L’Opéra de quat’sous

 L’Opéra de quat’sous, de Bertold Brecht, mise en scène de Laurent Pelly, traduction de Jean-Claude Hennery, musique de Kurt Weill, basé sur la traduction de L’Opéra des gueux de John Gay.


opera4s.jpg Il fut créé en 1928 à Berlin,avec, entre autres, Lotte Lenya, l’épouse de Kurt Weill, et Kurt Gerron, dans une  mise en scène d’Erich Engel. Ce fut un succès européen: en cinq ans, il a été  joué plus de 10.000 fois et traduit en 18 langues! Gaston Baty le mit en scène  en 1930 au Théâtre Montparnasse, et l’opéra fut ensuite  monté  à Broadway en 1933.
Pabst en tira un film avec Lotte Lenya  et, un autre dans une version française,  avec  Margo Lion , Albert Préjean, Florelle et… Antonin Artaud dont un parent était producteur de cinéma.Si Brecht participa  au scénario, il renia  le film…

Cela se passe dans le quartier de Soho à Londres pendant une guerre que se livrent deux gangs: celui de Jonathan Peachum, qui a ouvert une école payante pour former des mendiants efficaces et celui d’un  criminel, Mackie, à la fois tueur à gages, cambrioleur d’envergure , maquereau et grand séducteur,   inspiré du personnage de L’Opéra des gueux de John Gay et de l’histoire de Jack l’Eventreur. Mackie a, en présence de sa bande, mais en cachette, épousé  Polly, la fille  des Peachum  qui, eux, n’acceptent  pas ce mariage, et qui vont mener contre lui une  lutte  impitoyable, en allant acheter les putains d’un bordel pour qu’elles le dénoncent , et « persuader »  Brown, le chef de la police-pourtant  grand ami d’enfance de  Mackie- grâce à un beau chantage:  Peachum menace en effet  de troubler les fêtes du couronnement en faisant défiler ses nombreux  mendiants atteints de maladies répugnantes.
Mackie  sent le danger et quitte donc le domicile conjugal mais il sera quand même  arrêté,  grâce à Jenny , une putain de bordel qui est  jalouse et qui se venge de Polly, que ne supporte pas non plus Lucy, la fille de Brown, que Mackie avait aussi déjà épousée .Il  s’évade, mais, vite repris, est  emprisonné et condamné à mort. Faute d’avoir pu réunir la somme nécessaire pour soudoyer les policiers….

Mais  Brown, quelques minutes avant la pendaison de Macheath qui a déjà la corde au cou, est intervenu , et un  messager de la Reine, comme dans les contes du Moyen-Age, vient  annoncer que Mackie a  été gracié par la reine, et même anobli avec une rente à vie…
Cette œuvre majeure de Brecht  surtout connue pour sa musique et, notamment  par la célèbre complainte de Mackie et devenue un célèbre standard de jazz est peu montée à cause de l’importante distribution qu’elle demande et de la difficulté pour les comédiens à chanter la musique de Kurt Weill. Laurent Pelly s’en est emparé  avec tout le savoir-faire qu’on lui connaît mais le résultat est des plus décevants. Sans craindre un stéréotype très à la mode, et sans doute pour appliquer  à la lettre la fameuse distanciation brechtienne, Laurent Pelly a imaginé de faire du théâtre dans le théâtre en laissant la scène nue et en faisant placer à vue- ce qui accentue encore la lenteur du rythme- des éléments de décor ni très beaux ni très efficaces, mais singulièrement encombrants ( un coup de chapeau aux accessoiristes  qui  les placent et replacent en vitesse!) à une époque que l’on peut situer dans les années cinquante, mais comme les flics ont des des gilets pare-balles, et des téléphones portables, on ne sait plus trop…
Bref, tout cela reste  approximatif. Par ailleurs, les comédiens font de leur mieux- qui est souvent l’ennemi du bien- mais  peinent  à s’en sortir  quand il s’agit de chanter les fameux songs  qui sont ici plus souvent criés que vraiment chantés, et le plus souvent couverts par un orchestre imposant de treize musiciens, dans une balance mal maîtrisée.
Tout se passe comme si l »interprétation semblait avoir été reléguée au second rang des préoccupations de Laurent Pelly: diction approximative,  surjeu, manque de crédibilité des personnages.  Comment croire vraiment à ce Makie/Thierry Hancisse,  au demeurant excellent comédien? Les actrices s’en sortent mieux, en particulier, Véronique Vella qui crée une  remarquable épouse Peachum; Marie-Sophie Ferdane en Lucy et Sylvia Bergé en Jenny sont aussi très bien.
Le spectacle  est un peu lourd, très  bon chic bon genre, et ronronne : on ne sent aucun parti pris, et il n’y a guère d’humour. On n’est  ni dans l’expressionnisme ni dans le réalisme, et il faut se pincer pour croire à ces putains de bordel pas très bien costumées,  comme le reste de la distribution, par le metteur en scène lui-même…  Bref, l’ensemble, où, heureusement les scènes de groupe sont bien maîtrisées, souffre surtout d’un manque de  direction d’acteurs.

