoirs magiques et aident les humains.
Lilo Baur a choisi des contes qui ont une fin heureuse, c’est à dire qui rétablissent l’ordre moral et naturel; comme elle  le dit :  « ces contes donnent l’espoir que quelque chose peut changer, que cela dépend des décisions que nous prenons, de notre hardiesse, de notre courage ou de la peur que nous devons vaincre ».
Un décor dépouillé: juste un arbre et six grandes boîtes orthogonales, représentant des gravures de forêts, villages et palais. Boîtes déplacées  par les comédiens de façon à suggérer les lieux décrits  par l’histoire. Et  quelques boîtes se transforment parfois en gros livres  qui renferment des recettes de filtres magiques.  Grimm & Grimm, avec une utilisation métaphorique et métonymique des objets scéniques, offre aux spectateurs des informations visuelles, mais  leur fait prendre aussi du recul par rapport à l’illusion théâtrale,  et leur rappelle qu’ils sont au théâtre. La métamorphose incessante de l’espace scénique limite le temps de vie de chaque objet sur  scène, ce qui atténue les effets émotionnels et accentue le rythme scénique.   L’accompagnement sonore et l’éclairage évoquent soit des bruits de la nature, soit l’alternance du jour et de la nuit, et le temps qui passe. Sept jeunes comédiens  jouent tous les personnages, humains ou animaux. Improvisations,  danse, chant, et musique, donnent libre cours à des références au jeu, à l’humour et à la fantaisie, et rappellent aux spectateurs la part bestiale latente dans la nature humaine.
Cette adaptation théâtrale des contes ne comporte pas de narration: c’est  par le dialogue, l’action, et la gestuelle des comédiens que se fait   l’évolution de l’intrigue. Cela exige lisibilité et précision , pour que le public devine les sous-entendus par les éléments non verbaux de la représentation. Le corps, la voix, et la gestuelle des comédiens imitent des caractères d’humains, ou d’animaux aux comportements humains,  avec une approche théâtrale fondée sur le plaisir ludique et l’économie du langage..
Lilo Baur et Xénia Kalogeropoulou ont élaboré le spectacle, en tenant compte des réactions et des remarques des enfants , élèves de l’atelier du Théâtre de La Porte, qui ont assisté systématiquement aux répétitions
.

 

Maria Stasinopoulou

 

Web site : www.portatheatre.gr

La Panne

La Panne, de Friedrich Dürrenmatt , mise en scène Jean-Yves Ruf

  panne.jpg Ce que c’est que voyager, pour ses affaires, du côté de villages reculés : Alfredo Traps tombe en panne, enfin, sa merveilleuse nouvelle voiture, une Studebaker (ça date l’affaire!). Pas de train, l’auberge est bondée – un congrès d’éleveurs de poulets -, mais  joyeuse.
Une chance: un vieux monsieur retiré reçoit des hôtes de temps en temps, pour les dépanner, dit-on. Traps y va, et,  comme son nom le prophétisait, tombe dans la trappe. Ce soir-là, le vieux monsieur a invité ses vieux amis, et offre à Traps d’être leur convive. Oh, ils sont très courtois, ces anciens juge, procureur, avocat, exécuteur des hautes et basses œuvres. Le dîner est succulent, les vins merveilleux, le jeu amusant : le visiteur doit jouer le rôle du personnage manquant, l’accusé. Et là, tout est possible…
On est entre Agatha Christie et le Peter Handke de Bienvenue au conseil d’administration. Entre les deux, et précurseur de Handke sur ce point, il y a Dürrenmatt, l’auteur de La visite de la vieille dame (1956), de Franck V, opéra d’une banque privée, Play Strindberg, et toute une œuvre – pièces, romans, pièces radiophoniques et autres – caustique, provocatrice.
Apparemment, il tenait beaucoup au thème de La Panne, puisqu’il l’a traité pour la radio, en roman et en comédie. Jean-Yves Ruf a choisi de théâtraliser le roman : ça commence par le récit de Traps. Et puis, comme le veut la pièce, les choses échappent au narrateur… On n’en dira pas plus, sinon qu’on entend ici l’obsession de la justice, la question de la culpabilité, la volonté de retourner les êtres comme la peau des lapins qu’on dépouille. Même si, dans le rire féroce, Dürrenmatt rejoint son contemporain Ionesco, on n’est pas dans le « théâtre de l’absurde » : il s’agit ici de morale, et de politique.
Un bon décor, avec  cliquetis de cristaux et d’argenterie, une bande-son troublante à souhait, et une mise en scène sans « effets » : Jean-Yves Ruf est encore assez jeune pour s’attaquer à ce que d’autres rangeraient dans le « vieux théâtre ».
C’est en toute jubilation, du théâtre pour vieux acteurs, à l’exception de Traps (Roland Vouilloz) : Maurice Aufair, Michel Cassagne, Roland Rossi (et Bruno Dani, technicien du théâtre Vidy, compagnon de Beno Besson, habitué des incursions sur scène) sont trop bons comédiens pour s’arrêter de jouer, et comprennent trop bien Dürrenmatt pour éviter le mot vieux. Vieux et vifs, exacts, oui, comme leurs personnages. Vieux et caustiques, comme leur auteur, vieux et tendres. C’est la vie et la nature humaine, fustigée par le moraliste Dürrenmatt, qui ne le sont pas.

