LEAVES

LEAVES de Lucy Caldwell, traduction de Séverine Magois, mise en scène  de Mélanie Leray.

leave.jpgAutre spectacle du Théâtre des Lucioles, cette mise en scène de la première pièce de Lucy Caldwell, jeune dramaturge irlandaise, nous enferme dans un huis-clos familial traversé par un drame; une tentative de suicide de la fille aînée qui était partie faire ses études à Londres. Son père, sa mère et ses deux jeunes soeurs, Poppy et Clover, attendent son retour dans leur maison de Belfast.
Elle revient, elle est là, fermée sur son secret et aucun d’eux ne trouve les mots justes pour lui parler. Chacun s’en tient au rôle qu’il avait avant le drame. Seule Clover, 15 ans, a la lucidité révoltée de son âge.  Nous sommes à Belfast, et  l’histoire douloureuse de l’Irlande pèse sur les mots et sur les corps. Peut-être Lori, à Londres, a-t-elle été renvoyée à cette tragédie qu’elle porte en elle? Nous ne le saurons pas. Seul indice, elle semble jalouse de sa jeune sœur, née après le cessez-le-feu et qui ne porte pas en elle la tristesse du déchirement.

La pièce se termine par un retour en arrière. Nous sommes trois mois avant,  et toute la famille fête le départ de Lori pour Londres, gaieté factice.
Le décor de « maison témoin » comme le définit Mélanie Leray, banalise ce qui se joue entre ces personnages. Les photos projetées sur grand écran disent le bonheur des années d’enfance mais ne suffisent pas à créer cette ligne rompue entre présent et passé, cette tension entre les personnages, que l’on sent davantage à la lecture du texte.
La pièce et les personnages sont en fait plus complexes que la mise en scène nous le fait voir.

 

Françoise du Chaxel.

Spectacle vu à la Maison des Arts de Créteil le 3 Mars, et en tournée actuellement

La pièce est parue aux Editions Théâtrales.

 


Archive pour mars, 2011

LOUISE, ELLE EST FOLLE

LOUISE, ELLE EST FOLLE de Leslie Kaplan mise en scène par le collectif du Théâtre des Lucioles.

tableaulouise1reduit.jpgDeux femmes entrent sur le plateau, l’une d’elles attaque: » Tu m’as trahie/ tu as pris mes mots/tu les as tournés/tu les as retournés/tu les as vidés/tu les as aplatis ». Et voilà, c’est parti, elles vont s’affronter autour des mots et du sort qu’on leur fait. Ce sont eux les personnages principaux. Deux femmes s’affrontent donc dans une joute de mots comme en Irlande dans les pubs, une joute qui s’arrête lorsque l’un des adversaires ne trouve plus rien à dire face à l’autre qui a le dernier mot.
Elles parlent, elles parlent. De quoi? De tout ce qui fait la vie aujourd’hui, des gens, des habitudes, des manies, de ce qu’on voit ou pas, de ce qu’on achète ou pas, du trivial et du sublime, de Dieu qui, lui, fait ce qu’il veut. Nous sommes dans la civilisation du cliché qui mène à la violence car il dit ce qu’il faut penser et vivre.
Et Louise dans tout ça? Louise, elle est folle, répètent les deux femmes, histoire de dire qu’elles ne sont pas comme elle. Mais ce qu’elles disent d’elle ne ressemble pas à de la vraie folie, elle serait plutôt bête. Elles ont croisé des vrais fous, la femme qui entassait ses ordures chez elle, l’homme qui avait tué sa femme et avait conservé son corps dans un liquide. Elles parlent, elles parlent et en répétant les mots; elles les vident parfois de sens ou se laissent emporter là où elles ne pensaient pas aller, le X de poux qui les mène au sexe des mots  par exemple.  Elles, ce sont Frédérique Loliée et Elise Vigier du Théâtre des Lucioles, ce collectif si vivant né à l’école de théâtre du Théâtre national de Bretagne; elles  ont avec Leslie Kaplan une complicité commencée avec un atelier  à la prison de femmes de Rennes. Elles avaient demandé à Leslie Kaplan d’écrire pour elles sur le thème des femmes et la consommation, et  Toute ma vie j’ai été une femme  deviendra le spectacle Duetto. Louise, elle est folle prolonge cette réflexion sur les mots, les femmes, la ville, la folie, soit un spectacle à trois construit lors de résidences à Paris, à Saint-Valéry en Caux et à Angers. Les deux comédiennes manient les mots de Leslie Kaplan comme des armes.
Frédérique est celle qui n’a jamais fini de poser des questions, Elise celle qui répond ou pas, qui l’entraîne ailleurs, qui finit par buter sur les mots mais les retrouve pour parler du ciel, des ciels , de tous les ciels qu’elle aime, tandis que Frédérique qui ne sait plus comment arrêter sa litanie ,invente des bruits effrayants et termine sur encore une interrogation: « Qu’est ce qui se passe? » Leslie Kaplan place son texte sur la ligne Copi- Bunuel- Beckett. On rencontre bien sûr l’escargot de La Femme Assise de Copi mais on pense surtout aux clowns métaphysiques de Beckett qui parlent de pieds douloureux et de Dieu.
Ces femmes qui se lancent des mots avec tant d’énergie, se passent aussi la vie. Un dispositif astucieux, un mur à transformation, qui devient rue, ville, immeuble, appartement, tableau, ciel , abrite leurs querelles et leurs rêveries. C’est un spectacle revigorant, drôle et cruel, qui fait entendre le bruit du monde à travers les mots sens dessus-dessous.


