Les Eaux d’ombre

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Les Eaux d’ombre, fable théâtrale, musicale et chorégraphique d’après William Butler Yeats, traduction, adaptation et  mise en scène de Pierre Longuenesse

De William Butler Yeats, on sait  généralement peu de choses; pourtant ce poète et écrivain irlandais,  (1865-1939), qui fut influencé par Maëterlinck et Villiers-de L’Isle-Adam, et  qui fut un ardent défenseur du symbolisme, était aussi, comme Claudel, fasciné par le théâtre nô japonais mais aussi par l’expression chantée et chorégraphique, et à la recherche de nouvelles formes théâtrales. Il fonda  en 1904 à Dublin le fameux Abbey Theatre, qui allait devenir le Théâtre national irlandais où pourtant ni Brenda Behan ni Beckett les deux plus importants écrivains irlandais du 20 ème siècle ne furent créés… Il écrivit Les Eaux d’ombre en 90 mais remania ce texte plusieurs fois jusqu’en 1911. C’est une histoire de voyage en mer où l’épique rejoint la rêverie métaphysique, la quête de soi et l’amour absolu.
Des marins sur un bateau perdu en mer vont tuer Forgael, leur capitaine. Ils l’accusent de les entraîner vers la mort  en les ensorcelant grâce à la musique d’une harpe.  Les marins vont alors attaquer un navire apparait et tuer  son équipage. Quant à leur reine Dectora, elle  sera faite prisonnière. Mais Forgael, grâce toujours au pouvoir magique de son instrument, hypnotise les marins et Dectora succombera au charme de de Forgael Les marins, eux,  abandonneront alors leur navire en laissant les deux amants à leur aventure.
Le plateau est nu; il y a seulement  deux petits praticables,  dont l’un en longueur qui symbolise un navire avec quelques cordes suspendues. Avec comme éclairage juste quelques pinceaux lumineux.. Le texte est dit en français mais aussi parfois en anglais, en voix directe et off , par six comédiens qui vont jouer et,par moment, se faire récitants, avec un accompagnement musical ( entre autres Monteverdi et Teleman), quelques danses, du chant mais aussi deux petites marionnettes, la maquette d’un beau bateau à voiles et deux masques tenus dont l’un ressemble étonnamment au visage de F. Mitterrand. Les images  qu’a su créer Pierre Longuenessse  sont souvent d’une grande qualité, les jeunes marins avec leurs costumes de samouraïs et Dectora ont une belle présence, et la danse très lente de la fin entre Forgael et Dectora en robe rouge a quelque chose de fascinant.
Mais  l’ensemble ne fonctionne pas bien, sans doute parce que la dramaturgie de l’ensemble est souvent confuse: (trop de choses se bousculent au portillon: des morceaux de textes pas toujours audibles ou bien au contraire criés, (les quatre acteurs surjouent leurs personnages de marins oralement et gestuellement, et ne sont donc pas crédibles), et le chant comme la danse croisent le texte, sans que l’on sente une véritable unité dans le spectacle qui est quand même assez prétentieux. .

Ces Eaux d’ombre aurait demandé une dramaturgie et une direction d’acteurs plus solides: aborder Yeats dans ces conditions relevait du pari impossible. Et, malgré encore une fois la beauté de certaines images, l’on s’ennuie assez vite.
Dommage… Et même si le spectacle est indiqué comme « à partir de 12 ans », mieux vaut sans doute ne pas y emmener des collégiens!

 

Philippe Duvignal

Compagniedusamovar.com
Théâtre de l’Atalante jusqu’au 30 mai. T: 01-46-06-11


Archive pour 22 mai, 2011

LES MARONNEURS

LES MARONNEURS, TOURNÉE D’ADIEU , direction artistique Fabrice Watelet.

Cette équipe marseillaise arpente les pavés depuis 2001,” elle se cherche avec l’espoir de ne jamais se trouver”. Ces “maronneurs”, ce sont deux comédiens de rue et leur musicien, excédés par des tournées improbables et les mauvaises conditions d’accueil, qui décident de quitter le métier, révoltés par la logique animatoire des programmateurs qui refusent de prendre des risques. La belle présence des deux compères qui interpellent le public et les morceaux exécutés par leur violoncelliste font leur effet sur l’auditoire assis en tailleur dans une petite rue tranquille.
Les Rencontres d’ici et d’ailleurs offrent un cadre agréable depuis 20 ans, dans ce vieux quartier du Merlan, pour la découverte des meilleures compagnies de rue par un public mélangé. Mais les habitants de Noisy le Sec n’en  ont  pas été exclus comme dans des festivals débordés par l’invasion de compagnies off.

