Délire à deux
Délire à deux d’Eugène Ionesco, mise en scène de Christophe Feutrier.
Cette courte pièce de Ionesco avait été créée par Antoine Bourseiller au Studio des Champs-Elysées en 62 , ce qui ne nous rajeunit pas… Il y a juste deux personnages, un vieux couple: un homme et une femme qui ont déjà dix sept ans de vie commune et qui se chamaillent pour un oui ou pour un non. Par exemple, pour savoir si la tortue et le limaçon sont le même animal avec des phrases à l’emporte-pièce du genre: « Depuis dix-sept ans ,je t’écoute, dix-sept ans que tu m’as arrachée à mon mari , à mon foyer « , et lui répond: » Mais cela n’a rien à voir avec la question! » ou » Je fais des objets de plus en plus compliqués, cela simplifie l’existence. » ou encore: » Quand j’étais petite, j’étais une enfant ».
L’homme est un peu mou, la femme a tout d’un tyran domestique, et leurs disputes comme les guerres civiles éclatent sans que l’on sache vraiment pourquoi…Leur appartement est situé à la frontière de deux quartiers en plein conflit, et l’ on entend des bombes qui éclatent, puis des morceaux de plâtre se détachent du plafond; une grenade arrive par la fenêtre, grenade que l’homme va renvoyer aussitôt dehors et qui explosera dans la rue. Ils essayent tant bien que mal, mais le mal est plutôt dans ce cas l’ennemi du bien, ils barricadent la porte d’entrée. Cela n’empêchera pas des combattants d’entrer. Et eux continueront allègrement à se quereller, même si, au dehors la guerre continue.
Histoire personnelle et histoire nationale se rejoignent dans l’ exaspération que l’on a de l’autre. Et quand enfin viendra l’armistice, et quand le calme sera enfin revenu, le conflit se poursuivra de plus belle entre l’homme et la femme. Histoire à la fois terrible et pleine d’ un humour désenchanté. En quelques dialogues, Ionesco dit avec allégresse et jubilation des vérités qui font mal.
Christophe Fautrier a choisi de faire jouer la pièce sur un rectangle blanc au sol. Aucun meuble, aucun accessoire, juste le bruit des déflagrations et deux interprètes de grande qualité -Valérie Dréville et Didier Galas- en combinaison de travail. Mais ce qui fonctionnait sans doute mieux dans l’euphorie du dernier festival d’Avignon, semble ici avoir du mal à trouver ses marques. C’est du travail bien fait, certes, millimétré dans le temps et dans l’espace, mais l’on décroche assez vite, malgré la belle énergie des deux comédiens, et l’on s’ennuie. La faute à quoi? Sans aucun doute à une mise en scène trop sèche où la lumière est parfois bien discrète et surtout où l’on ne sent pas assez la folie qui s’empare peu à peu de ce couple. Cela ressemble davantage à une belle démonstration.
On comprend bien le choix de Christophe Feutrier qui a voulu exclure tout pittoresque mais il y a comme une distorsion entre le texte de Ionesco qui ne se laisse pas faire et une mise en scène qui a du mal à s’imposer. Et pourtant cela ne dure qu’une heure montre en main. Le public,lui, semble partagé. A la fois admiratif de ce dialogue peu connu de Ionesco, et quand même pas très à l’aise devant le traitement proposé par Feutrier.
Alors à voir? C’est selon votre humeur du jour. Si c’est l’occasion de découvrir un texte que vous ne connaissez pas, peut-être; si c’est pour voir deux grands interprètes, vous aurez sûrement l’occasion de les voir ailleurs, et si c’est pour une soirée de plaisir théâtral, là, c’est franchement non! Le compte n’y est pas vraiment. Ionesco mérite mieux que cela.
Philippe du Vignal
Théâtre des Abbesses jusqu’au 28 mai.