Françoise du Chaxel.

Maison de la poésie, rue Saint-Martin à Paris, 01 44 54 53 00 , jusqu’au 27 Mars.

Le texte de la pièce est paru aux éditions POL

La Grande Clameur

La Grande Clameur , création pour comédiens, marionnettes et théâtre d’objets de Jean-Louis Heckel.

 

img3793.jpgAvec ce spectacle,  Jean-Louis Heckel évoque la vie de François Colonge. Cet ouvrier et représentant syndical à la manufacture de tabac de Pantin a vu sa vie bouleversée quand son usine  a fermé. C’ était l’une des plus grandes de la ville au début du XX ème siècle, quand elle y produisait le fameux paquet de cigarettes: « gauloise rouge ».
Mais la concurrence était  là et l’Etat décida en 78 d’interrompre les production  après 19 mois d’occupation par une dizaine d’ouvriers. Les gouvernements de droite comme de gauche avaient  contribué à la fermeture de la « Pantinoise » , comme les habitants la nommaient. Dans leur mémoire  et celle  de Jean-Louis Heckel, dont la compagnie La Nef est installée aujourd’hui à Pantin, cet échec incarne la toute puissance de l’économie de marché et destructrice d’emplois , qui n’a fait que se confirmer depuis, et qui s’insinue dans le quotidien de l’être humain… C’est le thème de La Grande Clameur.
La marionnette de François Colonge évolue dans une maison de poupée hyper-réaliste, et installée sur un ingénieux manège/ castelet, qui reçoit aussi des projections photo et vidéo qui nous plonge dans l’actualité du passé. Un musicien et  bruiteur a créé une intelligente illustration sonore. La manipulation de la marionnette par deux comédiens,  se fait à vue; pour François Collonge, c’est une poupée articulée,  et pour  son unique compagnon, un mainate bavard, symbole de la mauvaise conscience politique de Collonge,
c’est  une marionnette à gaine.
Mais la cohérence entre les  deux modes de manipulation n’est pas toujours facile  à trouver. Le personnage de François Colonge pourrait être encore plus vivant, quand nous assistons à cette journée de 1992 où l’usine fut dynamitée. Jour précis où cet ouvrier a rendez-vous avec l’histoire, jour funeste où il décide de ne pas se rendre à l’ultime manifestation de soutien avec ses camarades.
Les scènes alternent entre les souvenirs d’une vie de militant et les déambulations poétiques de ce héros malgré lui. Et, c’est  à ces instants de poésie nostalgique,  que le jeu est le plus juste. « Il n’y a pas de fin à cette histoire, il faut juste ne pas l’oublier pour pouvoir la réécrire et la réinventer »: la  phrase finale du spectacle  traduit bien la nostalgie et les questionnements sur notre avenir;  Jean Louis Heckel , comme beaucoup d’artistes,  n’arrive pas à se résoudre à la chute inexorable des belles utopies sociales…

 

 

 

Jean Couturier

 

 

 

Au Giboulées de la marionnette Théâtre Jeune Public de Strasbourg le 25 et 26 mars

Ma Chambre froide

Ma Chambre froide, texte et mise en scène de Joël Pommerat.