Edith Rappoport
www.notunes-international.org

No Tunes International, 20e RIA, Noisy le Sec (93)

 

LES BONNES

LES BONNES  de Jean Genet, mise en scène Armel Veilhan


Armel Veilhan vient de concrétiser le rêve d’un parcours surprenant,-il faut lire son roman autobiographique Un enfant dans l’hiver- en ouvrant son propre lieu, le Théâtre A, une petite salle immaculée nichée au bout de la rue du Coq français aux Lilas.
Les Bonnes sont interprétées avec vigueur par deux jeunes actrices qui jouent les humiliations imposées par la morgue et les attentions capricieuses de leur patronne, en son absence. Alternant les rôles de la maîtresse et de l’esclave, elles revêtent ses robes, se couchent dans son lit, jonchent le sol de fleurs, évoquent la dénonciation de l’amant à la police, par des lettres anonymes qu’elles ont rédigées.
Au retour de Madame désespérée par l’arrestation de son amant, elles se gardent bien de lui annoncer que celui-ci a téléphoné pour annoncer sa libération. Comblées de cadeaux d’anciens  vêtements à elle -repris aussitôt dès que Madame apprend que son amant l’attend au Bilboquet et qu’elle part en taxi le rejoindre, elles se fondent dans l’attente d’une condamnation inéluctable.
On peut  être déconcerté par l’âge de Madame en justaucorps de léopard et manteau de fourrure partie chercher son gigolo…Pour Armel Veilhan “Les Bonnes, c’est aussi les enfants que nous avons été et qui ont tous joué à se travestir. Ce travestissement, cette transformation, c’est bien la première chose que le théâtre m’ait proposé (…) L’écriture des Bonnes purge le noir théâtre de l’adolescence”. La trentaine de spectateurs entassés sur les minuscules gradins leur a fait une ovation.

Edith Rappoport

Théâtre A,   Les Lilas(93)

 

www.theatrea.fr

BRÛLER SA MAISON

BRÛLER SA MAISON d’Eugenio Barba. 

  En exergue, un poème d’Alexandre Blok souvent cité par Barba :

“Sur la route boueuse et noire
Le brouillard ne se lève pas
Un chariot grinçant transporte
Ma roulotte délavée, mon théâtre.
Brûler sa maison, est le cinquième volume consacré à l’étonnant parcours d’Eugenio Barba, à la tête de l’Odin Teatret depuis 1964, par Patrick Pezin, directeur de la collection Les voies de l’acteur. Pour ceux qui comme moi, ont eu la chance de le découvrir avec La maison du père au Théâtre de la Cité Internationale en 1971 *, puis de l’accueillir au Théâtre Paul Éluard de Choisy-le-Roi avec Cendres de Brecht en 1982, au Théâtre 71 de Malakoff en 1985 avec l’I.S.T.A., symposium international d’anthropologie théâtrale, enfin avec Talabot en 1989, c’est le témoignage passionnant d’un artiste d’une stature exceptionnelle qui a marqué son siècle à la tête du Tiers théâtre.
Eugenio Barba retrace l’épopée de l’Odin Teatret en onze chapitres très personnels sur son théâtre fondé en Norvège, puis installé à Holstebro, petite ville du Jutland danois avec ses “camarades” dont certains le suivent depuis 45 ans,” un théâtre hors normes”. “Souvent, dit-il, à l’origine d’un chemin menant à la création, il y a une blessure (…) cette blessure m’a poussé à rester proche du garçon que je fus et dont le temps m’a éloigné en me jetant dans un monde en mutation”…
Dans ces onze chapitres retraçant l’entrainement quotidien de la troupe, dès l’aube pendant toutes ces années, on peut découvrir les chemins tortueux empruntés par un chercheur acharné pour créer plus d’une vingtaine de spectacles souvent nés au terme de plusieurs années de travail, au sein du Laboratoire international du jeu de l’acteur. La maison du père, Cendres de Brecht, Come and the day will be ours, Talabot, Kaosmos, l’Évangile d’Oxyrhincus, Andersen’s dream… entre autres, ont été joués à travers le monde,  et certains ont eu les honneurs du Festival d’Automne des grandes heures, mais aucune institution ne l’a accueilli en France depuis vingt ans!
Seule Ariane Mnouchkine lui a ouvert les portes du Théâtre du Soleil voilà quatre ans . Eugenio Barba a réussi à se servir du théâtre “comme un cheval de Troie que les habitants accueilleraient en abattant leurs remparts”…  Comme Grotowski dont il avait  été l’assistant en Pologne avant de fonder l’Odin, il joue pour une élite de la sensibilité. “Je dialoguais avec des vivants qui m’étaient étrangers et avec les morts que j’aimais”…Ce parcours artistique d’un d’athlète voyageur mêle des témoignages personnels bouleversants sur son enfance et sa jeunesse à une recherche incessante et généreuse toujours vivante.
Dans sa dernière lettre à Nando Taviani, ami et conseiller de l’Odin, Eugenio Barba évoque “les maîtres fous du théâtre du XXe siècle (qui) restèrent tous près de leur origine en utilisant l’art de la fiction”. Eugenio Barba nous aide à vivre dans cette quête de son origine. Edith Rappoport