Alors à voir? Non pas vraiment! Le spectacle traîne en longueur, sauf dans la seconde partie, plus rondement menée, plus lisible aussi mais Brecht n’aurait sûrement pas été d’accord avec cette  mise en scène …


Philippe du Vignal

Comédie-Française, salle Richelieu ( en alternance)


Archive pour 8 avril, 2011

Les Cordonniers

Les Cordonniers  de Tadeusz Kantor, ouvrage collectif édité en polonais et en français sous la direction de Karolina Czerska.

 

Comme le dit Kantor lui-même (1915-1990), Les Cordonniers de Witkiewciz est la cinquième des pièces  qu’il créa après  Le Retour d’Ulysse, La Poule d’eau, Les Mignons et les Guenons, Le Fou et la nonne).  Autant d’étapes successives  dans le développement de ses idées théâtrales depuis Cricot 2 qu’il avait fondé en 1955 à Cracovie.
Les Cordonniers , c’est à la fois une pièce politique  où Witkiewicz (qui était né en 1885 et qui s’est suicidé en 39 quand les troupes soviétiques envahirent son pays) mêle , dans un joyeux fourre-tout, opinions philosophiques, érotisme et cruauté. L’auteur poloniais qui fut aussi peintre, a construit toute une œuvre théâtrale (quelque trente pièces jamais jouées de son vivant) sans aucun préjugé artistique, et  Kantor s’en est servi plutôt qu’il ne l’a réellement mise en scène:  » Je ne joue pas Witkiewicz, je joue avec Wikiewicz », disait-t-il.

Kantor était déjà un peu connu en France où il était venu avec La Poule d’eau d’abord au Festival de Nancy en 71, puis la même année au Théâtre de Malakoff, invité par Guy Kayat qui le réinvitera en 1972, pour y  créer Les Cordonniers , avec ses acteurs  dont les frères jumeaux Janicki, sa femme Maria Stangret, et des comédiens français : Michelle Oppenot , Claude Merlin, Paule Annen.
Kantor avait quelque peu modifié le texte en ajoutant des personnages qui deviendront des figures caractéristiques de son théâtre comme un général, un évèque et un ministre.
Il trouvait  sa mise en scène excellente mais la vérité oblige à dire qu’elle  n’était pas de la qualité de celle de La Poule d’eau: manque de clarté, manque d’unité dans le jeu ,et pièce assez complexe.. Le spectacle avait donc été  fraîchement accueilli par les quelques  critiques qui avaient bien voulu se déplacer.
On était sorti assez déçu, surtout après le coup de tonnerre magistral qu’avait été La Poule d’eau qui rénovait complètement les principes théâtraux et se situait plutôt dans la lignée des happenings et performances en vigueur dans les milieux avant-gardistes parisiens, et surtout américains et et polonais.
Probablement, à cause d’une salle  mal et peu éclairée , où l’on n’entendait pas bien  les paroles des comédiens. Et Kantor n’avait pas son équipe habituelle, ce qui est toujours un handicap pour un metteur en scène; assez furieux devant ce semi-échec, il avait toujours pris soin d’ effacer ces Cordonniers  de la liste de ses créations…
 Le livre, publié à la fois en polonais et en français, qui a sans  doute représenté un gros travail, constitue cependant un bon témoignage de ce que pouvait être le théâtre de recherche de l’époque, avec le texte de la pièce, des articles de Leslaw et Waclaw Janicki, d’André Gintzburger, de Bertrand Poirot-Delpech, Claude Merlin. et une importante iconographie, dessins de Kantor et photos.Bref, toute une époque qui appartient déjà à l’histoire du théâtre contemporain. qui s’est construit aussi grâce des mises en scène pas totalement abouties comme celle-ci.
Vous pouvez voir ci-dessous un extrait d’un petit spectacle Où sont les neiges d’antan? qu’il avait présenté au centre Pompidou et où on entend les commentaires  de Kantor  avec sa belle voix rocailleuse  et dans un français parfait.

Philippe du Vignal

Cet ouvrage  a été édité par la Cricoteka de Cracovie,lieu de conservation  d’une richesse exceptionnelle, puisqu’il  rassemble tous  les éléments de décor, accessoires, et documents du Théâtre Cricot de Tadeusz Kantor….Il  fera l’objet d’une deuxième édition plus complète.

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