La femme du boulanger
La Femme du boulanger de Marcel Pagnol, mise en scène de Pierre Antoine Lafon Simard
La Femme du boulanger présentée au Théâtre de l’île à Gatineau, Québec, est inspirée d’un récit de Jean Giono, filmée et ensuite adaptée à la scène par Marcel Pagnol qui se situe en Provence. Comme Jean de Florette ou Manon des Sources, la femme du boulanger est un de ces personnages « troubles » qui rompt avec les conventions du milieu rural, qui arrive de l’extérieur pour semer la zizanie dans la communauté de ce petit monde campagnard où les liens affectifs sont étroits, où les gens se méfient des étrangers et où la cruauté se manifeste autant que la générosité
Aimable Castanier, le nouveau boulanger du village suscite l’envie de tous les hommes. Sa jeune et belle épouse Aurélie fait rêver maris et célibataires. Le jour où le berger Dominique jette un regard sur la jeune femme , c’est un coup de foudre partagé. Aimable est tellement aveugle qu’il n’entend même pas les commérages, tant et si bien qu’il ne comprend pas pourquoi un jour, sa femme ne rentre pas. Lorsqu’il apprend qu’elle est partie avec Dominique, au sourire naïf et au regard un peu « simple » Aimable tellement bouleversé, refuse alors d’ allumer son four. Il n’y aura plus de pain au village. C’est la catastrophe!
Paniqués, les villageois s’organisent pour retrouver Aurélie. Ce n’est pas la trahison de la femme qui les inquiète, ni les considérations morales sur l’adultère. La fugue de la jeune femme les amuse plutôt. Non, ils sont bouleversés uniquement parce qu’ils n’auront plus leur pain quotidien, chose incompréhensible pour un Canadien …
L’œuvre commence comme une satire plutôt gentille de la vie rurale, mais devient une dénonciation assez amère de la cruauté des hommes marqués par des traditions ancestrales. Et même si la recherche de la jeune femme aboutit à la réconciliation entre les habitants souvent empêtrés dans de vieux conflits, familiaux, Pagnol ne pardonne pas la manière dont les villageois semblent indifférents aux souffrances du mari trompé. . Jean-Pierre Beauquier incarne parfaitement le désespoir du boulanger qui a perdu son épouse adorée. Son corps courbé, ses yeux cernés, son regard un peu fuyant traduisent sa douleur avec beaucoup de discrétion, et l’acteur .évite le mélodrame ou la sensiblerie exagérée. André St Onge, (Antonin le voisin bûcheron), robuste et près de la terre, incarne l’esprit de cette population, enracinée dans son territoire, accaparée par ses besoins les plus primaires, ses bêtes, ses femmes et les petits conflits avec le voisinage. Le curé (Patrick Potvin), est le type même du petit hypocrite, et Pagnol nous en fait un portrait détestable et caricatural. Jean-Yves Mathé joue très bien le petit pêcheur qui décrit au ralenti (au grand énervement de tout le monde) comment il a découvert Aurélie toute nue dans les bois! Tableau « pastoral » qui porte le coup de grâce au pauvre mari. Le metteur en scène Pierre-Antoine Lafon- Simard montre qu’il sait diriger ses seize comédiens sur le petit espace du Théâtre de l’Ile. Il a fait ressortir les moments de confrontation collective ainsi que les mouvements d’émotion intime avec beaucoup de finesse, en valorisant un jeu plus corporel que psychologique. Sans doute inspiré autant par le cinéma que par la scène, quand il fait bouger toute cette merveilleuse-et détestable- communauté.
Dans les premières scènes, il y a un excès d’orchestration physique qui écrase les émotions et transforme les personnages en marionnettes ,à tel point qu’ils sont un peu noyés dans la chorégraphie. Le metteur en scène a sans doute choisi cette manière de faire pour mettre en évidence la contraste entre le début un peu comique de la pièce et le drame qui va éclater au deuxième acte. Mais en tout cas, l’esthétique de son travail est claire, et ce jeune homme ira certainement loin.
La question de la langue a dû poser certains problèmes au départ ,puisque l’équipe de création n’a pas modifié le texte pour l’adapter au contexte québécois. Le parler français de Provence, avec ses rythmes, sa syntaxe, son accent, s’inscrit clairement dans ces dialogues écrits. D’autres références culturelles françaises persistent mais le metteur en scène a maintenu les accents locaux, français et québécois et cette manière de parler représente bien la hiérarchie sociale d’un pays rural , québécois ou non. Choix judicieux qui fonctionne pour le public d’ici. La scénographie, composée d’un panneau pliant en trois parties, parait souvent encombrante. Elle a au moins, le mérite de faciliter les multiples changements de décor.
Cette Femme du boulanger est un excellent divertissement mais aussi une observation méticuleuse de toutes les passions humaines d’une microsociété . Comme Michel Tremblay, Pagnol adore et déteste ses personnages mais cette ambivalence lui permet de mettre en scène la substance humaine et dramatique de cette œuvre que Lafon-Simard a réussi à bien capter.
Alvina Ruprecht
La Femme du boulanger,jusqu’au 18 juin au Théâtre de l’Ile, à 20h00. T: 819-595-7455