Editions de l’Entretemps Les voies de l’acteur, 278 pages www.entretemps.org


*  A l’invitation d’André-Louis Perinetti, directeur du Théâtre de la Cité internationale.

Délire à deux

Délire à deux d’Eugène Ionesco, mise en scène de Christophe Feutrier.

  img9582cmariodelcurto1024x683.jpgCette courte pièce de Ionesco avait été créée par Antoine Bourseiller au Studio des Champs-Elysées en 62 , ce qui ne nous rajeunit pas… Il y a juste deux personnages, un vieux couple: un homme et une femme qui ont déjà dix sept ans de vie commune et qui se chamaillent pour un oui ou pour un non. Par exemple, pour savoir si la tortue et le limaçon sont le même animal avec des phrases à l’emporte-pièce du genre: « Depuis dix-sept ans ,je t’écoute, dix-sept ans que tu m’as arrachée à mon mari , à mon foyer « ,  et lui répond:  » Mais cela n’a rien à voir avec la question! » ou   » Je fais des objets de plus en plus compliqués, cela simplifie l’existence. » ou encore:   » Quand j’étais petite, j’étais une enfant ».
L’homme est un peu mou, la femme  a tout d’un tyran domestique, et leurs disputes  comme les guerres civiles éclatent sans que l’on sache vraiment pourquoi…
Leur appartement est situé à la frontière de deux quartiers en plein conflit, et l’ on entend des bombes qui éclatent, puis  des morceaux de plâtre se détachent du plafond; une grenade arrive par la fenêtre, grenade que l’homme va renvoyer aussitôt  dehors et qui explosera dans la rue. Ils essayent tant bien que mal, mais le mal est plutôt dans ce cas l’ennemi du bien, ils barricadent la porte d’entrée. Cela n’empêchera pas des combattants d’entrer. Et eux  continueront allègrement à se quereller, même si, au dehors la guerre continue.
Histoire personnelle et histoire nationale se rejoignent dans l’ exaspération que l’on a de l’autre. Et quand enfin viendra  l’armistice, et quand le calme sera enfin revenu, le  conflit  se poursuivra  de plus belle entre l’homme et la femme. Histoire à  la fois terrible et pleine d’ un humour désenchanté. En quelques dialogues, Ionesco dit avec allégresse et jubilation des vérités qui font mal.

  Christophe Fautrier a choisi  de faire jouer la pièce sur  un rectangle blanc au sol. Aucun meuble, aucun accessoire, juste le bruit des déflagrations et  deux interprètes  de grande qualité -Valérie Dréville et Didier Galas- en combinaison de travail. Mais ce qui fonctionnait sans doute mieux dans l’euphorie du dernier festival d’Avignon, semble ici avoir du mal à trouver ses marques. C’est du travail bien fait, certes,  millimétré dans le temps et dans l’espace, mais l’on décroche assez vite, malgré la belle énergie des deux comédiens, et l’on s’ennuie. La faute à quoi? Sans aucun doute  à une  mise en scène trop sèche où la lumière est parfois bien discrète et surtout où l’on  ne sent pas assez la folie qui s’empare peu à peu de ce couple. Cela ressemble davantage à une belle démonstration.
 On comprend bien le choix de Christophe Feutrier qui  a  voulu exclure tout pittoresque mais il  y a comme une distorsion entre le texte de Ionesco qui ne se laisse pas faire et une mise en scène qui a du mal à s’imposer.  Et pourtant cela ne dure qu’une heure montre en main. Le public,lui, semble  partagé. A la fois admiratif de ce dialogue peu connu de Ionesco, et quand même pas très à l’aise devant le traitement proposé par Feutrier.
  Alors à voir? C’est selon votre humeur du jour. Si c’est l’occasion de découvrir un texte que vous ne connaissez pas, peut-être; si c’est pour voir deux grands interprètes, vous aurez sûrement  l’occasion de les voir ailleurs, et si c’est pour une soirée de plaisir théâtral, là, c’est franchement non! Le compte n’y est pas vraiment. Ionesco mérite mieux que cela.


