LA VERF EN PERF

LA VERF EN PERF  Performance de rue de Marie-Do Fréval, collaboration artistique de Nadège Prugnard

mamort41.jpgNous avons été quelques uns à recevoir une invitation mystérieuse pour cette performance, dans un lieu tenu secret jusqu’à la veille de cet événement; on nous disait seulement de venir bien habillés et en noir. Nous nous sommes retrouvés à la Bibliothèque polonaise dans l’île Saint-Louis, nous attendons dans un silence recueilli, il y a une grande table rectangulaire au milieu du beau patio, des caddies pleins de gobelets et de bouteilles de champagne.
Marie-Do arrive en grande tenue, une robe longue avec  traîne, et se maquille soigneusement, lentement le visage de noir et s’élance dans les rues en proférant frénétiquement des textes dont le sens nous échappe, ça doit tourner autour de la mort. Nous la suivons, on nous sert du champagne, elle traverse le pont, jette au vent des liasses de billets de 500 dollars de la Bank of the Hell ! Elle pénètre dans des magasins,le marchand de meubles surpris ne lui refuse pas un fauteuil, celui des animaux empaillées a dû être prévenu, il y a un énorme bison, qui lui permet d’affirmer son discours.
Nous nous arrêtons dans le jardin du souvenir des déportés au bord de la Seine et sur l’autre rive on aperçoit sur une une grande banderole, Ma mort n’est la faute de personne !, c’est le titre du spectacle qu’elle prépare pour 2012.
Un cor fait résonner une musique lancinante, nous traversons le pont pour nous retrouver à la Bibliothèque polonaise, autour de la table où Marie-Do s’est étendue dans une fixité mortelle.Heureusement elle revient à la vie et on nous sert encore force champagne.

Edith Rappoport

http://www.cieboucheabouche.com/ 

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Archive pour avril, 2011

Lettres d’amour à Staline

Lettres d’amour à Staline de Juan Mayorga, texte français de Jorge Lavelli et Dominique Poulange, conception et  mise en scène Jorge Lavelli.

  Juan Mayorga, à 46 ans, membre du collectif  théâtral El Astillero de Madrid, a écrit une trentaine de pièces, et est sans doute l’écrivain espagnol contemporain le mieux connu en France. Et sa pièce pour le moins complexe,Le Garçon du dernier rang, qu’avait monté Jorge Lavelli en mars 2009 ( voir Le Théâtre du Blog) , mettait singulièrement en lumière les difficultés que nous éprouvons tous quant à notre identité et  le pouvoir de la manipulation. ..
 Cette fois, la pièce  de Juan Mayorga, à travers quelques épisodes de la vie de Boulgakov, constitue, comme le dit l’auteur lui-même,  » une méditation sur la nécessité pour l’artiste d’être aimé du pouvoir, nécessité aussi forte que celle du pouvoir à être aimé de l’artiste ». Boulgakov (1891-1940)  fut d’abord médecin, puis se mit à l’écriture: on lui doit plusieurs romans dont le célèbre Le Maître et Marguerite,  et plusieurs pièces; il  fut ,  tout  au long de sa courte vie, à la fois  jalousé  par Meyerhold, Maïakoswski, et Taïrov, ce qui fait quand même beaucoup, et  joué par Stanislawski,  mais n’a cependant pas pas cessé  d’avoir de sérieux ennuis avec la censure et cela ,dès les années 20. Staline l’admirait beaucoup et l’a même aidé, mais s’en méfiait terriblement. Au moins, lui,  ne fut-il pas exécuté…
  Staline, comme le dit Jorge  Lavelli, » cette bête redoutable dont la voix et la volonté ont irradié la fin de la seconde guerre mondiale » régnait alors sur les intellectuels et il n’y avait aucune possibilité de se démarquer du régime, sauf à se taire et à ne plus écrire que des choses inconsistantes.
Sur cette base historique t simplifiée, Mayorga en profite pour nous parler des situations  déchirantes à un moment de la vie, qui accablent les grands poètes comme n’importe lequel d’entre nous. Dans ces Lettres d’amour à Staline, on voit donc le malheureux Boulgakov avec son épouse à un moment où il ne sait plus très bien comment rester lui-même face à une censure sans nom, sans visage mais terriblement efficace et éprouvante.

