Derniers remords avant l’oubli dede Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Serge Lipszyc

Derniers remords avant l’oubli de Jean-Luc Lagarce, mise en scène de Serge Lipszyc

Quand une pièce revient à sa source… Serge Lipszyc, avec sa compagnie du Matamore -plus de vingt-cinq ans d’existence et de fidélité est installé pour plus d’un mois au Théâtre du Ranelagh à Paris. Il faut d’abord saluer la performance des comédiens dans des univers très différents, au jour le jour, avec une grande complicité d’ensemble. Trois pièces sont en effet présentées en alternance dont Le Misanthrope (voir Le Théâtre du Blog).
L’alternance, privilège des troupes qui ne s’exerce que trop rarement en dehors de la Comédie-Française. C’est pourtant un vrai plaisir de retrouver des comédiens passant d’un style et d’un personnage à l’autre, éveillant des échos insoupçonnés et s’enrichissant d’un auteur à l’autre.
Derniers remords avant l’oubli raconte les retrouvailles impossibles et drolatiques de trois compagnons qui ont vécu ensemble une vingtaine d’années auparavant. Ils se revoient, accompagnés de leurs nouveaux époux, épouse, enfants pour décider du sort d’une maison achetée en commun en des temps lointains. Une vie loin derrière eux mais les circonstances font ressurgir à vif les relations, passions et rapports de force.
La structure de la pièce s’inspire d’Oncle Vania d’Anton Tchekhov, mais là où à travers Vania, il finissait par régler des comptes, Jean-Luc Lagarce laisse la situation aller vers une sorte de contrat à l’amiable, en faisant appel au public pour dépatouiller cette affaire qui restera aussi bloquée à la fin qu’au début. Avec torts partagés: finalement, il n’y aura pas  d’autre solution que l’oubli dans une autre époque, un siècle plus tard…

La pièce fonctionne comme une enquête où des indices se livrent un à un, avec un suspense constant. Quelles sont les relations entre ces gens ? Que s’est-il passé ? Que se joue-t-il autour de la vente de cette maison ? Serge Lipszyc a eu la bonne idée de la mettre en scène dans le foyer du théâtre. C’est en lui-même un décor avec son escalier, sa cheminée et ses murs sculptés. Le Ranelagh,  théâtre historique d’un ancien hôtel particulier, possède  un foyer qui, mieux qu’un décor,  est ici le cœur de  cette maison Lagarce, tout à fait crédible où  seul, Pierre, l’un des trois compagnons, est resté.

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Joué avec délicatesse par Serge Lipszyc, il a fait le choix d’une vie simple  et est resté fidèle à sa jeunesse. C’est un Vania moderne et son silence, ses réticences, en disent long. Face à lui, Paul, (Bruno Cadillon) est  celui qui a réussi. Venu malgré lui, il est fascinant et on a l’impression de le connaître. Une femme (Valérie Durin)  les a aimés tous les deux et est impétueuse mais aussi sensible, entraînante, voire dangereuse.
Les nouveaux compagnons des uns et des autres excellent eux aussi. Antoine (Henri Payet), le «commercial» donne un cours de psychologie…  Il pourrait être d’un cynisme ravageur mais non, c’est un beau personnage naïf et touchant. Anne (Juliane Corre) voudrait faire entendre la voix de la pacification. Et une nouvelle génération, représentée par Lise (Ophélie Marsaud) reste perplexe devant les égarements de ses aînés, et rétive à leurs appels du pied, en position d’observatrice.

Jean-Luc Lagarce, grand auteur dramatique, arrive à donner beaucoup d’éléments de jeu et de caractère avec un texte concis et fait surtout de non-dits. Le jouer exige des acteurs une vraie personnalité et beaucoup de finesse; ils sont très justes dans cet exercice difficile sans protection, au milieu du public où ils circulent librement.
Nous sommes installés à des petites tables et nous avons l’impression de vivre en direct la situation qui a donné l’idée à Jean-Luc Lagarce d’écrire sa pièce, comme un retour à la source.
On pense à tous ces moments où nous nous disons avec amusement: «C’est une vraie scène de théâtre.» Il y a juste ici une intense curiosité à voir s’entrechoquer six belles personnalités. Une pièce merveilleusement écrite et qui restera, c’est sûr. Elle est donnée avec justesse et clarté.

Evelyne Loew

Jusqu’au 21 mai, Théâtre du Ranelagh, 5 rue des Vignes, Paris (XVI ème). T. : 01 42 88 64 44

 

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