Monstres
Monstres, de Ronan Chéneau, mise en scène de Babette Masson
Comment vit-il, celui qui n’attache pas de prix à la vie ?
Pas de prix ? Ou plutôt si, un prix tarifé. Nous suivons, dans ce spectacle, concis et mystérieux, la cohabitation hasardeuse de trois tueurs à gages. Trois hommes. Trois générations. L’un cherche du travail et se propose comme stagiaire, l’autre fait son boulot, apparemment sans états d’âme, le troisième cherche à se faire tuer. Trois solitudes qui se croisent. Avec, en arrière fond, les fantasmes du policier et du film noir.
Le projet est né d’une commande passée à des auteurs sur des variations autour de trois monstres mythiques : King Long, Frankenstein, Dr Jekyll et Mr Hyde. Le collectif Label Brut a ainsi rencontré Ronan Chéneau, auteur. L’équipe s’est constituée, le spectacle a pris forme. Ronan Chéneau s’est nourri d’un constant travail de plateau avec la metteuse en scène, Babette Masson, et les comédiens. Cela se sent dans la construction car le récit avance à travers les ambiances, les images, les moments de jeux muets sur la musique, particulièrement réussis, portés par trois comédiens qui ont une impeccable maîtrise du corps, extrêmement expressifs, utilisant le rythme à merveille.
Il y a des fulgurances d’écriture, moins dans les dialogues, quasiment impossibles vu la nature des personnages, que dans les moments de monologues, en particulier dans les présentations successives qui, à travers le thème de la quête de soi, dépassent la situation et ouvrent sur de belles interrogations. Appels du jeune homme à qui la société d’aujourd’hui ne laisse aucune place, bouffées de souffrance cachée du « professionnel », rituel étrange du suicidaire qui ne manque pas d’humour.
Babette Masson, la metteuse en scène, a intelligemment imaginé un dispositif scénique qui, en fond de plateau, masque le haut des corps et permet la déréalisation du quotidien. Elle sait créer le mystère, faire vivre les objets, ouvrir l’imaginaire. La pièce se termine par une superbe image : un homme Golem enveloppé de papier aluminium, un jeu d’enfant qui a grandi, grossi jusqu’à devenir le monstre informe qui dépasse et menace la ville. L’osmose texte/ mise en scène, alors que l’auteur n’est pas le metteur en scène, est en soi une réussite, à saluer, vraiment. C’est une alliance fructueuse, hélas trop rare dans le paysage théâtral français.
Evelyne Loew
Créé au Carré-Scène Nationale de Château-Gontier, vu le 10 mai à Bourges-Maison de la Culture,puis en tournée en France.
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