  Et Boulgakov décide alors d’écrire une lettre à Staline pour lui demander de quitter l’Union soviétique, même provisoirement, puisque tous ses écrits sont systématiquement rembarrés par un pouvoir occulte. Et, fait extraordinaire, il reçoit même un jour un coup de téléphone du petit père des peuples, en personne qui désire beaucoup le rencontrer pour avoir un entretien avec lui. Mais, fatalité ou volonté du maître absolu du Kremlin,on le saura pas, la communication est soudainement coupée. Et la vie de Boulgakov va devenir insupportable, et sa personnalité elle-même en est dévorée. Il l’écrit: « mes forces sont brisées, je n’ai plus le courage d’exister dans cette atmosphère de traque, je sais qu’à l’intérieur de l’URSS, il m’est interdit de publier mes livres ou de faire jouer mes pièces ». Mais l’exil tant demandé ne lui est pas accordé.
 Il y a dans la pièce de Mayorga deux personnages: Boulgakov et sa femme, sans doute la deuxième,( il en eut trois) qui joue au début surtout le personnage de Staline en cherchant à l’incarner au maximum dans une sorte d’exorcisme, puis Staline lui-même ou son fantôme, sort d’une armoire , en costume militaire blanc, et va passer dans la vie du couple, comme un être maléfique qui ne cesse de hanter la pensée de l’écrivain. A raconter comme cela, cette manipulation psychologique devrait être aussi passionnante à observer qu’ effrayante.
 Malheureusement , le texte de Mayorga n’a pas, et de loin,  les mêmes qualités que celui  du Garçon du dernier rang. Et cette farce philosophico-historique, bien bavarde, sur la cruauté et la bêtise humaine fait long feu, comme si l’auteur avait voulu surtout privilégier la fable plus que les personnages qui semblent, sauf à quelques rares moments, assez  inconsistants. Le dispositif scénique imaginé: des meubles sévères: tables, chaises,banquette, armoire, lit, le tout rangé au cordeau sur une moquette rouge n’est pas non plus d’une fabuleuse inventivité; quant à la direction d’acteurs, on a connu le grand Lavelli mieux inspiré. Les trois acteurs: Luc-Antoine Diquero, Gérard Lartigau et Marie-Christine Letort font ce qu’ils peuvent mais ne savent pas quelle direction de jeu prendre, et criaillent trop souvent pour être vraiment crédibles. Même la gestuelle est souvent fausse ou conventionnelle…
  Mission peut-être impossible: comment représenter des personnages comme Boulgakov et Staline sans tomber dans l’anecdotique? En tout cas, ces quelque 95 minutes dégagent un ennui profond. Comme l’auteur était dans la salle hier soir, les Français, qui sont  (en général mais pas toujours) des gens  polis, l’ont applaudi, mais sans grand enthousiasme… Et ce ne ne serait pas très honnête de vous  recommander ce spectacle.
  Décidément il y a des semaines comme cela: après le Noli me tangere, ces Lettres d’amour à Staline ne donnent pas trop envie de fréquenter les auteurs contemporains…Et ce n’est pas avec ce genre de spectacles que l’on attirera les jeunes au théâtre!

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Tempête jusqu’au 29 mai. t: 01-43-28-36-36

CENDRES

CENDRES de Gilles Coullet, création et interprétation de Gilles Coullet , collaboration artistique Benoît Théberge.

 


Le Théâtre du Lierre installé depuis 1980 dans cette salle du 13e arrondissement en bordure du boulevard extérieur, accueille ses deux dernières représentations, Cendres, titre étrangement symbolique. Au bout de la rue du Chevaleret, à une encablure de la Bibliothèque François Mitterand, c’est le dernier îlot du grand chantier de la SEMAPA chargé de la rénovation du quartier.
Le théâtre est déjà  à moitié détruit ,  un reste pitoyable quand on pense aux grandes heures vécues avec cette compagnie tenace comme son nom, et quelques beaux spectacles comme Stabat mater Furiosa, Le rire du cyclone et Salina. On se souvient aussi du Théâtre du Mouvement avec Encore une heure si courte et surtout de Kaosmos de l’Odin Teatret accueilli en 1995.
Gilles Coullet a longtemps assisté Yves Lebreton, disciple du mime Decroux, il a créé Cendres en Sardaigne en 1995 et l’a joué en Italie, Allemagne, Suisse et au Brésil. Mais c’est la première représentation en France. Ce solo corporel sur la perpétuelle métamorphose des espèces et leurs complémentarités, a été élaboré au terme d’un long travail avec un danseur haïtien,  et après des  voyages à la découverte de tribus vivant en harmonie avec la nature.
On découvre sortie de la pénombre sous un immense drap blanc une forme qui se tortille, tour à tour pieuvre, parapluie, igloo. Un homme noir du chapeau aux souliers en émerge…Impossible de rendre les détails de cet étrange rituel qui captive la salle dans un très grand silence.

 

Edith Rappoport

 

Théâtre du Lierre Le corps sauvage www.gillescoullet.com

DENISE BONAL

denisebonal214x300.jpg » Une biographie ça pourrait être: « Je suis née, j’ai pleuré, je suis tombée quelquefois, j’ai essayé de comprendre le monde. Je suis morte. » Cela pourrait être aussi: « Je suis née, j’ai pleuré, je suis tombée de nombreuses fois, j’ai aimé, j’ai été pendant vingt ans une comédienne de décentralisation sur les terres labourées de ce pays. A des jeunes gens aussi affamés que je l’avais été, j’ai essayé d’apprendre les règles de ce métier. Je voulais écrire mais les grands auteurs que j’aimais, malgré eux, me faisaient barrage. Un jour ils m’ont laissé passer. Je les en remercie. Ont-ils bien fait? Ceci est une autre histoire. »