 froide.jpgC’est un spectacle où la narration, du moins des morceaux de narration, est plus explicite que dans les précédents spectacles de Jöel Pommerat mais, avec une dramaturgie  qui lui est bien personnelle; de temps à autre, en effet, une voix off ponctue, voire  commente l’action, un peu comme dans une sorte de roman-feuilleton théâtral. L’auteur/ metteur en scène a  abandonné le fantastique et le fabuleux qui était un peu comme la signature de ses précédents spectacles et   Ma chambre froide  qui garde quelque chose du conte moderne possède une lisibilité sans défaut:  personnages, intrigue, etc… du moins en apparence, puisque Joël Pommerat invite quand même le spectateur à l’aider dans la construction de cette tragi-comédie…
Cela se passe dans une entreprise- une P.M.E. comme on dit- qui possède un  super-marché, un abattoir, un bar et une cimenterie,  et c’est  cet ensemble qui est dirigé par un certain Blocq qui fait penser à la fois à Maître Puntila, le héros de Brecht mais aussi au  Thomas Pollock Nageoire de L’Echange de  Claudel.
Méprisant, raciste, exigeant , l’engueulade  et le hurlement faciles, cynique et enclin à la promotion-canapé; Blocq  est évidemment détesté mais ses employés n’ont pas le choix et  filent doux…. Jusqu’au jour où il apprend  de ses médecins qu’il est condamné et qu’il disparaîtra dans quelques mois. Et, comme il hait profondément ses enfants, il va léguer  son entreprise à ses employés, à charge pour eux de consacrer une journée par an à sa mémoire, de façon à ce qu’il reste quand même quelque chose de lui. C’est  Estelle ,  une jeune femme douce et gentille
, qui rend  service à tout le monde, sans jamais se plaindre de ses  collègues qui abusent de sa gentillesse, ni de son patron qui, pense-t-elle, est quand même un être bon qui, s’il  voyait correctement les choses, se conduirait comme il faut. Estelle n’arrive pas à condamner les agissements des autres: c’est sa force mais aussi sa faiblesse et elle, avec ses collègues, s’engage devant  notaire à monter un spectacle sur la vie de Blocq. Le spectacle, avec des animaux joués par les employés, bien entendu, ne verra jamais le jour!
Aucun d’entre eux n’a été préparé  au bouleversement qui va tous les secouer, aussi fortement que s’ils avaient été licenciés par Blocq et, comme le dit Adeline: « Passe encore d’hériter d’un magasin et d’essayer d’apprendre à le diriger mais devenir, en même temps, patron de trois autres sociétés dans lesquelles je n’ai jamais mis les pieds, ça me dépasse, je l’avoue, et ça me liquéfie ça! « . Adeline et ses collègues, de petits employés smicards qu’ils étaient, vont se retrouver tous patrons à égalité, et découvrir à leurs dépens ,  les rouages qui font tourner la
chambre.jpgboîte, et comment il faut parfois , envisager et vite et le moins mal , des solutions  dures radicales, même si c’est aux dépens d’autres hommes qui n’ont rien à se reprocher…   C »est à partir de là que les  vrais ennuis  vont commencer . En fait, la cession de l’entreprise aux employés se révéler être un cadeau empoisonné, avec une série de catastrophes annoncées mais que Blocq avait fait passer sous le tapis: le bar se révèle être un bar à putes, et ils donc ont peur d’être accusés de proxénétisme; les  abattoirs ne sont plus aux normes et il faudrait beaucoup d’argent pour faire les travaux, et, comme le cours de la viande n’est pas fameux, on irait droit dans le mur ; quant à la cimenterie, elle,  ne vaut plus grand chose, sauf à vendre le terrain…
Parmi eux, la situation n’est ps réjouissante et ils commencent à s’injurier; la  gentille et douce Estelle, va devenir une femme très dure, au moment où il va falloir procéder à des choix douloureux. C’est elle aussi qui va prendre en main les répétitions du spectacle en hommage à leur ancien patron, petit clin d’œil de Joël Pommerat au grand Shakespeare  et sans doute l’un des meilleurs moments du spectacle.
Et le magasin? Il tiendra encore le coup mais lui aussi finira par fermer. Et cela se termine comment ce feuilleton? Le mari policier d’Estelle se fera tuer, Estelle quittera son emploi sans crier gare pour ne revenir que  bien des années après.
Mais, ultime coup de théâtre, il y aura une fin heureuse pour les autres employés, que l’on ne vous dévoilera pas … Comme toujours chez Joël Pommerat, le dialogue d’abord mais aussi la mise en scène,  la direction  comme le jeu des comédiens (Jacob Ahrend, Saadia Bentaïeb, Lionel Codino, Serge Larivière, Frédéric Laurent, Ruth Olaizola-exceptionnelle dans un double rôle que l’on vous laisse découvrir-Maria Pumontese et Nathalie Rjewsky ) sont d’ une rare qualité: les changement de scène, ponctués par des noirs, sont impeccables, comme les éclairages et le son.
Joël Pommerat a sa façon bien à lui, comme il dit, de considérer « le théâtre comme un lieu possible d’interrogation ». Et toute cette machinerie dramaturgique qui parait simple comme toutes les belles choses, est en réalité fondée, semble-t-il,  sur une espèce d’équilibre complexe entre le temps théâtral et le temps du vécu de chacun des protagonistes,  et  le remarquable scénario de cette fable  ne cesse de nous surprendre.
Seuls bémols: la pièce, qui dure quand même deux heures et quart, patine un peu sur la fin et aurait sans doute été plus forte,  si elle avait eu quelque 25 minutes de moins. Et cette inscription du temps vécu dans un cercle avec le public installé tout autour sur de raides banquettes n’est pas vraiment  convaincante.
Mais bon, qu’importe: il n’est pas si fréquent de voir un spectacle de cette ampleur et de cette intelligence…


