Yakich et Poupatchée, comédie crue, de Hanoch Levin, traduction de Laurence Sendrowicz, mise en scène de Frédéric Bélier-Garcia
Un petit goût acidulé, un petit goût désespéré
Et voici, pour la première fois sur scène, en exclusivité, avec Yakich et Poupatchée, une pièce entièrement consacrée, de la première à la dernière scène, au harcèlement sexuel subi par les malheureux mâles ! Ah! là, là, bander, quelle corvée ! Terrible obligation qui s’abat sur Yakich, jeune homme laid, pauvre et triste, sommé 1) de trouver une épouse, car le temps presse et la vieillesse arrive si vite 2) de consommer, car le mariage ayant coûté tant d’énergie, il faut le rentabiliser sur l’heure. Comme le hurlent les beaux-parents dans des mégaphones : « Rends-toi ! La laideur te cerne de toutes parts ! ». Fini l’enfance, fini de faire joujou, il faut assurer, il faut faire avec … « Papa maman, j’ai enfin grandi, je suis totalement désespéré ».
La fiancée, dénichée avec moult difficultés, tout aussi jeune, laide et pauvre, attend, elle, avec impatience, non pas le plaisir – il n’en est pas question ! - mais le bébé ! Ah marcher derrière un bébé qui grignote un biscuit et le gronder parce qu’il laisse des miettes partout dans la maison ! Le bébé, un grain de merveilleux en puissance, une « assurance-vie ». Pauvre Yakich, au boulot. Il fait appel à son imagination, mais les fantasmes érotiques passent, repassent, et… le dépassent, sans s’arrêter hélas. Impossible d’honorer Poupatchée. Le désir, cela ne se commande pas. Tant mieux ou tant pis, c’est comme . ‘est un fait: le désir s’éteint très facilement à grands coups d’injonctions, d’ironie, de mochetés, de précipitation, de pressions, de cynisme, de mensonges, de problèmes d’argent et d’arrangements vaseux. Cette fable salace et sarcastique prend la forme d’un voyage dans le triangle de nulle part, de Platchki à Platchinki en passant par Ploutchki, à la suite des jeunes mariés en lune de miel forcée, accompagnés par le marieur et encadrés par leurs deux familles. Visite à la Prostituée, Poutissima, maîtresse ès-désir, en son Bordel, qui, bien sûr, n’est pas celle que l’on croit. Visite à l’éthérée Princesse, Gazzella-Mozzarella, en son Palais des rêves d’enfance.
La mise en scène est réussie, tonique, alerte. La direction d’acteur set l’équipe réunie sont justes, avec du mordant et un sens du rythme formidable. Tous les comédiens, il faudrait les citer tous, servent avec brio cette langue si drôle, si percutante, sans un gramme de sentimentalisme et pourtant remplie de tendresse pour ces cocasses petits mammifères obstinés, pleins de vie. Ils se cognent le nez, ils repartent toujours. Ils ont trouvé le style de jeu au diapason de l’œuvre. C’est l’engagement total, absolu, de chacun qui fait rire, sans basculer dans le clownesque.
Bravo ! Le metteur en scène a eu l’heureuse idée de déployer, en contrepoint à ces bien quotidiennes questions de désir en rade dans le terrain vague de la misère, toute l’emphase de la grande musique romantique flamboyante. Et de décor, lumières, costumes, sur le grand plateau de Montreuil, sont colorés, forains, joyeux, gourmands. Une fête.
Au total, un spectacle vif et gai. Pour grandes personnes dont la crudité affichée, sans vulgarité, rejoint celle des contes philosophiques du XVIIIème. Une tragédie où l’on chante et où l’on rie. Des tribulations inédites dont le héros est un petit étendard qui ne veut pas se lever.
Une pièce à découvrir (créée à Tel Aviv en 86), jamais jouée en France, traduite merveilleusement par Laurence Sendrowicz, de ce grand auteur israélien, Hanoch Levin (1943-1999) dont on a pu voir récemment Yacoobi et Ledenthal, Kroum l’ectoplasme, L’enfant rêve, Que d’espoir, ou encore Une laborieuse entreprise (déjà l’histoire d’un très laborieux mariage et de cœurs inassouvis qui réclament leur place au soleil !).
Evelyne Loew
Nouveau Théâtre de Montreuil CDN, 01 48 70 48 90
du 28 avril au 10 mai, puis en tournée.
Texte paru aux Editions Théâtrales, tome 5 du théâtre choisi de Hanoch Levin.