Festival Passages de Nancy à Metz

 

 Festival Passages

 

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   Cette année, le festival Passages a quitté Nancy pour installer, place de la République à Metz, des balagany, chapiteaux en forme de baraques de foire – comme cette  « Tour vagabonde », qui tient à la fois de l’entresort et du Théâtre du Globe en miniature… L’exposition de plusieurs dizaines de photos grand format (3m sur 1m) d’Igor Gaïdaï balise les allées qui mènent aux chapiteaux. Gaïdaï a photographié son Ukraine, cherchant à la saisir en regroupant chaque fois devant son objectif des centaines de personnes bien rangées, alignées – dans une usine, un ministère, ou le long de tables de banquet… Ces photos, traces des performances immobiles qu’il a réalisées et photographiées après des convocations collectives, donnent à voir, non des masses mais, à travers « l’ensemble », des milliers de sujets-regards bien distincts (Razom.ia, titre de l’exposition), et ceux-ci peuplent d’emblée de leur présence d’acteurs-spectateurs l’espace théâtral éphémère dressé sur la place Messine.

Passage 2011. Festival à l’Est de l’Europe et ailleurs. Le week-end des 14-15 mai était ukrainien. Le Théâtre Dakh de Kiev avait investi le Chapiteau et la Tour vagabonde pour des spectacles étranges, dont aucun ne ressemble à un autre, avec pour seul lien la manière sans contrainte dont témoigne son metteur en scène, Vlad Troïtskyi , dans sa façon de traiter ses sources, qu’il s’agisse de Pirandello, Shakespeare ou Sophocle, et l’intervention de la musique. Après une formation scientifique à Kiev, Troïtskyi a complété – il y a longtemps – ses études au GITIS de Moscou, l’Institut des Arts de la scène, et dirige aujourd’hui à Kiev un minuscule théâtre privé – quarante à soixante places si on se tasse bien- qui a débuté sur un toit ( d’où son nom, Dakh), donc en plein air , ou mieux, comme il le dit lui-même, à l’air libre. Ce théâtre-là est synonyme de liberté et de résistance, comme, dans un autre registre, la Stalla (l’Ecurie) de I. Progrebnitchko à Moscou (cf. l’article sur le site completer ). De prise de risque  aussi : Vlad Troïskyi organise depuis 2008 dans les vastes espaces de l’Arsenal de Kiev un Festival d’art contemporain le GogolFest, du nom du grand auteur russe d’origine ukrainienne qui inspira tant les avant-gardes. Il n’aura pas lieu cette année, faute d’argent.
Son Oedipe, Troïtsky l’a d’abord monté avec sa jeune troupe, en plein air, pour 2000 spectateurs, puis il l’a fait entrer dans son minuscule espace, il l’a alors doté d’un dispositif grillagé métallique, puis il a commandé une pièce à l’auteur-metteur en scène Klim, et elle est devenue la première partie du spectacle confiné dans cet espace.

Il est comme cela, Vlad, il sait faire bouger un spectacle, l’adapter aux lieux qu’on lui donne : il est capable de construire sur place le dispositif des représentations messines de D’après Pirandello avec les draps des chambres d’hôtel de sa troupe. Il a aussi créé un groupe musical, le Dakhabrakha, présent à Passages, dont la musique peut s’apparenter aux bandes-son des films d’Emir Kusturica, sauf qu’ici, l’un des pôles d’inspiration des œuvres métissées est la tradition ukrainienne.