Philippe du Vignal

Odéon-Théâtre de l’Europe-Ateliers Berthier, jusqu’au 27 mars puis au Théâtre d’Arras les 12 et 13 mai, et ensuite,  en tournée, pendant la saison 2011-2012. T: 01-44-85-40-40

La Voix humaine

La Voix humaine de Jean Cocteau, mise en scène d’ Ivo van Hove.

 

  36041.jpgCe monologue de Cocteau, mise en scène par le Néerlandais Ivo van Hove, avec la comédienne vedette du Toneelbroep Halina Reijn,  a fait partie de la programmation du  World Stage, avec une série de  créations  contemporaines et multidisciplinaires présentées  au théâtre  Enwave de  Toronto.
Halina Reijn a  35 ans, mais habituellement le rôle est joué par une comédienne moins jeune. Il s’agit d’une conversation téléphonique où la femme parle  à son amant qui est en train de rompre avec elle, et elle comprend que ce coup de téléphone sera le dernier.  Écrit en 1927, lorsque le service téléphonique n’était pas très perfectionné, le monologue est constamment coupé par l’intervention de voisins mais ces ruptures contribuent à la tension de cet  échange  qui deviendra  peu à peu déchirant.  Au début, la  femme fait semblant de ne pas être trop perturbée par les événements, mais elle perd peu à peu ses moyens et accomplit un geste irrécupérable.  La jeune femme est encadrée  par une  grande fenêtre  et nous observons cette conversation comme des voyeurs. Très agitée, elle se déplace très vite, en entrant et sortant de notre champ de vision.
Nerveuse, elle traverse la scène  sans arrêt pour disparaître  et revenir de nouveau  par  la salle… Peu à peu,  la vérité s’impose: ses grimaces et ses gestes révèlent  un esprit troublé mais sa voix garde une tonalité presque rassurante pour que son amant ne devine pas son déchirement.
Cette première partie de La Voix humaine est bien menée par Halina Reijn, qui fait preuve d’une grande sensibilité et son  agitation physique est  tout à fait justifiée, étant donné l’âge de la protagoniste.  Mais la conversation est interrompue lorsque la femme  pose l’écouteur.
Il s’agit toutefois d’un choix du metteur en scène qui a préféré changé radicalement le rapport entre la femme, le téléphone et son interlocuteur invisible. Elle oublie le téléphone pour un bon moment, et s’adresse désormais  à la salle, ce qui nous coupe du monde trouble que nous étions en train d’intérioriser.  De plus, sa voix est déformée  par des moyens technologiques pour devenir une vibration  désagréable. Elle hurle et  griffonne un message désespéré   sur une feuille de papier qu’elle colle à la fenêtre.
Ces inventions du metteur en scène laissent quelque peu perplexe. Quand il tente de rendre le dialogue plus mouvementé, de donner  plus de « vie » à cette femme seule en scène, il finit par  nous faire décrocher  du texte et du personnage. Même le dernier geste de désespoir de cette femme nous  laisse indifférent.Mais le public a réagi de manière  positive lors d’une conversation avec la comédienne après le spectacle ; Halina Reijn est sympathique  et douée. Mais la  volonté chez son metteur en scène , de faire moderne à tout prix, ne l’aide pas beaucoup.

Alvina Ruprecht

 

Spectacle vu à l’Enwave Theatre à Toronto, avec surtitres en anglais, du 2 au 5 mars. 

.

Les Grandes personnes

 Les Grandes personnes de Marie NDiaye, mise en scène de Christophe Perton  mystère et les thèmes de l’écriture romanesque de Marie NDiaye.