Christine Friedel

Théâtre 71 Malakoff jusqu’au 20 mars – tél: 01 55 48 91 00

FAUVES

FAUVES de Michel Schweizer.

C’est une “expérience collective” menée avec un groupe d’une dizaine d’adolescents autour des textes du philosophe Bruce Bégout. Comme l’annonce un des comédiens amateurs, ou Michel Schweizer lui-même,  c’est « le degré zéro du spectacle ». Pourquoi tu fais ça ?”.
Sur le grand plateau de la Ferme du Buisson, les comédiens amateurs profèrent une série de clichés projetés sur grand écran, chantent dans un anglais approximatif, sous l’oeil satisfait de Schweitzer qui se prend pour Tadeusz Kantor.
“Nous sommes des chiens, chacun sa gamelle, touche pas à la mienne (…) Finalement, on ne sait pas vraiment ce que c’est un fauve (…) le gramme, tu le touches combien (…) All for the best, vous êtes invités”…
Malgré la sympathie qu’on peut éprouver pour ce type de démarche, la déception est à la mesure de la suffisance du metteur en scène qui a , malgré tout, suscité l’emballement de nombreux coproducteurs.

Edith Rappoport

 

Ferme du Buisson

 Et du 23 au 26 mars aux Antipodes le Quartz scène nationale de Brest,; du 31 mars au 3 avril aux  Subsistances à Lyon; le 19 avril au  Château rouge d’Annemasse; les  30 avril et 1er mai au Kampnagel d’Hambourg, et  les 19 et 20 mai au Parvis Scène nationale de Tarbes.

PREMIER MONDE/PRIMER MUNDO

PREMIER MONDE/PRIMER MUNDO  d’Allio-Weber spectacle écrit et interprété par Monica del Carmen, Marta Izquierdo Munoz, Elios Noël.

Éléonore Weber et Patricia Allio se sont engagées depuis 2008 dans Symptôme et proposition, une recherche  qui les avaient amenées à créer à la Grande Halle de la Villette Un inconvénient mineur sur l’échelle des valeurs. Auparavant, Éléonore Weber avait monté avec succès Rendre une vie vivable n’a rien d’une question vaine, au Festival d’Avignon 2008, qui dressait un tableau, (plutôt désolant) de la sexualité triste des adolescents.
Ce Premier monde nous emmène au Mexique pour un étrange voyage, où des touristes ravis devant les images splendides qu’ils ont rapportées, se transforment en migrants, en proie à d’insupportables humiliations. Après une première partie un peu longue, cet étrange retournement de voyage rêvé et subi dans une épouvantable contrainte est interprété avec vigueur par trois bons comédiens bilingues.”Pour rester, il ne faut pas rester !”.

Edith Rappoport

Ferme du Buisson à Marne-la-Vallée 

L’ART D’ÊTRE GRAND-PÈRE

lartdetregrandpere.jpgL’ART D’ÊTRE GRAND-PÈRE de Georges et Victor Hugo, adaptation et mise en scène de Vincent Colin.

Au delà de la formidable stature poétique et politique de Victor Hugo, l’exilé de Guernesey, dont les vers résonnent encore dans nos mémoires, ceux qu’il a écrits pour ses petits enfants, Georges et Jeanne qu’il a dû élever à la mort de leur père, sont parmi les plus beaux.
Vincent Colin devenu lui-même un grand-père attentif, a mis en scène deux acteurs remarquables avec une attendrissante finesse. “Que voulez-vous ? L’enfant me tient en sa puissance (…) Les enfants chancelants sont nos meilleurs appuis,…Moi j’admire ébloui, la grandeur des petits…J’accepte les conseils sacrés de l’innocence…Moi je suis fait pour la société des enfants…”  Albert Delpy, tout en rondeurs, dialogue avec l’espiègle et mutine Héloïse Godet, tout de blanc vêtue, qui rythme leurs jeux au piano.
On déguste avec plaisir ces vers interprétés avec une belle simplicité qui résonnent d’autant plus fort quand on se remémore tous les deuils subis par Victor Hugo.

Edith Rappoport

Lucernaire, du mardi au samedi à 20 h et le dimanche à 17 h, jusqu’au 8 mai
Tel 01 45 44 57 34

39° à l’ombre et Embrassons-nous Folleville

  39° à l’ombre et Embrassons-nous Folleville d’Eugène Labiche, mise en scène de  Pierre Pradinas.

