Le Conte d’hiver
Le Conte d’hiver de Shakespeare, mise en scène de Lilo Baur.
Lilo Baur impose au Théâtre des Abbesses un univers fantasque et fascinant qui rend fugitif l’espace, à l’image du temps dans l’œuvre de Shakespeare.
C’est Mamilius, le fils de Leontes, qui nous expose le conte : son père, le roi de Sicile, soupçonne sa femme de le tromper avec Polixenes, roi de Bohème, au point que, pris dans la spirale infernale de ses présomptions, il en vient à provoquer la mort de sa femme et de son fils, et à exposer sa fille tout juste née aux bêtes sauvages, avant que la culpabilité ne commence à le ronger. Commence alors, sous la bénédiction de Mr le Temps, la deuxième partie de la pièce, où voit fleurir cette jeune fille recueillie par des bergers, qui retourne presque par hasard sur ses propres terres en compagnie d’un fiancé qui n’est autre que le fils de Polixenes… Retrouvailles, réconciliations et réapparitions clôturent l’histoire.
Loin de donner l’illusion d’un lieu, la mise en scène et la scénographie s’appliquent à articuler des fulgurances. Lilo Baur joue les impressionnistes et fait se succéder des tableaux aux tons variés.. Dans la première partie, c’est un jeu savamment comique de paravents qui glissent sur le sol comme par enchantement et recréent l’espace à chaque instant. Tour à tour dévoilant et dissimulant, ils rendent palpables les suspicions, cette sourde agitation qui trouble l’esprit de Leontes avant d’envahir le palais sous ses ordres. La deuxième partie chante ensuite la Bohème, pays de bergers, de fêtes et de traditions, où paissent paisiblement des comédiens recouverts de peaux. Les fantaisies s’enchaînent donc, peut-être un peu trop d’ailleurs, et sans que le sens ou le rapport avec le texte soit toujours très clair…
L’euphorie retombe surtout pour le final, un peu sentencieux et trop attendu pour être dégusté. Malgré tout, on se laisse séduire par cet univers plein de surprises et de légèreté au milieu duquel se joue un drame, paraît-il. Car au fond c’est bien d’un jeu qu’il s’agit, un jeu théâtral et nourri d’artifices : les acteurs enchaînent les rôles, avec quelques accessoires qui changent de fonction . Le spectateur attentif remarque ainsi que le panier du bébé sera tour à tour panier, bassin sacré rempli d’eau bénite pour finir par servir de socle à la statue.
Outre l’effet d’une certaine approximation artificielle (c’est à dire artistique), cela fait également écho au sens même du texte, qui n’est jamais perçu par les personnages, malgré la récurrence des signes. La versatilité des comédiens aussi fait sens : ce n’est pas un hasard si Kostas Philippoglou joue à la fois Leontes, le père biologique de Perdita (Gaia Termopoli) et le berger qui sera son père adoptif : le ridicule et le grotesque sont ceux d’un tyran. Pascal Dujour subit doublement sa haine, sous les traits de Polixenes et d’Antigonus, tandis que Gabriel Chamé Buendia joue les fils (Mamilius et le clown qui sert de fils au berger) et enchaîne avec talent les scènes de pantomimes. Un autre qui triomphe de dérision, c’est Mich Ochowiak dans le rôle savoureux d’Autolycus. Pour Marie Payen, elle réussit le contraste entre la patiente Hermione et une bergère frivole. Ludovic Chazaud joue les conseillers et les amoureux (il est dans la deuxième partie Florizel, le fils de Polyxenes). Mention spéciale à Hélène Cattin, qui nous inonde de son énergie en Paulina puis en bergère, et à Ximo Solano, redoutable de justesse et de précision dans le rôle de Camillo.
Quelques bémols cependant : l’intensité sonore n’est pas toujours au rendez vous et le jeu des accents, s’il donne à chaque parti sa couleur, n’aide pas à rendre le texte audible. Cela pèse un peu à force, et souligne quelques longueurs… Au final, un spectacle qui fourmille (trop ?) d’idées et nous entraîne dans le merveilleux du conte.
Élise Blanc
Théâtre des Abbesses jusqu’au 10 avril