 

1298986898088.jpgCela fait pas mal d’années que Marie NDiaye s’est fait connaître  comme romancière; elle a eu les honneurs du Prix Fémina, puis  du Prix Goncourt avec Trois femmes puissantes; et l’on se souvient sans doute aussi qu’elle n’avait pas eu peur de dire avec une belle lucidité, tout le bien qu’elle pensait du gouvernement actuel:« Je trouve cette France-là monstrueuse. Le fait que nous (avec son compagnon, l’écrivain Jean-Yves Cendrey, et leurs trois enfants ) ayons choisi de  vivre à Berlin depuis deux ans est loin d’être étranger à ça. Nous sommes partis juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy, même si j’ai bien conscience que dire ça peut paraître snob. Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux ». Et le merveilleux Eric Raoult , député UDF et maire du Raincy, avait exigé d’elle qu’elle  observe un devoir de réserve, comme si elle était une fonctionnaire… Ce qui avait placé tonton Fredo, ministre de la Culture, dans une drôle de situation…
Mais Marie NDiaye est aussi  auteur dramatique; et la seule écrivain française vivante dont une pièce
Papa  doit manger,  mise en scène par André Engel,  est  entrée (2003) au répertoire de la Comédie-Française  et  Christophe Perton qui doit bientôt tourner un film d’après Trois femmes puissantes et qui avait déjà mis en scène Hilda, la première pièce de Marie NDiaye, puis Rien d’Humain, lui a commandé ces Grandes Personnes où l’on  retrouve ici cet univers si particulier où les enfants, quel que soit leur âge, sont en conflit violent avec leurs parents.Les Grandes Personnes, c’est, comme le dit justement Perton, une sorte de conte où des parents ne veulent pas ou ne peuvent pas voir leurs enfants tels qu’ils sont en réalité.
Il y a ainsi, Eve et Rudi, plutôt grands bourgeois; ils ont perdu leur fille ,qui s’est sans doute suicidée et dont le fantôme blanc qui se niche sous l’escalier, revient sans cesse les tourmenter:  » J’avais des parents merveilleux, un frère adorable, une vie exquise. L’amour, le bien être et le confort, il m’appartenait de les mettre en péril, Car je ne sentais pas que j’existais… ».
Et leur fils adoptif africain qui les a quittés peu de temps après leur fille,  leur reproche de l’avoir adopté parce que cela a fait terriblement souffrir ses parents naturels qu’il garde, logés dans sa poitrine:  » Oui, c’est à l’adolescence que j’ai commencé à les sentir se tortiller en moi (…) Ils étaient impérieux, vous savez, ils étaient pleins d’assurance car le temps ne comptait pas pour eux ».  Mais les parents ne comprennent pas non plus ce qui leur arrive: « Et au lieu de nous laisser endosser tout le mal possible, au lieu de nous laisser vous aimer et vous protéger, vous êtes partis en douce… », dira Rudi, exaspéré, qui se refuse à accepter les choses .
Il y a aussi Georges et Isabelle, les amis d’enfance d’Eve et Rudi, un couple plutôt « modeste », comme on dit à France-Inter, qui se réjouissent d’avoir un fils devenu instituteur. Mais une jeune femme africaine l’accusera d’avoir violé son fils et d’autres enfants de sa classe. Ce qu’il ne veut pas admettre, et ce que ses parents, avec un tas d’arguties de la plus mauvais foi, se refusent à considérer comme des actes criminels. Et la jeune femme africaine se retrouvera sans défense devant les parents d’élèves.
Marie NDiaye dit que tout ce qu’elle écrit est « une espèce d’exagération des histoires que l’on trouve dans toutes les familles » ,et que sa connaissance du monde et des êtres en France s’est faite dans un village de la Beauce où elle a passé son enfance avec sa mère. Les personnages des Grandes personnes, comme ceux de ses romans,  semblent tous voués à la solitude, même et surtout quand ils vivent ensemble, poursuivis par une sorte de mal-être qu’ils n’arrivent pas à s’expliquer: peut-être, comme cet instituteur qui dit être « seul dans ma maison solitaire, dans mon école », ne sont-ils jamais arrivés à  couper vraiment le cordon ombilical avec les parents. Ni enfants, ni adultes, ils sont devenus des êtres vulnérables qui n’aiment pas les enfants et que les adultes n’aiment pas.Et les parents ne veulent pas admettre que la cellule familiale leur est devenu un enfer. Les humiliations,le refus de vivre, le déni semblent passer de génération en génération, comme un mal irréversible. Bref, le malentendu qui engendre la souffrance comme le  malheur, est  sur toute la ligne…
1298986898090.jpgLes dialogues de  Marie NDiaye sont ciselés et écrits dans une langue remarquable, et les comédiens, bien dirigés par Christophe Perton, sont tout à fait crédibles dans des rôles  pas toujours faciles à assumer.
Mais, pourtant, le spectacle a quelque mal à fonctionner, et ces presque deux heures nous ont semblé souvent bien longues, voire même ennuyeuses par moments. A cause, sans doute de la structure de la pièce composée  de courtes scènes sans véritable fil conducteur, où les personnages, parfois un peu caricaturaux, manquent de consistance, et la pièce se termine plutôt qu’elle ne finit. Comme si Marie NDiaye avait eu quelques difficultés à passer du romanesque au théâtral.
A cause aussi d’un choix de mise en scène où Christophe Perton, sans doute influencé par le cinéma, multiplie les descentes de rideau noir, ce qui casse singulièrement le rythme et alourdit le spectacle. On oubliera aussi les corbeaux  noirs empaillés sur de hautes perches pour illustrer le malheur, et l’un d’eux,lui, bien vivant et apprivoisé, s’en ira même traverser la salle (?! )
Alors à voir? Le public, samedi soir, semblait attentif au début, puis beaucoup moins ensuite, ; vous pouvez tenter l’expérience mais on vous aura prévenu, et nous n’avons pas été très sensibles à la proposition de Perton, même si, par ailleurs,le spectacle est très soigné… Mais  c’était déjà le cas avec cette improbable Folie d’ Héraclès qu’il a
récemment montée au Vieux-Colombier!