 

    Louis-Philippe a abdiqué en 1848 et la République va être proclamée après des insurrections ouvrières qui firent plus de 5.000 morts!  Et Louis-Napoléon Bonaparte sera bientôt élu Président de la république. La France des grands ,comme des petits bourgeois,  se lance dans l’industrialisation et dans la course à l’argent, sûrs de leur puissance et protégés par un gouvernement autoritaire. La France d’en bas étant, elle, priée de travailler dur avec des journées de 10 heures, voire plus. Enfin; le grand Victor Schoelcher obtient l’abolition de l’esclavage qu’avait rétabli Napoléon…
Eugène Labiche commence alors une carrière d’auteur dramatique; il a 33 ans et il écrivit quelque 174 pièces, avec une armée de collaborateurs.Les théâtres ne désemplissent pas et il faut répondre à la demande… 39° à l’ombre ( 1875) est pourtant l’une des rares avec trois autres qu’il écrivit seul et qui ne manque pas de charme..
C’est, comme toutes ses pièces, une peinture assez acidulée  de la bourgeoisie,  aux dialogues souvent très brillants, teintés parfois  d’absurde et de non-sens. 39° à l’ombre se passe à l’extérieur, ce qui est rare chez Labiche . Nous sommes dans le jardin de la propriété à la campagne que possède le riche et influent M. Pomadour. Il y a quelques invités: Courtin, Piget et le grand et bel Adolphe qui, comme tous les autres, a fait un peu trop d’honneur au bon déjeuner et surtout au petit vin blanc ( du Chablis, mon cher, répliquera, vexé,  Pomadour…).
Ils jouent au jeu dit du tonneau ou de la grenouille où il s’agit de lancer un   jeton plat en fonte  dans  des trous. Mais cela ennuie vite les invités de Pomadour qui n’osent cependant pas l’avouer. Et Adolphe, lui, profitera de la présence des autres dans le jardin  pour aller embrasser la jeune et belle Madame Pomadour qui ne semble pas du tout  en être vraiment accablée…
Et quand Pomadour s’en apercevra, il exigera évidemment réparation en duel avant de comprendre son erreur puisqu’il n’y  connaît rien en armes. Alors que son adversaire s’en vante, lui.  Cela, bien entendu,s’arrangera, puisque l’un et l’autre s’accorderont sur un dédommagement financier qui , comme le fait remarquer Pomadour,  ira à ses bonnes œuvres: la construction d’une école dans le village où enfin pourra être dispensée l’instruction au bon peuple et dont il pourra être reconnu comme un généreux et glorieux  donateur…
La seule qui soit vraiment sympathique, telle que la voit  Pierre Pradinas, est madame Pomadour qui rêve à l’évidence d’une petite aventure extra-conjugale. Comme toujours chez Pradinas, la mise en scène eet la direction d’acteurs sont extrêmement soignées, et l’on rit de bon cœur à cette pochade où le couple Romane Bohringer et Gérard Chaillou sont remarquables. On se demande seulement pourquoi Pradinas a fait mettre des costumes contemporains à ces personnages…Et pourquoi, il y a cet écran bleu en fond de scène?
  labichephotolibremarionstalens2831.jpgQuant à  Embrassons-nous Folleville qui date  du milieu du siècle, elle est plus proche d’une sorte de petite comédie musicale:  » cet art d’être bête avec des couplets « disait déjà  Labiche. La pelouse verte du jardin bascule en arrière  et l’on découvre alors le salon bourgeois un peu vulgaire de M. Manicamp, bourgeois lui aussi , très  sûr de lui qui veut absolument marier sa fille Berthe (toujours Romane Bohringer) avec le Chevalier de Folleville ( Matthieu Rozé). Petit ennui imprévu: Folleville, assez timoré ne sait pas comment  résister aux ordres  péremptoires de son futur beau-père qui commence à organiser tout le mariage… D’autant que Folleville n’éprouve aucune sympathie pour la jeune fille…
  Elle-même n’est pas insensible  au riche Vicomte de Chatenay qui commence à être follement amoureux d’elle. Après bien  des péripéties, et notamment une bagarre avec destruction de vases de fleurs et un  repas où Manicamp et Chatenaay s’envoient leur assiette  petit salé au visage, avant de se réconcilier…Et tout rentrera dans l’ordre.
Il y a quelque chose de noir , même dans le décor, et de tout à fait surréaliste dans le texte qui ont  sûrement bien plu à Pierre Pradinas  dont la mise en scène est aussi brillante, même si les chansons sont  doublées ; on rit parfois, mais la pièce-un peu longuette- n’a pas ce même degré de virulence  et cette mêm exigence dans le dialogue:  l’ennui pointe donc parfois .

  Alors à voir?  Oui, mais ce n’est pas incontournable:  on reste quand même un peu sur sa faim, surtout pour la seconde des deux pièces. Enfin si vous avez envie d’aller goûter  l’air printanier et écouter les oiseaux chanter à la Cartoucherie, pourquoi pas?
Il y a aussi à quelques dizaine de mètres, au Théâtre de l’Epée de bois,  La Cagnotte du même Labiche,  dont Elise Blanc vous parlera prochainement…

Philippe du Vignal

Théâtre de le la Tempête , Cartoucherie de Vincennes jusqu’au 10 avril.
 

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