Ainsi se racontait Denise Bonal qui vient de nous quitter à 90 ans, dans les Actes du Théâtre de la SACD en mai 2010. Denise Bonal , comédienne, enseignante, écrivain, auteur d’une douzaine de pièces et de nombreuses nouvelles, mais d’abord une sacrée bonne femme pour qui le théâtre et la vie étaient intimement mêlées. En elle, l’Algérie de l’enfance, la Creuse du retour en France, le froid du Paris des années de guerre, le bonheur des études au lycée Fénelon, la découverte du théâtre, la rencontre avec la Radio qui, à l’époque ,mettait au monde des auteurs, l’écriture déjà pour cette  découvreuse, et puis 20 ans de comédienne de la décentralisation- Rennes, Strasbourg, Bourges, Saint-Etienne- aux côtés des grands pionniers, des centaines de kilomètres , de villes, de villages, toute une géographie intime et théâtrale qui s’imprimait dans son corps et dans son cœur. Vingt ans à rencontrer les gens, les écouter, leur faire partager ses admirations pour les auteurs.
Et puis le retour à Paris et la sensation que le théâtre qu’elle avait vécu n’était plus, qu’ il avait quitté les routes, et s’était replié dans des forteresses. Alors, elle enseigna au Conservatoire, au TNS et ailleurs, elle dont on reconnaissait « les enfants ». Et ette fois,elle prit  le temps d’écrire.
Deux premières pièces: Les Moutons de la nuit , comédie surréaliste créée au théâtre de poche par Etienne Bierry et Légère en Août au titre faulknérien:  des femmes vendent leur enfant à venir et attendent leur accouchement dans une clinique spécialisée.   Créée par Viviane Théophilidès au Théâtre des Deux Portes en 1974, la pièce ouvrait la voie à cet humanisme social qui est la marque de son théâtre.
Denise Bonal aimait écouter les gens, elle écrivait leurs histoires, de famille, de travail, d’amour, de vie quoi. Dans une langue vivante, imagée, nourrie de sa curiosité pour le monde qui l’entourait. Ses comédies sociales n’étaient pas à la mode, ses combats étaient pourtant de son temps. Sur les plateaux de théâtre, elle disait avec tendresse et cruauté, avec humour aussi les grandes et les petites douleurs des hommes. Comme un Tchékhov d’aujourd’hui, elle dessinait des pièces paysages, Turbulences et petits détails par exemple, dont les compagnies de théâtre amateur se sont saisi avec gourmandise. Portrait de famille lui valut en 2004 le Molière du meilleur auteur francophone vivant, et De Dimanche en dimanche le grand prix de littérature dramatique en 2006. Sa dernière pièce, Les tortues viennent toutes seules, superbe construction qui entremêle, à partir d’une photo de mariage prise en 1954, le présent et le futur, l’intime et l’Histoire, sera créée dans quelques jours au Studio Théâtre d’Asnières.
Denise Bonal aimait rire, et ses yeux malicieux regardaient le monde lucidement et généreusement. Autour d’elle, il y avait  beaucoup d’amitié et d’admiration mais aussi l’ indifférence de nos grandes institutions théâtrales à son œuvre, indifférence qu’elle ne comprenait pas, comme beaucoup de ceux qui l’admiraient.


Françoise du Chaxel

Depuis 1982 ses pièces sont éditées aux Editions Théâtrales.

MOI CARAVAGE

MOI CARAVAGE  de et par Cesare Capitani

D’après La course à l’abîme de Dominique Fernandez, mise en scène de Stanislas Grassian, direction d’acteurs de Nita Klein

Cesare Capitani campe avec une belle vigueur ce portrait de Michelangelo Merisi, artiste fougueux et révolté qui tira son nom de son village d’enfance. Il nous conte son enfance bouleversée par le départ de son père, la pauvreté, son apprentissage dans l’atelier d’un peintre médiocre, sa rencontre avec un jeune Sicilien qui partagera sa vie, son entrée dans la cour des grands qui lui passent des commandes, ses déboires avec un autre amant qui lui vole une de ses œuvres…Il est accompagné par Laetitia Favart qui figure l’âme sœur dans de beaux solos lyriques où Lasciate mi morire de Monteverdi revient comme un refrain.Les éclairages soignés cernent bien cet inventeur du clair-obscur,  et l’on se croirait par instants devant un tableau au Louvre…

Edith Rappoport

Jusqu’au 21 mai 2011, www.lucernaire.fr

LE PETIT CLAUS ET LE GRAND CLAUS

LE PETIT CLAUS ET LE GRAND CLAUS  Festival Jeune public Et moi alors ? 

 

D’après Hans-Christian Andersen, mise en scène Guillaume Vincent, Compagnie MidiMinuit.
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La salle pleine d’un public joyeux et bruyant, hurle quand le plateau s’allume sur une fête foraine électrique avec une présentatrice au micro qui fait craindre le pire. Et puis on pénètre sans micro, dans le conte d’Andersen étrangement modernisé. Petit Claus le petit frère malin, est en survêtement vert, un bonnet enfoncé sur les oreilles, son aîné Grand Claus manipule sans arrêt son I pod. Plus riche que son benjamin, il possède quatre chevaux, Petit Claus n’en a qu’un, mais il est plus malin. L’aîné ambitieux et jaloux ne supporte pas que son frère s’approprie ses chevaux, Petit Claus finira par abattre le sien et quitter la maison familiale pour aller vendre sa peau.
Il fait fortune en partant à l’aventure, et tous les conseils qu’il donne à son frère quelque peu demeuré, conduisent ce dernier à la ruine. Cette adaptation pleine d’humour mêle des poncifs de feuilleton de télévision dont les enfants sont friands, dans un bel univers plastique de théâtre d’objets conçu par François Gauthier-Lafaye.

 

Edith Rappoport
TGP de Saint-Denis samedi 30 avril à 20 h 30 01 48 13 70 00

Un homme debout

Un homme debout, de Jean-Michel Van den Eeyden et Jean-Marc Mahy

 