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Colline jusqu’au 3 avril.

Le texte de la pièce est paru chez Gallimard.

http://www.dailymotion.com/video/xhbwxm

Anticodes

Anticodes

 

Encore quelques jours pour découvrir les composantes de la deuxième édition du festival Anticodes organisé par le Théâtre National de Chaillot, le Quartz de Brest et les Subsistances de Lyon. Anticodes, avec cinq lieux de représentation, rassemble des artistes de sensibilité différente, mais ses organisateurs prennent quelques précautions de langage: “Anticodes est convaincu que la rencontre entre les langages de l’art contemporain et le grand public est possible. Nous ne lui garantissons pas la satisfaction du consommateur mais le choc des esthétiques. Nous lui proposons de ne pas fonctionner sur les à-priori du consensus culturel ”.
Salle Gémier, Michel Schweizer présente
Fauves avec dix adolescents censés avoir tous les talents: philosophie, chant ou danse, en cherchant à décloisonner le rituel de la représentation théâtrale! Mais, en fait, l’on assiste à un pauvre spectacle d’animation culturelle , parfois improvisé, avec la connivence du public (parents, famille et amis) pour le salut final…
Le plateau de la salle Jean Vilar accueille 
Femme Surnaturelle, adaptation d’Alceste d’Euripide du Big Dance Theater, avec des acteurs et des techniques de haut niveau. Cette troupe new yorkaise, fondée en 1991, fait appel à de multiples formes d’expression scénique, mais l’esthétique des années 60-70, quelque quarante ans après, faute d’une véritable dramaturgie, devient ici pesante et sans réelle émotion.
La mise en scène part en effet un peu dans tous les sens: chant choral, théâtre de foire, projections vidéo, interventions très sonores d’une batterie,et comme la chorégraphie peu lisible, et costumes folkloriques d’une inspiration hellénique assez floue…  Malheureusement, on est assez loin du compte quant au sens que voudrait donner le Big Dance Theater à la tragédie d’Euripide… et, si l’on veut se plonger dans la ferveur créatrice du happening américain de ces années-là, mieux vaut sans doute revoir les neuf soirées filmées de
Nine Evenings : theater and Engineering.
Evènement qui avait réuni, en 1966, certains des créateurs les plus engagés de New York comme Robert Rauschenberg, John Cage, Lucinda Childs, et trente techniciens de pointe qui avaient travaillé pendant huit mois à la réalisation d’une série de performances, avec, pour chacune, un dispositif spécialement conçu.
Cela dit, allez butiner la prochaine programmation d’
Anticodes: la surprise-bonne ou mauvaise- peut être au rendez-vous.


Jean Couturier


Anticodes dans plusieurs espaces de Chaillot jusqu’au 12 mars; au Quartz de Brest, du 15 mars au 2 avril,  et  aux Subsistances de Lyon du 31 mars au 3 avril.

Billy Elliot the musical

Billy Elliot the musical, mise en scène de Stephen Daldry, chorégraphie de Peter Darling, scénario et texte de Lee Hall, musique d’Elton John.