Presque une pièce, presque Pirandello. Une danse de mort-Réanimation : long titre pour un spectacle court. Vlad y réussit le tour de force de mettre ensemble- pour évoquer, de loin, Pirandello- mais aussi Kantor et Grotowski : les chants choraux aux sonorités anciennes de l’un, les visions en noir et blanc de l’autre La troupe s’active en scène à des actions du quotidien, faire une soupe, manger, boire, laver et étendre le linge ; en même temps elle veille une morte qui se met à fumer, célèbre un mariage , enterre toute vivante une femme enceinte, se déplace sur d’étranges machines. Bref rappel, à travers visions et chants, du fait que la mort est le seul avenir de la vie.
Plus cruelle encore, Oedipe-La Maison des chiens, où, grâce au dispositif de la Tour vagabonde, le public regarde à ses pieds, sous la grille venue d‘Ukraine, des prisonniers à l’échine courbée1 ; d’en bas des phrases fusent – proverbe ukrainien : « Plus on est nombreux, moins il y a d’oxygène », ou réplique de zeks, prisonniers des camps soviétiques, sur l’impossible liberté. Il y a même un dissident qui, lui, se trouve dans une cage ronde mais sans grille supérieure, et qui pourrait bien s’enfuir, mais qui est nourri à la cuiller de la soupe au pain préparée sous nos yeux, au sens propre… Image terrible de la condition soviétique d’hier, ukrainienne d’aujourd’hui et humaine de toujours, que renforce à la fin le fracas de planches plaquées avec violence sur la grille par trois acteurs, étouffant sans pitié les tristes créatures survivantes.On songe à Acropolis, d’après Wyspianki, que Grotowski avait réalisé  en 1962.
Après l’entracte, les spectateurs sont cette fois installés sous la grille. Le spectacle est d’un tout autre genre : un rituel autour d’Œdipe, ponctué de chants étranges et de musique produites par des instruments à cordes, éclairé par les lampes de poche que portent les acteurs, se déroule au-dessus du public qui est, comme Œdipe aveuglé, presque dans le noir. La même fin se répète, mais ce sont maintenant les spectateurs qu’on enferme sous les planches qui claquent. Quand les acteurs installaient ces planches au-dessus d’eux , quelqu’un ce soir-là s’est mis à crier « On ne va pas se laisser enfermer » , et à repousser les planches à travers le grillage (ce qui, apparemment ne s’était jamais produit ni en Ukraine, ni en Russie).
Du deuxième balcon de la Tour où avaient été placés les spectateurs sur la liste d’attente (la jauge est très petite), d’autres criaient « Libérez nos camarades ! ». Sans doute la spontanéité de ces réactions est-elle relative, suscitée par quelqu’un de la troupe ou proche d’elle. Le chant qui a suivi faisait suite à une interpellation : « Qui êtes-vous ? Chantez une chanson que vous connaissez  ». Le public messin a rejeté La Marseillaise lancée par quelques uns pour entonner L’Internationale. En Ukraine, généralement, on chante,  à cet endroit du spectacle, l’hymne national. A Moscou les spectateurs russes au Festival du Masque d’or 2011 n’ont pu retrouver quel était leur hymne et chacun y allait de sa chanson… A Metz, les spectateurs enfermés avaient donc choisi L’Internationale…
Bien différent est, dans le programme de Passages, Tagfish2, composé par le groupe Berlin venu d’Anvers. Un cheikh saoudien convoite une immense friche industrielle minière de la Ruhr, classée par l ‘Unesco, pour sa taille et son importance historique, au patrimoine mondial de l’humanité, pour en faire un « village créatif » avec hôtel de luxe, école d’art, distractions. Ce projet du Zollverein a connu de 2002 à 2008 de nombreuses vicissitudes et n’a pas abouti . A partir d’entretiens vidéo réalisés avec les différents interlocuteurs du projet (architecte journaliste, médiateur, urbaniste , négociateur…), le groupe Berlin organise une sorte de vidéo-conférence qui n’a jamais eu lieu dans la réalité en rassemblant sur un plateau rouge vif tous ses participants , faisant ressortir dans cette confrontation télé-théâtrale de 7 personnages en quête d’actions – dont un absent (le cheikh)- l’absurdité tragi-comique du projet culturo-immobilier. Le montage particulièrement soigné sert une dramaturgie au cordeau et le réalisme des dialogues adressés. Les bustes des interviewés sont projetés non sur des écrans ou sur des moniteurs, mais à même les dossiers de grandes chaises disposées autour d’une table ovale. Sur ces sièges truqués par les technologies, véritables machines à jouer avec les images, celles-ci deviennent vivantes, se parlent entre elles , interagissent avec deux hôtes d’accueil qui sont aussi serviteurs de la scène et techniciens du spectacle.
Tagfish
fait partie d’une série qui s’intitule Horror vacui. Profitant de l’espace laissé vide tant par l’arrêt de l’exploitation du charbon que par la rupture des négociations, une fantomatique chorale de mineurs filmée en costumes de fête envahit périodiquement le terrain vague de la friche projetée par fragments sur les 7 dossiers qui en donnent une vue globale, et finit par grimper et s’installer sur les chaises laissées vides, dans une ultime image fantastique d’un passé qui ne se laisse pas enterrer – réaffecter- aussi vite que prévu… Le spectacle se donne dans l’auditorium du Centre Pompidou de Metz . Il serait aussi à sa place dans un balagan de la place de la République, ludique et dénonciateur, jouant avec les images comme on jouait le cinéma dans les baraques foraines à l’orée du XXème siècle.
Nous n’avons  pas eu le temps de voir ce que tramaient les frères Forman dans leur baraque venue de Prague, mais elle s’arrêtera bientôt à Paris …

