Mademoiselle Julie

Mademoiselle Julie d’August Strindberg, traduction de Terje Sinding, mis en scène de Christian Schiaretti.

   mllejulie.jpgLe directeur du T.N.P. avait déjà monté Camarades et Père du célèbre auteur suédois.Le diptyque Mademoiselle Julie et Créanciers complètent la représentation de cette  » tragédie naturaliste »; ce sous-titre de Mademoiselle Julie dit bien que la pièce  est surtout fondée  sur la thématique ontologique de la relation homme/femme ».Et Schiaretti a raison de préciser qu’à l’instar des tragédies classiques, le tragique de Srindberg possède  une unité de temps:(une nuit);  de lieu: la cuisine d’une demeure de grands bourgeois., et enfin  d’action avec seulement trois personnages, en fait ,plus souvent deux: Julie la fille du comte  et Jean le domestique; Christine la cuisinière et fiancée de Jean n’étant qu’une sorte de contre-point indispensable.
Avec une difficulté réelle pour tout metteur en scène: comment concilier la situation tragique d’un amour impossible  et un naturalisme évident. Christine fait la cuisine devant nous, Jean cire les bottes du comte, en même temps que se noue une passion dévorante et insoluble dès le départ, sinon par la mort et la séparation entre deux êtres.
Strindberg révèle ici son mal-être permanent, et la question des relations entre hommes et femmes , surtout quand elle ne sont pas du même milieu, l’a visiblement taraudé toute sa vie. Il faut rappeler que sa mère avait d’abord été la servante de son père avant quelle ne se marie avec lui, et lui-même a divorcé trois fois…
Et le dramaturge suédois reconnaît sans détour qu’il a puisé le thème de Mademoiselle Julie, dans la vie réelle; toute la pièce est en fait un « immense règlement de compte entre des êtres dressés les uns contre les autres dans une perpétuelle revendication « comme disait Adamov:  » et un antagonisme violent entre l’homme et de la femme,  fondé sur  un problème d’ascension et de  chute sociale ».  Julie ne peut pas admettre les raisons de Jean , et réciproquement. Finalement ,tout les sépare, même s’ils ont toujours vécu dans la même maison. C’est ce que va révéler cette  nuit de la Saint-Jean, où bien des choses sont permises et où les relations entre maîtres et serviteurs  plus floue qu’à l’habitude: Julie, qui a rompu ses fiançailles est  attirée par Jean, même si l’on ne danse pas avec les paysans ou les domestiques, et même si Jean est déjà fiancé avec Christine la cuisinière.
Et sitôt Christine sortie de la cuisine, elle  se jettera sur Jean qui ne résistera pas bien longtemps.Il a sans doute une revanche à prendre et rêve comme elle mais pas pour les mêmes raisons de s’échapper  de cette maison.Il rêve sans doute d’un ailleurs mais saura se montrer inflexible avec Julie quand il aura besoin d’argent et elle  n’hésitera pas à voler son père pour partir avec lui refaire leur vie à l’étranger,. Même s’il se rend compte que le piège s’est déjà refermé sur cette liaison qui n’ a qu’une issue:  la mort de l’un d’entre eux. Et c’est lui qui, sans état d’âme, qui donnera un couteau de cuisine à Julie pour qu’elle se tue.Il faut une victime sacricifielle mais ce ne sera pas lui:  » Il faut toujours étudier la nature des êtres avant de donner libre cours à la sienne « dira-t-il cyniquement.

