La Banalité du mal
La Banalité du mal de Christine Brückner, traduction de Patricia Thibault, mise en scène de Jean-Paul Sermidarias.
Christine Brückner (1921-1996) est sans doute l’un des écrivains les plus connues de son pays; à travers plusieurs romans, elle a raconté l’histoire d’une génération de femmes qui ont dû se battre pendant les épreuves en tout genre qui émaillèrent la seconde guerre mondiale. Elle est aussi l’auteur de plusieurs pièces et de monologues comme cette Banalité du mal qui met en scène le tout dernier jour d’Eva Braun, qui fut la compagne secrète d’Adolphe Hitler auquel elle voua un amour sans faille. On est le 30 avril 45, dans le bunker du Führer et elle vient de se marier , dans la plus stricte intimité comme on dit, avec celui qui a pris sans doute conscience que sa belle aventure allait finir.
Ils vont en effet se suicider quelques heures plus tard et le Troisième Reich de ses rêves n’y survivra pas. Entre temps, des millions d’innocents y auront laissé leur vie dans des conditions atroces.
Eva Braun n’a que 33 ans , et elle raconte, dans une absolue sérénité, ce qu’est son amour pour Hitler, en voulant ignorer soigneusement toute l’horreur des camps et des exécutions massives conduites par celui qui est devenu son mari. La photo du programme montre une jeune femme brune,assise dans un fauteuil recouvert de tissus à fleurs ,regardant avec douceur son amant qui, les yeux fermés, se repose dans un fauteuil identique: rien de plus banal que cette photo si on n’en connaissait pas le protagoniste!
Mais voilà, le texte de Christine Brückner , n’en déplaise à Jean-Paul Sermidarias, n’a quand même rien de très fascinant: c’est un peu comme une petite et rapide leçon d’histoire contemporaine; Eva Braun évoque son amour, sa vie dans le bunker comme celle des quelques dignitaires nazis encore proches d’Hitler, et la fin programmée du dictateur complètement isolé. Patricia Thibault incarne au mieux et avec beaucoup d’intelligence et de retenue cette jeune femme qui se confie à nous. Pourtant la question que pose avec raison le metteur en scène dans sa note d’intention, est une des plus brûlantes qui soit, et les récents événements de Lybie sont là pour nous le rappeler: dans un régime totalitaire, ceux qui choisissent d’accomplir les activités les plus monstrueuses sont-ils différents de nous?
Continuer à penser (c’est à dire s’interroger sur soi, sur ses actes, sur la norme) est peut-être la condition sine qua non pour ne pas sombrer dans ce que la grande Hannah Arendt appelait la banalité du mal? Ce n’est pas en restant spectateur que cela peut suffire à se désolidariser des atrocités commises au nom de je ne sais quel idéal auquel une patrie d’une grande nation a obéi.
Oui, sans aucun doute mais, tout cela, on ne le sent pas vraiment dans ce monologue. qui manque singulièrement de chair. Et ce que Chrstine Brückner fait dire à Eva Braun n’est quand même pas d’un niveau de pensée très élevé… Il y manque, même en filigrane le personnage d’Hitler, presque impossible à rendre crédible, sauf à la fin quand on l’entend éructer au micro, applaudi par une foule enthousiaste.
Alors à voir? A vous de juger si cela vaut le déplacement; ces cinquante cinq minutes passent très vite mais le moins que l’on puisse dire est que l’on reste sur notre faim…
Philippe du Vignal
Manufacture des Abbesses, jusqu’au 19 mai 7 rue Véron Paris 18 ème.