  Primé soixante-quinze fois par les critiques à travers le monde anglophone, Billy Elliot – The Musical, inspiré par le film du même nom (2000), a vu le jour à Londres en 2005. Le spectacle  américain a débuté à New York en 2008 et  la première au Canada (mais avec une nouvelle distribution) vient de commencer à Toronto dans une frénésie  médiatique.
Ce soir-là, Elton John, son partenaire le producteur David Furnish et toutes les vedettes sont passées par le fameux « tapis rouge » à l’entrée du Canon Theatre, lieu réservé  à Mirvish, qui  a produit ce mégaspectacle. Toute la publicité faite autour de cet événement n’est  pas exagérée…
C’est  l’histoire d’un jeune homme -joué par quatre acteurs en alternance-originaire d’un milieu ouvrier au Nord de l’Angleterre, qui veut se consacrer à la danse, malgré les objections violentes de sa famille. Avec, en  toile de fond, la grève des mineurs de charbon britanniques (1984-85), menacés de perdre leur emploi, à cause de la politique anti-charbon menée par Thatcher. Ce qui frappe surtout,  c’est d’abord l’extraordinaire virtuosité des artistes, et la manière dont la chorégraphie, la musique, l’ orchestration, les chansons et la théâtralité générale marient les deux récits : les conséquences quasi tragique de cette grève et la passion du jeune Billy, joué par Cesar Corrales,  acteur/danseur stupéfiant de 14 ans, qui lutte pour atteindre son rêve – intégrer la Royal Ballet School  de Londres, pour sortir de la pauvreté de  la classe ouvrière. Certains moments sont inoubliables comme la caricature farouche de Thatcher qui surgit derrière la foule de marionnettes, monstre prêt à dévorer les enfants venus assister à une fête de Noël; les confrontations dansées entre policiers et grévistes, ou entre Billy et les troupes anti-émeutes qui tapent en rythme sur leurs boucliers à la manière de Stomp, les classes de ballet où Billy révèle son talent insoupçonné devant un groupe de jeunes filles maladroites; Billy qui prépare son audition pour le Royal Ballet avec un pianiste du Boogie, et enfin cette audition où le jeune homme explique sa passion pour cet art dont son père ne veut pas entendre parler, de peur qu’on prenne son fils pour une « tante ».
L’un des thèmes récurrents du spectacle est en effet la légitimité de la « différence » représentée par les garçons qui osent assumer leurs désirs profonds et par son petit copain Michael qui aime s’habiller en tutus de ballet et jouer à la fille. Le jeune homme (Dillon Stevens 13 ans) qui interprète Michael, a une présence et une maturité étonnante.
Le spectacle plaide pour l’acceptation de tous les choix qui ne conforment pas à ceux de la majorité, et Elton John, dont la musique s’adapte parfaitement à une chorégraphie  brillante, a sans doute orienté la pensée des créateurs qui , à la fin,  créent un lien entre l’avenir possible de Billy et le dénouement du Lac des Cygnes , quand  la jeune vedette danse  un pas-de-deux « masculin » – version Matthew Bourne- avec un soliste adulte: c’est un moment de grande virtuosité pour affirmer la réussite du jeune homme qui rassemble toute la communauté autour de son projet, même si la grève finit mal.
Les Anglais ont l’habitude d’introduire des thèmes  politiques dans un spectacle musical, ce qui enrichit les formes chorégraphiques, les personnages et le sens général. Il suffit de voir Fela, Blood Brothers, et combien d’autres ,pour en être convaincu.

Alvina Ruprecht

Billy Elliot, the Musical au Canon Theatre à Toronto jusqu’au mois de juillet.

Image de prévisualisation YouTube

 

 

L’Échange

L’Échange, de Paul Claudel (deuxième version) mise en scène de Bernard Lévy.

  p9265510.jpgUne partition à quatre voix, parmi les plus connues de Claudel.Le jeune Louis Laine a épousé Marthe, et l’a entraînée loin de la vieille Europe vers le Nouveau Monde, terre de ses ancêtres indiens. Mais la vie de bohème que mènent les deux amants au bord de l’océan va être vite perturbée par le retour des « patrons » : Thomas Pollock Nageoire, riche homme d’affaires, et sa femme, Lechy Elbernon, actrice sur le déclin.
C’est l’histoire d’une rencontre, et les paroles ricochent entre  les personnages, comme entre quatre facettes d’une même âme.
Lechy et Louis d’un côté , Tomas Pollock et Marthe de l’autre sont attirés l’un par l’autre dans une fascination mutuelle, et il y aura un échange au sein des deux couples… Pour Bernard Lévy, cette œuvre s’impose, par la simplicité et la profondeur des questions qu’elle pose à l’homme, et par sa richesse de ton et d’expression qui lui donne une puissance dramatique.
 Sa mise en scène semble pourtant hésiter entre l’innovation et le traditionnel. La scénographie nous fait pénétrer dans un univers presque hippie plutôt inattendu : la cabane de Marthe et Laine devient, ici, une petite caravane métallisée posée au milieu des terres;  la fameuse balançoire  descend quand on la juge nécessaire et  des images de ciels se succèdent sur un écran, matérialisant le passage de la journée unique  où se déroule l’intrigue, dans un temps théâtral autre que le temps réel.Sur cet écran, viennent aussi s’inscrire à l’occasion quelques phrases du texte, pour rappeler la parole originelle de Claudel, et créer une interaction avec les acteurs.
  L’effet créé est tout de même un peu trop illustratif (entre autres : le coucher de soleil apparaît sagement lorsqu’il est évoqué par les acteurs) et l’écran, qui accapare une partie de l’espace visible, contraste avec le reste de la scène, plongé dans l’obscurité, où les acteurs , dont le jeu  se caractérise par un certain immobilisme, semblent s’égarer: déplacements  réduits au minimum, rythme assez lent, malgré certains passages plus dynamiques, quand, par exemple,  Laine (Pierric Plathier) et Lechy (Aline Le Berre) évoluent ensemble au son d’une guitare.
  Tout cela pèse quelque peu sur l’attention du spectateur, d’autant plus que la parole claudélienne n’est pas vraiment apprivoisée : Bernard Lévy se débat avec un langage  poétique qui, loin de prendre vie, s’impose souvent ici comme un obstacle au sens, et les acteurs ne sont pas très présents : Audrey Bonnet (Marthe), est évanescente, comme  Pierric Plathier; même Pierre-Alain Chapuis, qui interprète un Thomas Pollock Nageoire plutôt ancré et à l’aise au milieu des rires du public, pourrait davantage assumer  son personnage.
Bernard Lévy, séduit par le caractère composite de la pièce et la liberté scénique qu’elle offre, semble s’être un peu perdu et n’a pas  réussi à mettre en place une véritable articulation entre les différentes expressions théâtrales. De bonnes idées tout de même, et de belles images, comme la fenêtre de la caravane qui forme un cadre où les personnages viennent se glisser avec art comme dans une peinture à la lumière dorée.
On se laisse bercer au son de la guitare… mais peut-être un peu trop.

