Les Grandes personnes de Marie NDiaye, mise en scène de Christophe Perton mystère et les thèmes de l’écriture romanesque de Marie NDiaye.
Cela fait pas mal d’années que Marie NDiaye s’est fait connaître comme romancière; elle a eu les honneurs du Prix Fémina, puis du Prix Goncourt avec Trois femmes puissantes; et l’on se souvient sans doute aussi qu’elle n’avait pas eu peur de dire avec une belle lucidité, tout le bien qu’elle pensait du gouvernement actuel:« Je trouve cette France-là monstrueuse. Le fait que nous (avec son compagnon, l’écrivain Jean-Yves Cendrey, et leurs trois enfants ) ayons choisi de vivre à Berlin depuis deux ans est loin d’être étranger à ça. Nous sommes partis juste après les élections, en grande partie à cause de Sarkozy, même si j’ai bien conscience que dire ça peut paraître snob. Je trouve détestable cette atmosphère de flicage, de vulgarité… Besson, Hortefeux, tous ces gens-là, je les trouve monstrueux ». Et le merveilleux Eric Raoult , député UDF et maire du Raincy, avait exigé d’elle qu’elle observe un devoir de réserve, comme si elle était une fonctionnaire… Ce qui avait placé tonton Fredo, ministre de la Culture, dans une drôle de situation…
Mais Marie NDiaye est aussi auteur dramatique; et la seule écrivain française vivante dont une pièce Papa doit manger, mise en scène par André Engel, est entrée (2003) au répertoire de la Comédie-Française et Christophe Perton qui doit bientôt tourner un film d’après Trois femmes puissantes et qui avait déjà mis en scène Hilda, la première pièce de Marie NDiaye, puis Rien d’Humain, lui a commandé ces Grandes Personnes où l’on retrouve ici cet univers si particulier où les enfants, quel que soit leur âge, sont en conflit violent avec leurs parents.Les Grandes Personnes, c’est, comme le dit justement Perton, une sorte de conte où des parents ne veulent pas ou ne peuvent pas voir leurs enfants tels qu’ils sont en réalité.
Il y a ainsi, Eve et Rudi, plutôt grands bourgeois; ils ont perdu leur fille ,qui s’est sans doute suicidée et dont le fantôme blanc qui se niche sous l’escalier, revient sans cesse les tourmenter: » J’avais des parents merveilleux, un frère adorable, une vie exquise. L’amour, le bien être et le confort, il m’appartenait de les mettre en péril, Car je ne sentais pas que j’existais… ».
Et leur fils adoptif africain qui les a quittés peu de temps après leur fille, leur reproche de l’avoir adopté parce que cela a fait terriblement souffrir ses parents naturels qu’il garde, logés dans sa poitrine: » Oui, c’est à l’adolescence que j’ai commencé à les sentir se tortiller en moi (…) Ils étaient impérieux, vous savez, ils étaient pleins d’assurance car le temps ne comptait pas pour eux ». Mais les parents ne comprennent pas non plus ce qui leur arrive: « Et au lieu de nous laisser endosser tout le mal possible, au lieu de nous laisser vous aimer et vous protéger, vous êtes partis en douce… », dira Rudi, exaspéré, qui se refuse à accepter les choses .
Il y a aussi Georges et Isabelle, les amis d’enfance d’Eve et Rudi, un couple plutôt « modeste », comme on dit à France-Inter, qui se réjouissent d’avoir un fils devenu instituteur. Mais une jeune femme africaine l’accusera d’avoir violé son fils et d’autres enfants de sa classe. Ce qu’il ne veut pas admettre, et ce que ses parents, avec un tas d’arguties de la plus mauvais foi, se refusent à considérer comme des actes criminels. Et la jeune femme africaine se retrouvera sans défense devant les parents d’élèves.
Marie NDiaye dit que tout ce qu’elle écrit est « une espèce d’exagération des histoires que l’on trouve dans toutes les familles » ,et que sa connaissance du monde et des êtres en France s’est faite dans un village de la Beauce où elle a passé son enfance avec sa mère. Les personnages des Grandes personnes, comme ceux de ses romans, semblent tous voués à la solitude, même et surtout quand ils vivent ensemble, poursuivis par une sorte de mal-être qu’ils n’arrivent pas à s’expliquer: peut-être, comme cet instituteur qui dit être « seul dans ma maison solitaire, dans mon école », ne sont-ils jamais arrivés à couper vraiment le cordon ombilical avec les parents. Ni enfants, ni adultes, ils sont devenus des êtres vulnérables qui n’aiment pas les enfants et que les adultes n’aiment pas.Et les parents ne veulent pas admettre que la cellule familiale leur est devenu un enfer. Les humiliations,le refus de vivre, le déni semblent passer de génération en génération, comme un mal irréversible. Bref, le malentendu qui engendre la souffrance comme le malheur, est sur toute la ligne…
Les dialogues de Marie NDiaye sont ciselés et écrits dans une langue remarquable, et les comédiens, bien dirigés par Christophe Perton, sont tout à fait crédibles dans des rôles pas toujours faciles à assumer.
Mais, pourtant, le spectacle a quelque mal à fonctionner, et ces presque deux heures nous ont semblé souvent bien longues, voire même ennuyeuses par moments. A cause, sans doute de la structure de la pièce composée de courtes scènes sans véritable fil conducteur, où les personnages, parfois un peu caricaturaux, manquent de consistance, et la pièce se termine plutôt qu’elle ne finit. Comme si Marie NDiaye avait eu quelques difficultés à passer du romanesque au théâtral.
A cause aussi d’un choix de mise en scène où Christophe Perton, sans doute influencé par le cinéma, multiplie les descentes de rideau noir, ce qui casse singulièrement le rythme et alourdit le spectacle. On oubliera aussi les corbeaux noirs empaillés sur de hautes perches pour illustrer le malheur, et l’un d’eux,lui, bien vivant et apprivoisé, s’en ira même traverser la salle (?! )
Alors à voir? Le public, samedi soir, semblait attentif au début, puis beaucoup moins ensuite, ; vous pouvez tenter l’expérience mais on vous aura prévenu, et nous n’avons pas été très sensibles à la proposition de Perton, même si, par ailleurs,le spectacle est très soigné… Mais c’était déjà le cas avec cette improbable Folie d’ Héraclès qu’il a récemment montée au Vieux-Colombier!
Philippe du Vignal
Théâtre de la Colline jusqu’au 3 avril.
Le texte de la pièce est paru chez Gallimard.
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