Ça pourrait être une tragédie : du pur théâtre. Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre, la Bande, sa chaleur trompeuse, son conformisme, perd le jeune homme fragile qui se laisse embringuer dans la délinquance, et puis le port d’arme, et puis l’usage de l’arme. Sans l’avoir voulu, sans l’avoir décidé, terrorisé, le gamin de dix-sept ans frappe un homme, qui en meurt. Ça aurait pu s’arrêter là, de centre fermé pour mineur en réinsertion. Mais il passe par la justice des adultes. Dix-huit ans de prison, évasion, panique, rechute, une arme dans les mains, et, à nouveau, la mort. Quand on tue un gendarme, on sait le double prix qu’il faudra payer. Le jeune homme l’apprend, jour après jour, à l’isolement, dans les humiliations, dans la solitude qui rend fou. Il met du temps à comprendre qu’il a commis l’irréparable, que les victimes, ce n’est pas lui, que son geste a brisé la vie de ceux qui l’aimaient, et même de ceux qui ne l’aimaient pas. Il survit, miraculeusement. Le miracle a un nom, la lecture, arrivée tôt dans sa vie d’avant, et tard dans sa vie de taulard.
Et un autre nom : les rencontres. Il faut pouvoir parler à quelqu’un. Quelques-uns l’ont rencontré, l’ont écouté et lui ont parlé, lui ont permis in extremis de tenir. Il faut quelqu’un pour vous accueillir, le jour de votre sortie. Il faut réapprendre les gestes de la vie. Et aujourd’hui, Jean-Marc Mahy, car c’est de lui qu’il s’agit, est là en personne pour dire et jouer cette tragédie et cette renaissance, et pour rencontrer le public ensuite.
Jean-Michel Van den Eedyden a recueilli son histoire, lui a demandé de la lui montrer. Ils se sont posé la question : était-ce bien à Jean-Marc de jouer son propre rôle ? Ils se sont répondu : oui. Et, ce faisant, ils n’ont pas du tout évacué le problème du comédien, au contraire. Jean-Marc incarne une histoire, la sienne, il montre ses propres gestes, ceux de ses gardiens, l’humiliation répétée et répétée – contre le mur, jambes écartées, déshabille-toi, contre le mur, jambes écartées…-, les coups, la peur, la tentative de suicide – ça s’est passé comme ça-. Le tout, avec l’exactitude la plus exigeante, et une concentration maximale.
N’est-ce pas ce que l’on demande au comédien ? La grande différence est que cette exactitude n’est pas seulement au service du beau, car il y a du beau dans cette histoire, ni au service d’une méditation sur la destinée humaine, car celle de Jean-Marc suit un parcours exceptionnel et exemplaire, de la chute à la rédemption. Non : il ne s’agit pas de « purger les passions », mais de délivrer un message précis et actif.
Pas une leçon de morale : un message, complexe. Par exemple, que jamais aucun criminel ne mérite d’être rayé de l’humanité. Caché derrière le geste monstrueux, il y a un homme. Cela ne signifie pas, pour les victimes, qu’il faut pardonner : les proches d’une victime peuvent passer par les mêmes phases de haine, de vengeance, puis de réflexion que le condamné, jusqu’à accepter enfin de vivre, amputés. Que les livres, même non choisis, même lus et relus faute d’autre nourriture, sauvent la vie. Et quelques autre vérités encore, à leur place sur la scène de ce lieu culturel. Si la culture , ce n’est pas cette énergie qui donne le ressort de vivre…

 

Christine Friedel

 

Maison des métallos, avec un cycle de projections, débats et expositions, jusqu’au 15 Mai – 01 47 00 25 20

 

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La chute de la maison Usher

La chute de la maison Usher, d’Edgar Allan Poe, traduction de Charles Baudelaire. Adaptation et mise en scène Sylvain Maurice.

chute.jpgAllan – comme le nom que s’est choisi le poète – est venu à l’appel de son ami Roderick dans son sinistre manoir, reflété dans un étang noir. Un vivant chez les morts, ou presque, et qui seul pourra rendre compte de l’angoissant passage. Roderick n’est plus que l’ombre de lui-même, sa sœur Madeline s’éteint, s’efface, et le narrateur les accompagne, partageant avec Roderick lectures ésotériques, dessins étranges, musiques inouïes, dans un monde qui, comme les enfers des anciens Grecs, a déjà perdu toute trace de la lumière du soleil. Jusqu’au moment où la sœur vient chercher son frère pour le faire entrer avec dans la mort définitive. Alors la petite fissure entraperçue dans le mur du manoir s’ouvre, et le narrateur n’a plus qu’à contempler, de loin, la chute
Dans le spectacle donné à la Maison de la Poésie, on ressent très fort, par la voix de Jean-Baptiste Verquin, « l’insupportable tristesse » que dégage cette « maison Uscher », nom de manoir et nom de famille liés jusqu’à la mort de ce corps physique d’une lignée condamnée, effondrement final en apothéose inversée. Naturellement, cette maison, on ne la verra pas. Mieux que cela, sa présence nous est donnée avec une étonnante force de suggestion par la scénographie et les lumières d’Eric Soyer : il nous ouvre des escaliers infinis, des pyramides de feu froid, des obscurités palpables. Les images obligées du roman « gothique », de l’épouvante, sont bien là, comme la longue table où l’hôte est en proie un mystérieux et redoutable serviteur, le cercueil animé d’un inquiétant mouvement rotatif. Mais nues, modernes, et surtout en accord total et constant avec le récit et avec la musique. Celle-ci contribue à la « profondeur de champ » du récit : elle glisse de la voix de Jeanne Added au piano de Nathalie Darche, du très vivant saxophone d’Alban Darche aux sons enregistrés…
Il serait dommage de démonter, pour en admirer le fonctionnement, l’extraordinaire jouet de précision qu’est ce spectacle. Qu’il suffise de dire que chaque note, chaque son, arrive à la seconde exacte où ils rencontrent le récit, que la vidéo et la présence de marionnettes recomposent l’espace avec un formidable justesse, ouvrant de vastes espaces – et temps – imaginaires.
La Maison Usher tombe devant nous, avec toute la beauté de la langue de Baudelaire et d’Edgar Poe, en toute harmonie, insinuant une inquiétude d’autant plus troublante.

