Un homme debout
Un homme debout, de Jean-Michel Van den Eeyden et Jean-Marc Mahy
Ça pourrait être une tragédie : du pur théâtre. Les dieux aveuglent ceux qu’ils veulent perdre, la Bande, sa chaleur trompeuse, son conformisme, perd le jeune homme fragile qui se laisse embringuer dans la délinquance, et puis le port d’arme, et puis l’usage de l’arme. Sans l’avoir voulu, sans l’avoir décidé, terrorisé, le gamin de dix-sept ans frappe un homme, qui en meurt. Ça aurait pu s’arrêter là, de centre fermé pour mineur en réinsertion. Mais il passe par la justice des adultes. Dix-huit ans de prison, évasion, panique, rechute, une arme dans les mains, et, à nouveau, la mort. Quand on tue un gendarme, on sait le double prix qu’il faudra payer. Le jeune homme l’apprend, jour après jour, à l’isolement, dans les humiliations, dans la solitude qui rend fou. Il met du temps à comprendre qu’il a commis l’irréparable, que les victimes, ce n’est pas lui, que son geste a brisé la vie de ceux qui l’aimaient, et même de ceux qui ne l’aimaient pas. Il survit, miraculeusement. Le miracle a un nom, la lecture, arrivée tôt dans sa vie d’avant, et tard dans sa vie de taulard.
Et un autre nom : les rencontres. Il faut pouvoir parler à quelqu’un. Quelques-uns l’ont rencontré, l’ont écouté et lui ont parlé, lui ont permis in extremis de tenir. Il faut quelqu’un pour vous accueillir, le jour de votre sortie. Il faut réapprendre les gestes de la vie. Et aujourd’hui, Jean-Marc Mahy, car c’est de lui qu’il s’agit, est là en personne pour dire et jouer cette tragédie et cette renaissance, et pour rencontrer le public ensuite.
Jean-Michel Van den Eedyden a recueilli son histoire, lui a demandé de la lui montrer. Ils se sont posé la question : était-ce bien à Jean-Marc de jouer son propre rôle ? Ils se sont répondu : oui. Et, ce faisant, ils n’ont pas du tout évacué le problème du comédien, au contraire. Jean-Marc incarne une histoire, la sienne, il montre ses propres gestes, ceux de ses gardiens, l’humiliation répétée et répétée – contre le mur, jambes écartées, déshabille-toi, contre le mur, jambes écartées…-, les coups, la peur, la tentative de suicide – ça s’est passé comme ça-. Le tout, avec l’exactitude la plus exigeante, et une concentration maximale.
N’est-ce pas ce que l’on demande au comédien ? La grande différence est que cette exactitude n’est pas seulement au service du beau, car il y a du beau dans cette histoire, ni au service d’une méditation sur la destinée humaine, car celle de Jean-Marc suit un parcours exceptionnel et exemplaire, de la chute à la rédemption. Non : il ne s’agit pas de « purger les passions », mais de délivrer un message précis et actif.
Pas une leçon de morale : un message, complexe. Par exemple, que jamais aucun criminel ne mérite d’être rayé de l’humanité. Caché derrière le geste monstrueux, il y a un homme. Cela ne signifie pas, pour les victimes, qu’il faut pardonner : les proches d’une victime peuvent passer par les mêmes phases de haine, de vengeance, puis de réflexion que le condamné, jusqu’à accepter enfin de vivre, amputés. Que les livres, même non choisis, même lus et relus faute d’autre nourriture, sauvent la vie. Et quelques autre vérités encore, à leur place sur la scène de ce lieu culturel. Si la culture , ce n’est pas cette énergie qui donne le ressort de vivre…
Christine Friedel
Maison des métallos, avec un cycle de projections, débats et expositions, jusqu’au 15 Mai – 01 47 00 25 20
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