Légendes de la forêt viennoise d’ Ödön von Horvath, mise en scène Alexandre Zloto.
Une œuvre qui vous jette à la face toute la bêtise du monde.La scène est à Vienne. Marianne, la fille du vieux Roimage, gérant d’une petite boutique de jouets, est promise depuis l’enfance à son voisin, le jeune boucher Oscar. Mais Marianne rencontre Alfred, jeune homme fringuant venu voir l’autre voisine, une buraliste avec qui il entretient une liaison, pour lui emprunter une énième fois de l’argent qu’il va perdre aux courses. La jeune fille tombe sous le charme,et lui ne se montre pas indifférent, si bien qu’ elle en vient à rompre avec son père et son fiancé pour partir avec celui qu’elle considère comme l’amour de sa vie.
Commence alors une existence de misère et de désillusions.. Que l’on ne s’y fie pas : il s’agit là seulement de la racine profonde de l’intrigue. La pièce bourgeonne en tous sens, savoureusement, et déploie sous nos yeux l’image de cet infini qu’est la bêtise humaine.Et le spectacle virevolte en tous sens. Sur la musique des valses viennoises, les tableaux se déploient dans un jeu savamment orchestré. On déplie sous nos yeux toute une « rue tranquille » ornée de vitrines chatoyantes, avant de dresser l’intérieur miséreux du ménage et à l’opposé le salon bourgeois d’une baronne aux activités douteuses, pour finir par nous plonger en plein cabaret : certains spectateurs se retrouvent même pris dans la ronde ou attablés devant les langoureux numéros des danseuses…
Zoom sur le premier plan, on s’étale ensuite sur toute la scène, on s’immobilise pour la photo, on se disperse dans un mouvement de danse, puis c’est un simple projecteur braqué sur Marianne se confessant : l’espace est entièrement apprivoisé. Tout s’organise comme par magie dans un enchaînement complexe, presque chorégraphié, mais si plein de vie ! Et des arbres surgissent soudain, c’est la forêt, au sein de laquelle les jeux galants nouent les drames et chuchotent les légendes… La scénographie de Jean-Marc Alby est un enchantement.
Mais la présence des acteurs s’impose, captivante. Julie Autissier mène admirablement le personnage de Marianne. L’œil brillant, elle est bouleversante, dans sa révolte contre la bêtise mais, « gros bêta » elle-même, finit prise au piège de ce qu’elle fuyait : au final, Yann Policar (Oscar) l’emmène avec la violence tranquille, mais saisissante, de l’inéluctable. Ariane Bégoin ( la grand-mère), symbolise à elle seule l’ambiguïté d’une pièce qui fait rire tout en nous glaçant le sang. Sabine Zovighian est un de ces personnages sans paroles qui imprègnent l’intrigue : elle hante la scène en portant l’innocence sur son visage d’enfant et finit pervertie en fille de cabaret. Florent Oullié se fait lumineusement rustre pour incarner Havlitchek, une brute sympathique. Le prestige de façade et la jeune prétention sont le lot de Franck Chevallay (Alfred) et François Pérache (Eric). Saluons encore Maria Furnari (la mère), Dan Kostenbaum (le major et Ferdinand Hierlinger, dont il fait luire le regard sournois) et Pierre-Emmanuel Vos (Roimage) qui ont su donner de l’énergie à la vieillesse de leurs personnages.
Le spectacle est peut être un peu long (3h avec entracte) mais il fait preuve de dynamisme et de surprises. On ne s’en lasse pas, pris dans ce tourbillon viennois qui nous laisse au final au moins aussi étourdis que les acteurs eux-mêmes.
Élise Blanc
Au Théâtre du Soleil jusqu’au 17 avril.