Christine Friedel

 Maison de la Poésie, jusqu’au 22 mai – 01 44 54 53 00

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Yakich et Poupatchée

Yakich et Poupatchée, comédie crue, de Hanoch Levin, traduction de Laurence Sendrowicz, mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia

Un petit goût acidulé, un petit goût désespéré

poupatche.jpgEt voici, pour la première fois sur scène, en exclusivité, avec Yakich et Poupatchée, une pièce entièrement consacrée, de la première à la dernière scène, au harcèlement sexuel subi par les malheureux mâles ! Ah! là, là, bander, quelle corvée ! Terrible obligation qui s’abat sur Yakich, jeune homme laid, pauvre et triste, sommé 1) de trouver une épouse, car le temps presse et la vieillesse arrive si vite 2) de consommer, car le mariage ayant coûté tant d’énergie, il faut le rentabiliser sur l’heure. Comme le hurlent les beaux-parents dans des mégaphones : « Rends-toi ! La laideur te cerne de toutes parts ! ». Fini l’enfance, fini de faire joujou, il faut assurer, il faut faire avec … « Papa maman, j’ai enfin grandi, je suis totalement désespéré ».
La fiancée, dénichée avec moult difficultés, tout aussi jeune, laide et pauvre, attend, elle, avec impatience, non pas le plaisir – il n’en est pas question ! -  mais le bébé ! Ah marcher derrière un bébé qui grignote un biscuit et le gronder parce qu’il laisse des miettes partout dans la maison ! Le bébé, un grain de merveilleux en puissance, une « assurance-vie ». Pauvre Yakich, au boulot. Il fait appel à son imagination, mais les fantasmes érotiques passent, repassent, et… le dépassent, sans s’arrêter hélas. Impossible d’honorer Poupatchée. Le désir, cela ne se commande pas. Tant mieux ou tant pis, c’est comme .  ‘est un fait: le désir s’éteint très facilement à grands coups d’injonctions, d’ironie, de mochetés, de précipitation, de pressions, de cynisme, de mensonges, de problèmes d’argent et d’arrangements vaseux.  Cette fable salace et sarcastique prend la forme d’un voyage dans le triangle de nulle part, de Platchki à Platchinki en passant par Ploutchki, à la suite des jeunes mariés en lune de miel forcée, accompagnés par le marieur et encadrés par leurs deux familles. Visite à la Prostituée, Poutissima, maîtresse ès-désir, en son Bordel, qui, bien sûr, n’est pas celle que l’on croit. Visite à l’éthérée Princesse, Gazzella-Mozzarella, en son Palais des rêves d’enfance.
La mise en scène est réussie, tonique, alerte. La direction d’acteur set l’équipe réunie sont justes, avec du mordant et un sens du rythme formidable. Tous les comédiens, il faudrait les citer tous, servent avec brio cette langue si drôle, si percutante, sans un gramme de sentimentalisme et pourtant remplie de tendresse pour ces cocasses petits mammifères obstinés, pleins de vie. Ils se cognent le nez, ils repartent toujours. Ils ont trouvé le style de jeu au diapason de l’œuvre. C’est l’engagement total, absolu, de chacun qui fait rire, sans basculer dans le clownesque.
Bravo ! Le metteur en scène a eu l’heureuse idée de déployer, en contrepoint à ces bien quotidiennes questions de désir en rade dans le terrain vague de la misère, toute l’emphase de la grande musique romantique flamboyante. Et de décor, lumières, costumes, sur le grand plateau de Montreuil, sont colorés, forains, joyeux, gourmands. Une fête.
Au total, un spectacle vif et gai. Pour grandes personnes dont la crudité affichée, sans vulgarité, rejoint celle des contes philosophiques du XVIIIème. Une tragédie où l’on chante et où l’on rie. Des tribulations inédites dont le héros est un petit étendard qui ne veut pas se lever.
Une pièce à découvrir (créée à Tel Aviv en 86), jamais jouée en France, traduite merveilleusement par Laurence Sendrowicz, de ce grand auteur israélien, Hanoch Levin (1943-1999) dont on a pu voir récemment Yacoobi et Ledenthal, Kroum l’ectoplasme, L’enfant rêve, Que d’espoir, ou encore Une laborieuse entreprise (déjà l’histoire d’un très laborieux mariage et de cœurs inassouvis qui réclament leur place au soleil !).

Evelyne Loew


Nouveau Théâtre de Montreuil CDN,  01 48 70 48 90
du 28 avril au 10 mai, puis en tournée.

Texte paru aux Editions Théâtrales, tome 5 du théâtre choisi de Hanoch Levin.