Philippe du Vignal


Théâtre des Abbesses jusqu’au 28 mai.

 

Marcel Proust « entre intimité et mondanités »

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Marcel Proust « entre intimité et mondanités »

 

Près des jardins où jouait Marcel Proust enfant,  une lecture des extraits de sa correspondance et de passages d’ À la recherche du temps perdu.Et de lettres de Marcel Proust à sa mère, à ses nombreux amis, à des artistes et écrivains de son époque. Cette lecture nous permettra de découvrir un Marcel Proust sans masque, authentique et sincère, mais aussi un parfait mondain, portraitiste d’une grande intelligence et d’un immense humour. Avec Bernadette Lafont, Claire Nebout, Michel Fau et Xavier Gallais

Espace Pierre Cardin ddimanche 29 mai à 19h30.Entrée libre mais réservation indispensable aux éditions Thélème: reservation@editionstheleme.com ou T:  01 43 29 09 64. 

Vineta, la république des utopies

Vineta, la république des utopies, de Moritz Rinke, mise en scène Lisa Wurmser.

  vineta.jpgSur un plateau, le parc à thème de l’île baptisée Vineta nous offre la réjouissante réunion de l’utopie et de l’efficacité, théâtre inclus : un inégalable « musée des rêves » confié aux mains ô combien technocratique d’une bande de Top-dogs, comme aurait dit le dramaturge helvétique Urs Widmer. Le dangereux Leonhard ( Michel Hermon) est à la tête de ce projet pharaonique, quelque part dans une île de la mer du Nord, ancien lieu de repos pour officiers nazis puis club de vacances pour socialistes réels méritants. Sous la douce autorité de sa pulpeusissime secrétaire ( Fannie Outero, un vrai bonbon) sont donc réunis : un DRH cueilleur de tournesols (Jean Lescot), un élu local complexé et ambitieux, ce qui produit un gaffeur (Pierre Poirot), un jeune architecte berlinois (Stéphane Mercoyrol), un ingénieur-béton, mais alors très béton ( Guillaume Fafiotte), un capitaine armateur, puisque c’est un île (Jean-Louis Cordina), puis sa femme, qui, elle, a les pieds sur terre (Camille Granville), et enfin, et avant tout, un énervé de la statistique et des sigles, vu que les mots, c’est toujours trop long (Jacques Verzier).
Dans ce monde en principe très bien rangé des séminaires de hauts dirigeants, de menus désordres se glissent : il pleut sur le lit de l’un, l’autre est en retard. La ME (marge d’erreur) est mal calculée, et le FH (facteur humain) se met à faséyer (consulter le TLF : ce verbe existe, et il est pertinent). Puis cela s’amplifie, le bateau portant la statue monumentale de Lénine, pièce majeure du futur musée, sombre, ou ne sombre pas. Des fantômes se mettent à hanter les lieux ; et si tout cela n’était qu’une mise en scène, à laquelle échappe, on se demande vraiment pourquoi, le GP (grand patron) ? Comment savoir ?
On rit, on palpite, on s’effare. Et pourtant ce monde absurde et extravagant ressemble terriblement à des mondes que l’on connaît, et aux folies du « management » : jeux de rôles ou jeux pas si drôles des « séminaires de motivation », humiliations raffinées envers les cadres « placardés » et autres sévices infligés au personnel par une direction obsédée par la performance et le chiffre. Lisa Wurmser projette même le très sérieux schéma donné dans les grandes entreprises à fort taux de suicides aux DRH dociles afin qu’ils accompagnent jusqu’à la sortie la chute programmée des réprouvés.
Du coup on se demande, ou l’on ne se le demande plus, de quel côté est l’absurde : dans les tours de la Défense, ou au théâtre ? La scène a cette supériorité de faire naître le rire et l’émotion. Là-desssus, on peut faire confiance aux comédiens : dans le « juste un peu trop » – mais leur fiction aurait du mal à égaler la réalité -, ils excellent, avec en plus ce petit quelque chose de très précieux pour la pensée, qui s’appelle la poésie. Lisa Wurmser s’est battue des mois pour que cette pièce  puisse exister sur scène ; elle a embarqué sur l’ île toute son équipe avec  l’élan de cette bataille, et c’est une  réussite.

 

 

 

Christine Friedel

 

Théâtre de la Tempête – 01 43 28 36 36 – jusqu’au 29 mai

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