Pieds nus, traverser (Z) mon cœur

Pieds nus, traverser (z) mon cœur,  de et par Michèle GuiGon, coécriture et dramaturgie de Suzy Firth, mise en scène d’Anne Artigau.©Vincent Serreau

  Michèle Guigon voilà deux ans avait déjà créé un remarquable solo, La Vie va où... C’est la vie où elle racontait avec beaucoup d’humour et de distance,  l’épreuve , en l’occurrence un grave cancer, qui l’avait atteinte et qui  lui avait redonné le juste sens des choses et de la vie.
Elle réitère cette fois avec un autre solo qu’elle a écrit et qu’elle vient de créer à la Comédie de Caen. “ Le titre, dit-elle, s’est imposé à moi. comme si je devais traverser mon cœur , en faire la visite de fond en combles pour avancer, évoluer. car après avoir énoncé que l’artiste est transformateur, j’ai ressenti le besoin de me mettre en conformité avec l’artiste en moi, que je sens précurseur de mon humanité. Monter ma vie au niveau de mes compréhensions d’artiste. Faire se rejoindre mes idées et mes actes, ce que je suis et ce que je pense”.

  Mais le spectacle va bien au delà de cette auto-proclamation un poil prétentieuse! Elle est seule sur scène ; il y a juste une chaise et une petite table débordante de feuilles de papier qui sont tombées un peu partout sur le plateau, comme un témoignage, un passage entre l’écrit et la scène. La cinquantaine arrivée, avec une belle lucidité, elle nous dit à la fois sa joie de revivre après les rudes traitements qu’elle a subis et elle nous livre des pans entiers de sa vie mais avec beaucoup de pudeur. Dans une sorte de grand écart entre l’écriture intime (comme elle dit: écrire sur l’intime. mais, écrire c’est intime!) et l’expression de cette intimité sur  le plateau. ce qu’elle réussit parfaitement aidée par  Suzy Firth et  Anne Artigau,  ses deux amies et collaboratrices de longue date.
  Elle raconte ainsi sa soumission absolue et quotidienne  aux indispensables médicaments qui sont passés de la salle de bains… à la cuisine, les rapports qu’elle entretient avec les médecins et son kiné qui lui dit: “ Vieillir c’est encore ce que l’on a trouvé de mieux pour ne pas mourir(…).  J’ai donc pour projet de vieillir ! Je sais que ce n’est pas très à la mode. Le botox, lui, est plus à la mode!  (…) Bien, quand on est jeune, on est surtout de jeunes cons, tout le travail consiste à ne pas devenir de vieux cons.
  Et elle fait un retour sur le passé de sa famille. Comment elle a retrouvé les brouillons des lettres que sa grand-mère avait écrit mais en vain pour faire libérer son grand-père dénoncé pour faits de résistance et fusillé par le Allemands au fort de Besançon. Il avait trente trois ans et son père  treize  . Son père qui ne rêvait que de tuer du Boche mais ne l’a jamais fait, fut ouvrier puis devint contre-maître, puis ingénieur et enfin  directeur d’une usine à Strasbourg. Mais,  emporté en six mois, comme elle dit, il n’avait pas su canaliser son énergie et il  est parti à  qurante ans seulement; elle en avait onze! Comme si l’histoire familiale s’était mise à bégayer.
  Le texte est d’une belle écriture, tout à fait maîtrisée, et même si le spectacle est encore un peu brut de décoffrage, et si la mise en scène flotte encore un peu. Il faudrait sans aucun doute revoir les éclairages vraiment trop parcimonieux surtout au début et la scénographie bien conventionnelle. Il faudrait aussi que Michèle GuiGon cesse de sourire tout le temps, ce qui tourne vite  au procédé et n’a rien de  convaincant…
  A ces réserves près, ces cinquante-cinq  minutes passent très vite  et Michèle GuiGon sait constamment préserver le fragile équilibre entre écriture et interprétation personnelle et trouve encore mieux que dans son dernier spectacle,  comment passer de la pensée à l’écriture, puis, comme elle  le dit finement,  de l’intime du “je” au jeu scénique. Les monologues ou “solos”,  selon l’expression actuelle, masculins ou féminins, sont un mode désormais très répandu mais il y en a peu qui aient cette qualité d’écriture et cette densité d’interprétation…

Philippe du Vignal

 Spectacle vu à la création  en mars à la Comédie de Caen; puis au Théâtre de l’Ouest Parisien, Boulogne-Billancourt les 17 et 18 mai 2011.
Au Lucernaire, Théâtre Rouge, du 22 juin au 23 octobre à 20h du mardi au samedi, et le dimanche à 17h, à partir du 11 septembre.

 

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