La soirée Adamov du 4 avril 2011

La soirée Adamov du 4 avril 2011

adamov.jpgTout est prêt.Dans le hall, l’exposition, les douze panneaux, sur fond rouge, avec  sur chacun la photo d’une pièce ou deux, et six lettres d’Adamov, dont la dernière, un mois avant sa mort. Pour cette exposition, Nathalie Lempereur a travaillé plusieurs jours avec son mari dont le nom est Chant.  Sur scène, grâce à Léopold le régisseur et à son adjoint, mes objets fétiches ont trouvé leur place et leur éclairage. Au pied d’une colonne, la machine à écrire noire, dans le chariot une touche frappe la braguette d’un homme couché, raillé par des femmes, le monde de Bruno Schulz. Au pied de l’autre colonne, la machine à coudre noire -SINGER tatoué sur son flanc est devenu ERN – pique une longue bande de papier, le manuscrit du  Printemps 71. «C’est pour les retouches ». Au second plan, en retrait, la chaussure et son talon aiguille de 14 centimètres planté dans un ruban de machine déroulé, trainée rouge du texte sur le noir du ruban. De l’autre côté, un gramophone, une bande de papier sous l’aiguille: « Si l’été revenait », le disque qui se déclenche quand le candidat au suicide appelle « Urgence détresse ». Les quatre objets sont parmi les invités, mais décalés, du côté de l’éternité. Dieux tutélaires, protecteurs, anges gardiens. Statues des Académiciens au sommet des gradins du théâtre de Vicence. Personne ne dira rien de ces objets.
Passés inaperçus ? Dans les mains des spectateurs le programme est là, grâce à Nathalie Lux, qui appelle ça « la bible ». Dans cette bible, le texte de Barthes. Lors de l’hommage à Adamov à Chaillot en 1974, il avait tiré ce texte de sa poche, et, en s’excusant , avait dit: « Pour ce genre de circonstances,  je ne peux pas improviser ».
C’est ce qui a été écrit de plus profond sur le langage d’Adamov, à la fois « emprunté » au tout venant social, au stéréotype et venu de l’inconscient, venu aussi d’un futur désiré. « C’est un théâtre d’utopie », avait conclu Barthes.
Le hall se remplit peu à peu, silhouettes tournées vers l’exposition. J’aperçois Elisabeth et Tom, Luis, Corinne, Edith Rappoport, Myriam Derbal, Enrico Di Giovanni…. Dans l’entrée, Ralite et Bataillon conversent. Ralite : « Je ne sais pas exactement ce que je vais dire ». Bataillon « Je parlerai depuis ma place ». Il m’apprend que Michel Parfenov est dans la salle, je suis content. J’aperçois aussi Roland Monod -il prépare pour le lendemain dans ce même lieu une soirée Liliane Atlan. Jacques Lassalle est assis sous un panneau, pensif. Je vais vers lui : «Tu as monté « Le professeur Taranne… si tu veux dire quelques mots sur cette expérience ou sur Adamov…  -Oui… Taranne c’est un très beau souvenir à Strasbourg… » Il sourit, hoche la tête comme d’habitude, gêné ou timide. Ensuite, je le cherche dans le public, mais il est parti. Lucien Attoun passe devant les panneaux, pressé. Se fixe quelques instants devant  Tous contre tous  : « Une très belle pièce, tout à fait actuelle… J’ai joué dans cette pièce, le personnage de Zenno … la xénophobie, mais pas que. Mon premier rôle. C’était avec le théâtre de la Sorbonne …C’est toi qui pilotes la soirée. J’interviendrai si nécessaire en appui, le clown blanc… Aristide, c’est un de mes premiers souvenirs de théâtre, nous jouions tous les deux dans une pièce sur la révolte du ghetto de Varsovie. C’était dramatique. Et au dernier moment, le rideau qui cachait le fond de la scène s’est effondré et les coulisses sont apparues, toutes nues. Ca cassait un peu l’ambiance ».
La salle est presque pleine. Les premiers invités s’installent sur le plateau. Albert Dichy, Joël Huthwohl, Attoun, Garran, et moi. Attoun ouvre la soirée, rend hommage à Gabiel Garran qui redonne à Adamov une place dans le théâtre contemporain. Il a mon livre dans la main, il rappelle les circonstances de sa publication, je n’entends pas ce qu’il dit, j’avais prévu de dire quelque chose du genre  : « L’auteur ne fait que des textes, c’est l’éditeur qui fait les livres ». Je ne parlerai pas.
Joël Huhwohl présente ce qui concerne Adamov à la BNF,  qui est présent dans les fonds : Vilar, Planchon, Blin, Serreau, Lemarchand… Il fait apparaître le foisonnement, la richesse des relations. Albert Dichy prend le ton du conteur pour dire l’arrivée des archives Adamov à l’IMEC. A la mort de sa femme Jacquie,  on a retrouvé chez elle, rue Albert Bayet, sous une armoire, des cartons qui n’avaient jamais été ouverts, des lettres, des manuscrits… Jackie rejetait cette période de sa vie et, en même temps, elle avait tout conservé.  Que faire des papiers laissés par le disparu?
C’est aussi  le thème de L’Invasion . Je ne savais pas. Il y avait un trou entre cette révélation et le dernier moment que j’ai vécu rue Champollion quand les pompes funèbres sont venues emporter le corps du poète. Dichy parle aussi du caractère bouleversant d’Adamov : « Tous les écrivains ne sont pas bouleversants ».
Bouleversant. Adamov blaguait avec ce mot. Quand il rencontrait un certain type de raseur, plaintif, pitoyable, il disait : « Il est  Boul’hum » -bouleversant d’humanité. Nous entendons ensuite Adamov interviewé par Lucien Attoun. Il parle de Si l’été revenait , le rêve, la Suède, Strindberg, les contes de fées, modèle de profondeur sous l’apparence de la simplicité. Attention du public, la qualité de la voix, le léger accent, l’articulation méthodique, l’énigme produite par la coexistence de naïveté et de profondeur.