Élise Blanc

Théâtre de l’Athénée jusqu’au 19 mars.

LE SONGE D’UNE NUIT DE MAI

LE SONGE D’UNE NUIT DE MAI  d’après Shakespeare, mise en scène Miguel Borras, maïeuticien Philippe Guérin.

Le Théâtre du Bout du monde travaille depuis l’été 2009 sur ce projet dans le quartier du petit Nanterre, avec une trentaine de personnes, amateurs issus des ateliers d’Emmaüs, du Centre d’accueil et de soins hospitaliers, d’ateliers d’arts plastiques avec des élèves d’écoles élémentaires, ainsi que l’association Z’YA et La Fontaine pour la réalisation des décors. Le Songe d’une nuit de mai s’est concrétisé en 2010, mêlant cinq  comédiens professionnels dans une distribution métissée, il vient d’être repris à Paris pour cinq représentations. Ce Songe s’ouvre sur un prologue improvisé incertain Le Bar des as dans le hall du théâtre. Puis, nous pénétrons dans la salle, avec, sur le plateau une belle installation plastique, réalisée sous la direction de Virginie Berland. On se perd un peu dans les chassés-croisés amoureux, les rôles étant doublés en cours de représentation, il y a deux Démétrius, deux Hermia, deux Lysandre, deux Héléna, et les doublures sont  plus âgées que leurs personnages. ..  Mais il y a une belle mise en abyme dans les répétitions et la représentation montée par les artisans.
Puck, déguisé en singe insolite, est interprété avec lenteur par une bonne comédienne Catherine Bloch, alors qu’il devrait aller à la vitesse de l’éclair. Gora Diakate est un puissant Obéron.   Malgré les  maladresses de jeu inévitables (
ces comédiens amateurs ont eu des accidents de la vie),  mais grâce à elles, l’émotion gagne peu à peu le public et on se prend à renoncer à des comparaisons inutiles avec de grandes mises en scène, comme celle de Peter Brook,  ou récemment celle de Yann-Joël Colin.
Le Théâtre du Bout du monde fondé voilà vingt ans, mène des ateliers théâtre à Nanterre dans les écoles maternelles, à la MJC Daniel Féry, dans les collèges, au CASH et avec les jeunes et les habitants de Nanterre, ainsi qu’au Centre Emmaüs de Paris Xe.

Edith Rappoport

Théâtre du Bout du Monde, Maison des pratiques artistiques amateurs, Auditorium Saint Germain tbm://compagnie, Tél : 01 47 84 23 38 tbm.blospot.com.
Une table ronde sur  le thème: Amateurs et professionnels : Confusion ou collaboration ? est organisée à la MPAA, Auditorium Saint Germain ,le 5 mars de 14 à 18 heures avant la représentation.

 

Image de prévisualisation YouTube

123456

DAROU L ISLAM |
ENSEMBLE ET DROIT |
Faut-il considérer internet... |
Unblog.fr | Annuaire | Signaler un abus | Le blogue a Voliere
| Cévennes : Chantiers 2013
| Centenaire de l'Ecole Privé...