Christian Schiaretti a réalisé une mise en scène de tout premier ordre. Avec d’abord une scénographie exemplaire signée Renaud de Fontainieu qui réussit à concilier un naturalisme bien visible: Christine cuisine réellement pour Jean un petit plat qu’elle fera flamber sur un piano de grande maison: plaque chauffante, plan de travail et évier érunis en rectangle, avec four en fonte en dessous, mais, derrière point de murs, juste un espace libre avec  une longue pente qui mène à une double porte coulissante  qui laisse entrer et sortir les personnages, dans un superbe contre-jour.Impressionnant, non de vérisme mais de vérité et d’intelligence. On est à la fois dans le réel le plus terre à terre: la cuisine et, en même temps dans une dimension ontologique, un autre monde où a lieu l’autre vie des personnages dont nous ne savons peu de chose, une vie hors-champ en quelque sorte. Nous avons bien souvent dans ces mêmes colonnes fait remarquer l’insignifiance de telle ou telle scénographie, pour dire combien celle-ci est en parfaite harmonie avec la remarquable mise en scène de Christian Schiaretti.
Cela fonctionne un peu moins bien  , puisqu’il s’agit à peu près du même décor , avec Les Créanciers dont vous rendra compte Christine Friedel. Ce qui est le plus impressionnant c’est la direction d’acteurs de Christian Schiaretti, toujours juste et précise comme sa mise en scène. Pas de détails inutiles , pas de vidéos parasitaires, mais un respect et une intelligence du texte de Strindberg, comme rarement nous l’avions entendu, sans aucun doute grâce aussi à la belle traduction de Terje Sinding . Seul petit bémol, l’introduction de personnages masqués avec des têtes d’animaux: belle image  mais pas vraiment utile.

La pièce est  servie par trois acteurs de tout premier ordre: Clara Simpson dans le petit mais indispensable rôle de Christine, Clémentine Verdier dans une  Julie  et dont elle rend très bien la volonté de possession d’une belle jeune femme qui a visiblement besoin de rompre avec son milieu et qui en voit bien toute l’impossibilité matérielle et morale. Wladimir Yordanoff, exceptionnel dans Jean. Manipulateur, cynique, assoiffé de revanche sociale mais quand même très lucide sur ses faibles chances de réussite, puisqu’elles dépendent de Julie dont il a eu envie mais qu’il n’aime pas. Wladimir Yordanoff fait un travail tout en nuances et sait bien rendre les deux facettes de  ce personnage de Jean, domestique, devenu  d’un extrême cynisme avec celle qui reste la fille de son patron, et  qui, en même temps, reste attentif au moindre coup de sonnette de monsieur le Comte. On n’efface pas des années d’obéissance servile…
Nous venons  d’assister en direct à un moment d’attirance sexuelle, immédiate et foudroyante entre deux êtres dont devine que leur histoire va basculer en quelques heures dans l’irréparable. Echec programmé, malgré l’abnégation de Christine. Et la dernière scène de rupture,  quand Jean laisse Julie, désemparée, partir avec le couteau qu’il vient de lui donner, est de toute  beauté dans  la noirceur d’un rituel de mort qui n’ose pas dire son nom.Noirceur sans doute mais qui, comme toutes les noirceurs , ne cesse de nous fasciner! La mort de Julie  ne préfigure-t-elle pas au fond la chute sociale de Jean le domestique qui se rêvait propriétaire d’un hôtel restaurant?
La fable inventée par Strindberg a plus de cent ans déjà mais reste d’une vérité cruelle: il suffit de lire les pages de faits divers des quotidiens. Et Christian Schiaretti  cette signe là une mise en scène vraiment exceptionnelle.

A voir sans aucune réserve. Vraiment comme Les Créanciers mais peut-être vaut-il mieux voir les deux pièces séparément.

Philippe du Vignal

Théâtre national de la Colline jusqu’au 11 juin. T: 01-44-62-52-52

 


Un commentaire

  1. Rémi S dit :

    autant les courtes pièces de Molières mises en scène par Schiaretti sont parfaites et intelligentes, autant cette Mademoiselle Julie est inégale: une Julie pleine de gestes parasites, une Christine crispée et laborieuse, un Jean qui maitrise (trop ?)
    et qui joue un peu au delà du texte. La mise en scène hésite entre le classique et le contemporain (costumes classiques, fils rouges …) et les éléments de réel (cuisine, bottes, manteau…), sautent aux yeux de manière un peu vulgaire.
    Rémi.

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