Edith Scob et Aristide Demonico, assis autour d’une table ronde, disent des extraits de L’Homme et l’enfant. « Ma force vis-à-vis du Bison, c’est ce nom que je lui ai donné. Si elle me quittait un jour, ce nom resterait et, quand elle l’entendrait prononcer, son cœur se mettrait à battre. Notre mythologie commune. Je l’ai créée, cette mythologie, mais elle y a consenti. Chaque fois que je lui trouve un nom, ou qu’elle m’en trouve un, ou que nous découvrons un mot nouveau, un mot à nous, une victoire est remportée ».
La silhouette d’Edith Scob, fine et forte à la fois, sa voix musicale et douce. Aristide calme, droit, sobre, la proximité avec le poète, Ce qui passe de la scène au public, c’est l’intimité avec l’homme qu’ils ont connu.
Arrivent sur le plateau, Monique Le Roux, Jack Ralite et Gabriel Garran. Monique Le Roux évoque la tragédie de Jacquie. Ses parents, son frère, sa fille furent tués dans les bombardements de Caen. La rencontre avec Ern, la psychanalyse pour continuer à vivre avec ce deuil « tout à fait infaisable », les amis  Bernard Dort, Raphaël Nataf, Monique Le Roux… Enfin, le crématorium du Père Lachaise le 14 janvier 2004 et le texte testamentaire de Jacquie, « L sans personne », révélé ce jour-là par la lecture d’Edith Scob.
Ralite parle du soutien constant d’ Adamov au travail de Garran, notamment pour  L’Etoile devient rouge. Il fait l’éloge de « nos deux archivistes », l’éloge des archives. Sa voix nasale, ses modulations, accélérations, silences, son goût du beau langage, inventions verbales et citations. Ce soir, ce sera L’inaccompli bourdonne d’essentiel , les mots de Char bourdonnent aussitôt à l‘oreille de mon ami Luis, charien essentiel.
Michel Bataillon intervient depuis sa place comme il l’avait dit. Cheveux blancs, drus, coupés court. Massif montagneux. Son long travail de recensement fait apparaître le grand nombre de manuscrits non publiés et même inconnus. En conclusion de cette partie, je dirai: « L’avenir est dans les archives ».
Alors Adamov oublié ? Dans le public, quelqu’un fait savoir que l’an dernier, pour le 140e de la Commune, on a monté les Guignols de Printemps 71  Quelqu’un d’autre annonce que la compagnie Jolie Môme joue en ce moment un montage Adamov..
Dernier acte : retour à la parole du poète. D’abord Gabiel Garran nous convie à un  Voyage à travers les citations de AA, accompagné à la guitare -discrètement – par Estelle Sebek – Puis Estelle Sebek dit le monologue de Marion, dans La Mort de Danton de Büchner. Avec les mots de Büchner traduits par Adamov, avec sa voix aux accents froidement désespérés, la jeune jongleuse du bord de la mort des « Retrouvailles » nous dit le désespoir d’une femme de 93. Ensuite vient le dialogue entre les deux amis, Artaud et Adamov, les deux AA. Bruno Subrini -assistant de Gabriel Garran- dit le texte d’Artaud sur « L’Aveu » : «Arthur Adamov à chaque page mâche, et c’est le repas qui s’est absenté. Et le mâcheur ne s’est pas réveillé. Dort-il ? Non, iI gesticulait dans les replis de son propre gésier ». Bruno Subrini mastique à merveille les mots d’Artaud, il nous jette à la face leur feu, leur radicalité. Stanislas Roquette -Edgar des « Retrouvailles »- répond avec un texte d’Adamov sur Artaud. La voix est claire, intelligence de l’interprétation : « Un poème d’Artaud c’est avant tout un choc, un coup porté aux points du corps qui sont les plus propres à subir une révolution immédiate (…) Ce cri n’est pas l’explosion gratuite d’un état amplifié et exagéré par l’expression littéraire ; c’est le cri issu d’une souffrance physique et morale d’une inlassable cruauté d ont Antonin Artaud a toujours été rongé». Entre les deux textes, le contraste est tranchant. La langue d’Artaud est poétique, la langue d’Adamov analytique. Dans une lettre que j’ai exposée, Adamov m’avait écrit : « Antonin Artaud parle de moi comme si j’étais son double : AA. Mais c’est là justement qu’il se trompe. Je suis un névrosé, et pas un psychotique. Or lui en était un. Il y a encore des frontières dans le monde de l’au-delà de nos frontières » (Août 1969).
Soazig Oligo -vivante Louise des Retrouvailles – nous plonge dans l’amour, le temps du jeune Adamov surréaliste, avec les pages de L’Homme et l’Enfant   sur Meret Oppenheim et deux poèmes « pour Meret » : « Ces ténèbres en moi, étranges et grandes comme une terre -ces bras qui étreignent et remuent- ces hanches torturantes -ces jambes écartelées dans un mouvement d’amour -c’est toi ! ».
La soirée se termine avec la voix de Laurent Terzieff, mort l’an passé, qui interprétait Adamov dans le AA de Roger Planchon en 1974,  et qui jouait l’ouvrier -une de ses premières apparitions sur scène- dans  Tous contre tous  mis en scène par Jean-Marie Serreau en 1953. Pour conclure, j’offre à Gabriel Garran quatre éléphants en ébène, car j’ai vu chez lui sa collection et il m’a raconté comment à Kinshasa, au « marché des valeurs », il s’est fait escroquer de plusieurs de ses petites bêtes.
Ouf, c’est le mot juste. Luis l’a trouvé, il me connaît bien. Soulagement, satisfaction. Mes proches étaient là, à mes côtés. Elisabeth a assuré la logistique de bout en bout. Ca a commencé en janvier, peut-être même en décembre. Mes retrouvailles avec Gabriel Garran. Grâce à lui, je replonge à nouveau dans Adamov, jamais perdu de vue, mais jamais travaillé au corps aussi intensément, même pour mon livre. Trois mois à lire et relire la pièce, labourer en tous sens, retourner chaque motte de phrase, émietter, tout remuer et déplacer, en faisant des tas avec ce qui va ensemble. Deux cahiers couverts de notes.
Ma rencontre avec Nathalie Lempereur, avec Bruno Subrini, avec Estellle, Soagiz, Stanislas, avec Dominique Boissel qui me conduit vers Bruno Schülz… Des figures ont refait surface, surgies du fond du temps. Trois mois à préparer avec Gabriel Garran cette soirée. Le monde du théâtre, mon monde retrouvé. Et en deux heures et demi ,tout est dit. Au fond, ça s’est bien passé.

