1669 Tartuffe, Louis XIV et Raphaël Lévy
1669 Tartuffe, Louis XIV et Raphaël Lévy, texte et mise en scène de Jacques Kraemer.
1669, Louis XIV intervient pour mettre un terme à ce que l’on a appelé la Cabale des dévots et autorise les les représentations de Tartuffe.. C’est aussi en septembre de la même année qu’un certain Raphaël Lévy, marchand de bestiaux de Boulay, un village des environs de Metz, se rend à cheval par un chemin de forêt pour acheter un shofar (instrument juif traditionnel de musique à vent constitué d’une corne de bélier et avec lequel l’on peut exprimer quatre sons différents) ainsi que du vin, pour célébrer le Yom Kippour, fête du nouvel an juif…
Mais, à Glatigny, un petit village situé sur la même route qu’emprunte Raphaël Lévy, un jeune femme Mangeotte Villemin s’aperçoit que son fils de trois ans , Didier Le Moyne a soudain disparu.(Décidément l’histoire bafouillera même nom ou presque, même région ou presque ,même si le meurtre du petit Grégory eut lieu plus près de Nancy que de Metz!) Et un homme affirmera qu’il a vu Raphaël Lévy porter un enfant sous son manteau.. Et donc un Juif a enlevé un enfant chrétien pour un meurtre rituel – les Juifs sont en effet supposés tuer de jeunes enfants pour prendre leur sang et de lacérer la sainte hostie pour en faire jaillir le sang! Aucune preuve, aucun indice mais le malheureux Raphaël Lévy sera vite incarcéré puis torturé avant d’être brûlé en place publique, avec l’approbation de la population locale , où la rumeur et l’antisémitisme avaient vite fait des ravages. Préfigurant, exactement trois siècles plus tard, une autre rumeur: celle d’Orléans en 1969 où l’on avait accusé des commerçant juifs de chloroformer de jeunes clientes dans la cabine d’essayage de leur boutique pour ensuite les livrer à la prostitution. Et Edgar Morin avait remarquablement analysé cette lamentable histoire.
L’Etat de Louis XIV protégeait les Juifs, mais interviendra trop tardivement pour empêcher l’exécution de Raphaël Lévy, et Louis XIV n’arrivera qu’à faire libérer quelques autres juifs de Metz qui avaient été aussi jetés en prison. Ce que raconte de façon très détaillée Pierre Brinbaum dans son livre *. Jacques Kraemer s’est emparé de cette histoire (qui sonne aussi comme une avant-première de ce que sera deux siècles et demi plus tard la trop fameuse affaire Dreyfus), mais en pratiquant un tricotage permanent de scènes . Soit une troupe contemporaine- le Théâtre du Ricochet- qui répète Tartuffe ( encore le théâtre dans le théâtre, ce qu’avait déjà fait Kraemer dans Phèdre/ Jouvet/Delbo.39:45 et Agnès 68)! On assiste donc à ces répétitions mais aussi aussi des scènes d’amourettes et de jalousie entre les jeunes premières de la troupe.
Mais Alexandre , le directeur du Théâtre du Ricochet, metteur en scène éprouve de plus en plus de difficultés à mettre en œuvre la célèbre comédie de Molière. Par ailleurs, deux jeunes acteurs conçoivent alors l’idée de recréer cette affaire Raphaël Lévy et vont commencer à en répéter quelques scènes. Et c’est parti pour deux heures, plus que pesantes, d’une équation que Kraemer a mise en place, sans jamais arriver à la résoudre.En effet, l’histoire de Raphaël Lévy aurait dû commencée à être mise en scène dès le début et non à la fin, comme un petit gâteau qu’on offre avec avarice au public, alors que cela devrait être l’essentiel du spectacle.
Au lieu de cela, Kraemer auteur bavarde , n’arrive pas à construire son spectacle, et se lance dans des divagations sur la difficulté à faire du théâtre aujourd’hui. Ce plaidoyer pro domo est un peu pénible et nous avions envie de lui dire : aide toi, le Ciel t’aidera. D’autant que le scénario de la pièce fondée sur le thème du théâtre dans le théâtre est plutôt du genre laborieux: Kraemer imagine que le metteur en scène intervient d’abord dans la salle, et pour ajouter un peu de distanciation brechtienne, quelques acteurs attendent sur des chaises côté jardin, et pour faire, cette fois, contemporain et branché, le visage de certains personnage est retransmis sur grand écran… Tous aux abris!
Comment quelqu’un de ses proches n’a-t-il pas osé dire à Kraemer que c’était vraiment du vieux théâtre et qu’il était urgentissime de renoncer à cette dramaturgie et à ces stérétotypes usés jusqu’à la corde! Essayons de dire clairement les choses, le théâtre dans le théâtre: Kraemer qui semble s’être fait plaisir, devrait être conscient qu’on s’en fout, et que le public qui, s’il ne connaît pas Tartuffe, ne peut pas s’y retrouver.
De plus, Kraemer semble régler quelques comptes personnels avec l’institution culturelle, ce qui n’est pas vraiment d’un grand intérêt; quant à ces amourettes, en quoi pourraient-elles nous concerner? Cela ressemble aux plus mauvaises séries télé et on n’y croit pas une seconde! Qu’est-ce qu’un bon film, disait Hitchcock? D’abord un bon scénario, ensuite un bon scénario et encore un bon scénario! Ce qui, on l’aura compris, fait ici défaut , autant qu’un vrai dialogue de qualité.
Et c’est d’autant plus frustrant que Kraemer sait bien diriger ses onze comédiens, dont, entre autres , les excellents François Clavier (qui joue Alexandre le metteur en scène), Coco Felgeirolles, Mathias Maréchal et Emmanuelle Meyssignac qui, malheureusement, n’ont pas beaucoup de grain à moudre ni de vrais personnages à défendre. La machine théâtrale tourne à vide!
Peut-on sauver quand même quelque chose de ce spectacle? Oui: une courte scène-très belle et très simple- du procès de Raphaël Lévy qui fait penser à du théâtre de tréteaux et qui aurait pu être signée Ariane Mnouckine dans 1789, et une autre scène aussi courte où Louis XIV, sur fond de tissu doré, maquillé et vêtu de blanc et emperruqué, intervient, à l’extrême fin du spectacle, majestueux comme une statue, pour fournir un financement et éviter ainsi la mise en faillite du Théâtre du Ricochet, tout en lui intimant l’ordre de mettre en scène à la fois Tartuffe et l’affaire Raphaël Lévy.
Là, nous sommes enfin dans du vrai et bon théâtre…C’est drôle, c’est juste , et ce clin d’œil à la fin du Tartuffe ne manque ni de finesse ni de beauté, mais il aura fallu auparavant subir quelque deux heures d’ennui…
Spectacle vivant et sensible, dit cependant notre consœur-et néanmoins amie- Véronique Hotte dans La Terrasse.Nous n’avons pas dû voir tout à fait le même!
Philippe du Vignal
Salle des Fêtes de Mainvilliers, tout près de Chartres, jusqu’au 21 mai.
T: O2- 37- 28-28- 20
* Pierre Brinbaum: Un récit de « meurtre rituel » au Grand siècle- L’affaire Raphaël Lévy 1669 (Editions Fayard, 2008)