Le chercheur de traces
Le chercheur de traces, d’Imre Kertész, mise en scène Bernard Bloch
Difficile travail de la mémoire, perdue dans la célébration, la commémoration. Cet homme, « l’envoyé » revient sur les lieux d’un « indicible crime », à l’occasion d’un colloque. Sa mission : retrouver le chemin du passé, retrouver les preuves. Mission impossible : il se heurte à la culpabilité aimablement négationniste de son hôte, qui dit sans cesse « oui » et dont l’inconscient répond plus fort – non, non ! impossible de se rendre sur les lieux -. Il se heurte aux lieux mêmes, quand il finit par y parvenir, qui n’ont gardé du camp qu’herbes folles et fil de fer rouillé un portail construit pour le cinéma. Il se heurte aux saisons, à la tendresse compréhensive et étrangère de sa femme… Il se heurte aux retards de trains, aux accidents de voiture – toujours l’inconscient, le lapsus des gestes et des objets -, et pourtant il y va.
Ce qu’il trouve, c’est la vérité de l’auteur : on ne peut éviter de se perdre dans le vertige du trou de mémoire, et la force du passé est précisément de ne pas laisser les traces qu’on attend de lui, et la mémoire est faite de cette absence. Et Kertész nous dit qu’il faut faire du témoignage œuvre d’écriture, de fiction, pour qu’enfin naisse la vérité.
« L’envoyé » se perd dans sa propre douleur, en infraction avec le présent ; les lieux vides ne lui disent rien et lui disent tout : cela a été. Ce sera le socle de son écriture et de sa vie.
Bernard Bloch signe une adaptation et une mise en scène de haute précision. Il a tiré de la nouvelle de Kertész, qui garde une part de récit (pris en charge impeccablement par Xavier Béja) une tragédie de l’espoir.
Ce « chœur », donc, dans l’orchestra, est relayé par des scènes et par des images filmées. La présence simultanée et parfaitement distincte des différents éléments du jeu – récit, jeu dramatique, film, son – est précisément ce qui donne son unité au spectacle. Cela semble paradoxal, et pourtant c’est ainsi : chaque élément, à sa place, à son moment, prend en charge les rencontres (sa femme, remarquable Evelyne Pelletier, et son hôte ambigu, Jacques Pieiller) et le chemin obstiné de l’ »envoyé » (Philippe Dormoy, parfait sur scène et à l’écran) jusqu’à l’acte final de l’écriture.
Il fallait à Bernard Bloch une conscience profonde et claire de cette problématique de la mémoire pour la traiter avec une pareille maîtrise et une si éclatante simplicité. Il peut tout s’autoriser, jusqu’au jeu enfantin de l’auto, conduite en faisant « broum-broum » : on sourit, et loin de distraire du propos, ce sourire nous fait entre dans le trouble, dans l’angoisse des personnages. C’est très fort, et ça vous marque longtemps.
Christine Friedel
Le spectacle a été créé en février 2011 au Centre Dramatique national de Dijon et est jusqu’au 9 avril au Théâtre Berthelot à Montreuil (93), 01 41 72 10 35
En tournée en automne 2011 (Saint-Quentin-en-Yvelines, Mulhouse, Colmar…)