René Gaudy, 29 avril 2011

Post scriptum : Notes de Gabriel Garran pour être dites le 4 avril

Préambule : Je n’avais pas compris que Gabriel Garran souhaitait parler en début de soirée. Il n’a rien manifesté. Ensuite il m’a dit « J’ai été froissé ». Il a ajouté : « ça prouve que je continue à avoir le sang chaud. J’étais assis sur une chaise et on ne me donnait pas la parole, on parlait d’Adamov au passé, alors que j’avais prévu de parler des Retrouvailles, de Vassa Gelesnova, que j’ai monté à quelques pas d’ici au Théâtre du Tertre… » Bref, je réapprends une loi des gens de cirque : « Annoncer ce que l’on va faire. Le faire. Annoncer que c’est fini ».
Même le petit cadeau que je lui ai fait à la fin ne l’a pas défroissé. Le soir du 4 avril, -acte manqué ou stratagème- Gabriel Garran oublie son cahier de musique, sur lequel il a écrit ces notes qu’il m’autorise aujourd’hui à rendre publiques.

Pourquoi Les Retrouvailles aujourd’hui ? par Gabriel Garran

Les raisons qui  m’ont incliné à vouloir présenter ce texte – la cellule souche- sont dans le titre : « Les Retrouvailles ». Ironiquement et affectivement. Comme souvent, il y a des motifs et des préambules. Je commence par une initiative qui m’a incité à aller de l’avant : Les Recollets, en octobre 2008, où, sous le titre La parole d’Adamov , nous avons fait un non- stop de 48 heures. Retrouvailles donc. Avec qui, avec quoi, et pourquoi ? L’auteur, sa singularité, l’étendue de sa partition, de sa dramaturgie, de son influence, une personnalité qui représente un pan de notre histoire théâtrale. Les différents éléments se conjuguaient. Sans faire partie de son premier cercle, j’ai croisé son parcours et une partie de mes racines personnelles, théâtrales et de mon cheminement passe par lui. Le café Old Navy boulevard Saint GermainNon loin d’ici le théâtre du Tertre où j’ai monté en 1959  Vassa Geleznova , d’après Gorki dans l’adaptation d’Adamov (1). D’une certaine façon, il a fait partie de l‘ensemencement d’Aubervilliers… Il y a eu le projet de La Cruche cassée  de Kleist. J’ai voulu monter la dernière pièce de son vivant,  Off Limits . Je pense avoir obéi à deux ou trois réflexes. Rendre à Adamov ce qu’il m’a apporté. D’autre part réfuter, avec mes faibles moyens, le silence, l’oubli, le gommage de son existence dans le répertoire, son absence dans les programmations du théâtre public dans l’après 1980. Tenter de défier cette énigme en 2011 n’était pas sans risque. Je l’ai fait assez délibérément, joyeusement, cherchant à élucider le discrédit de celui qui avait été une figure considérée à l’égal de Beckett, Ionesco, et qui avait eu pour fées et metteurs en scène Jean Vilar, Blin, Serreau, Mauclair, Planchon. Si j’ai choisi le texte des « Retrouvailles » comme exemplaire, je n’affirme pas que cette œuvre écrite en 1952 est majeure, je ne suis pas placé pour la juger. Je dis simplement qu’elle est représentative de l’univers tourmenté et écorché de AA. Séparation, persécution. Outre l’interprétation, il y a les objets que j’ai voulu considérer comme des personnages (valise, machine à coudre, vélo, berceau, horloge). Le puzzle entre l’objectif d’espace concret, l’épure scénographique et la structure onirique. La découpe en fragments aléatoires, les coupures linéaires et fantomatiques, le réalisme chaotique. La part morbide et fantasmatique. Il m’est apparu que ces « Retrouvailles » étaient un objet théâtral à moudre, à malaxer, à moduler. Une espèce de poétique qui répondait aux influences qui ont tant marqué Adamov : Kafka, Strindberg, Artaud, Büchner. J’y ai impliqué l’auteur lui-même à travers son portrait, ses textes surréalistes et ses poèmes, grâce au travail de recherche de Bataillon et Schoendorf. Je sais gré au Théâtre de la Tempête et Philippe Adrien d’avoir soutenu et accueilli ce spectacle. Je remercie Théâtre ouvert d’aider à ce coup de projecteur. »

7 Avril 2011. Devant le Théâtre de la tempête. Je rends à Gabriel Garran son cahier de musique et je lui donne son texte que j’ai tapé. Il le relit, le corrige à la main. Et ajoute : «Quand les archivistes ont parlé, je voulais rebondir à propos d’archives. Quand j’ai commencé à fréquenter Adamov, je venais de vendre mon appartement de la rue des Archives. Je le voyais au Old Navy, j’avais 26 ans, il y avait toujours beaucoup de monde autour de lui. Un jour il me dit : « Vous êtes toujours au dernier rang et jamais vous ne parlez -il avait cette voix nicotinisée- … Vous vous appelez Gabriel, je crois ? …Lisez ça ». C’était Vassa Geleznova  Quelques jours après, j’avais ma rencontre avec Jack Ralite.
Il est assis à une grande table, sous le ciel bleu. Il fait doux. Le soir tombe. Le public commence à arriver. Je reconnais Emile Herlic et Josiane Horville qui viennent saluer « Gaby ».

(1)« Vassa Geleznova » de Gorki, traduit par Adamov est publié par l’Arche, collection « Répertoire pour une théâtre populaire », n° 16.

 

 

 

 

 

 

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