Le récit de la servante Zerline d’ Hermann Broch, traduction et adaptation de Marion Bernède, mise en scène d’Yves Beaunesne.
Un monologue tiré d’un récit d’Hermann Broch (1886-1951), Les Irresponsables. Quand les nazis annexèrent l’Autriche en 38, cet intellectuel juif engagé fut arrêté puis jeté en prison. Mais, grâce à l’intervention entre autres d’Adlous Huxley et de James Joyce, il put s’enfuir aux Etats-Unis où il enseigna à Yale et à Princeton.
C’est à lui que l’on doit le concept d’ « apocalypse joyeuse » par lequel il désignait l’état de son pays dont les habitants semblaient avoir perdu le sens des vraies valeurs, à la fois sociales, politiques et religieuses, en particulier chez les gens les plus cultivés. Ce qui, selon lui, avait tout droit conduit au nazisme. Comme chez Andréas, un homme qui loue une pauvre chambre où il se repose quand Zerline arrive.
Elle va, comme on dit, vider son sac et se libérer, grâce à la parole, de tout ce qu’elle a enduré en servant une baronne depuis trente ans… dans une petite ville allemande. Cette baronne, mariée à un président de Cour d’Assises, a eu pour amant un certain von Juna (qui lui fera un enfant) et dont Zerline a aussi été la maîtresse . Elle dit donc simplement ses amours avec von Juna dans un pavillon de chasse, ses désirs inassouvis, regrets, relations difficiles avec les hommes, y compris avec le Président dont elle aurait bien aimé être l’amante.
Un texte impitoyable dont Yves Beaunesne dit qu’il est fait pour des comédiens qui « doivent accorder une confiance absolue aux mots qu’ils ont à faire vivre ». Il avait été mis en scène de façon remarquable par le grand Klaus-Michaël Gruber en 86 avec Jeanne Moreau mais Yves Beaunesne en a réalisé une mise en scène qui laisse sceptique. On entend en effet difficilement ce que dit Marilu Marini et ce n’est pas l’acoustique de l’Athénée qui est ici en cause. Et si les éclairages de Joël Hourbeigt sont très beaux, la scène est presque constamment plongée dans la pénombre: on décroche donc assez vite…
Dommage pour le texte d’Hermann Broch, dommage aussi pour la grande Marilu Marini qui aurait dû être mieux dirigée. Et, comme le public n’est guère envahissant, cela n’aide sans doute pas les choses, même si Brice Cousin ( Andréas) a une belle présence.
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Athénée, square Louis Jouvet, Paris (VIII ème) jusqu’au 28 mai.