Où le temps s’arrête et sans chaussures
Où le temps s’arrête et sans chaussures, texte et mise en scène de Milena Csergo
La troupe de l’éventuel Hérisson bleu nous propose une variation très personnelle sur le conte de Peter Pan de James Barrie. L’univers de l’enfance auquel ce mythe fait habituellement référence, est ici un miroir sur le monde des adultes. L’écriture de Milena Csergo s’intéresse avant tout à la famille Darling, et notamment au personnage de Wendy que l’on accompagnera de sa naissance (représentée !), jusqu’à la fin de sa vie.
Le Conteur (Milena Csergo), personnage qu’on retrouvera tout au long de l’histoire, présente le couple Darling, que l’on découvre par des images fortes : silencieux, chacun de part et d’autre du plateau, ils s’élancent l’un dans les bras de l’autre à plusieurs reprises, dans une démarche suggérant l’amour et la rencontre. Ils mettent ensuite leurs habits du dimanche face public, Monsieur Darling (Antoine Thiollier) porte notamment trois cravates. On découvre ensuite l’univers onirique de Wendy (Marion Bordessoulles qui a une belle présence), empreint de naïveté et de simplicité, et la mise en scène, avec un drap et deux chaises, un matelas ou encore son jouet préféré, une tête de cheval tenue sur un bâton, suffisent à la faire voyager.
L’humour et la fantaisie se mêlent peu à peu à des images plus noires et violentes, portées par des personnages comme la fée Clochette, incroyable Lou Chrétien (qui est aussi Madame Darling), le visage caché par sa chevelure, la voix désarticulée et dont on finit par se demander si c’est une fée ou une sorcière ! Elle s’engage dans une danse frénétique et possédante, savamment chorégraphiée, puis asperge Wendy de sa poudre magique aux beaux reflets dorés. Le monde des enfants perdus est transposé de façon tout aussi étonnante. Wendy se retrouve comme prisonnière d’un monde où l’on ne peut qu’improviser toutes sortes de jeux puis dormir, et où ses parents finissent par lui manquer. Et l’on retrouve les mêmes acteurs qui jouent les parents Darling dans le rôle des enfants perdus, empêtrés dans des habits trop larges, des chaussettes énormes, qui hissent les voiles d’un navire imaginaire grâce à des cordes disposées en avant-scène et sur lesquelles sont accrochées des dizaines de paires de chaussures qui se retrouvent ainsi suspendues dans les airs. La figure du capitaine Crochet y fait une apparition fugitive à la lumière d’une bougie, porté par la présence du Conteur. Peter Pan quant à lui (Hugo Mallon), reste tout le long un personnage mystérieux et ambigu, car s’il est souvent en mouvement, navigant entre son monde imaginaire et la réalité de Wendy, il reste la plupart du temps taiseux et réservé.
Cette belle rêverie sur le conte de Peter Pan est soutenue par l’écriture de Milena Csergo et la qualité de ses comédiens, généreux dans leurs efforts, faisant les changements de décor à vue, se frottant à la danse, à l’improvisation, et surtout défendant au mieux leur texte sous ce chapiteau à l’ acoustique difficile et que l’on sent pas toujours maîtrisée par les jeunes acteurs. Il y a quelques longueurs, mais la scène entre les parents, quand Wendy les attaque à coups d’oreillers, plumes et farine est un formidable tableau final.
La troupe de l’Eventuel hérisson bleu nous livre ici un spectacle audacieux et délirant, à l’esthétique simple et qui n’a rien à envier aux grosses cylindrées qui adaptent sans cesse ce mythe universel ici ou là.
Davi Jucá
Festival « Premiers Pas » sous chapiteau à la Cartoucherie de Vincennes, prochaine date le samedi 21 mai à 18h et selon les jours (voir programme), jusqu’au 12 juin.