Béatrice  Picon-Vallin

1 A Kiev , les spectateurs sont installés sur la grille .

 2 Terme de poker: il s’agit d’un joueur qui ne prend pas de risques .

 


Archive pour mai, 2011

1669 Tartuffe, Louis XIV et Raphaël Lévy

1669 Tartuffe, Louis XIV et Raphaël Lévy, texte et mise en scène de Jacques Kraemer. 

 

    arton.jpg1669, Louis XIV intervient pour mettre un terme à  ce que l’on a appelé la Cabale des dévots et autorise les les représentations de Tartuffe.. C’est aussi en septembre de la même année qu’un certain Raphaël Lévy, marchand de bestiaux de Boulay, un  village des environs de Metz, se rend à cheval par un chemin de forêt pour acheter un shofar (instrument juif traditionnel de musique à vent constitué d’une corne de bélier et avec lequel l’on peut exprimer quatre sons différents) ainsi que du vin,  pour célébrer le Yom Kippour, fête du nouvel an juif…
Mais, à Glatigny,  un petit village situé sur la même route qu’emprunte Raphaël Lévy, un jeune  femme Mangeotte Villemin s’aperçoit que son fils de trois ans , Didier Le Moyne a soudain disparu.(Décidément l’histoire bafouillera  même nom ou presque, même région ou presque ,même si le meurtre du petit Grégory eut lieu plus près de Nancy que de Metz!) Et un homme affirmera qu’il a vu Raphaël Lévy porter un enfant sous son manteau.. Et donc un Juif a enlevé un enfant chrétien pour un meurtre rituel – les Juifs sont en effet supposés tuer de jeunes enfants pour prendre leur sang et de lacérer la sainte hostie pour en faire jaillir le sang! Aucune preuve, aucun indice mais le malheureux Raphaël Lévy sera vite incarcéré puis torturé avant d’être brûlé en place publique, avec l’approbation de la population locale , où  la rumeur et l’antisémitisme avaient  vite fait des ravages. Préfigurant, exactement trois siècles plus tard, une autre  rumeur: celle d’Orléans en 1969 où l’on avait accusé des commerçant juifs  de chloroformer de jeunes  clientes dans la cabine d’essayage de leur boutique pour ensuite les livrer à la prostitution. Et Edgar Morin avait remarquablement analysé cette lamentable histoire.
L’Etat de Louis XIV  protégeait les Juifs, mais interviendra trop tardivement pour empêcher l’exécution de Raphaël Lévy,  et Louis XIV  n’arrivera qu’à faire libérer quelques autres juifs de Metz  qui avaient été aussi jetés en prison. Ce que raconte de façon très détaillée Pierre Brinbaum dans son livre *. Jacques Kraemer s’est emparé de cette histoire (qui sonne aussi comme une avant-première de ce que sera deux siècles et demi plus tard la trop fameuse affaire Dreyfus), mais en pratiquant un tricotage permanent de scènes . Soit  une troupe contemporaine- le Théâtre du Ricochet- qui répète Tartuffe ( encore le théâtre dans le théâtre, ce qu’avait déjà fait Kraemer dans Phèdre/ Jouvet/Delbo.39:45 et Agnès 68)!  On assiste donc à ces  répétitions mais aussi aussi des scènes d’amourettes et de jalousie entre les jeunes premières de la troupe.
Mais Alexandre , le directeur  du Théâtre du Ricochet, metteur en scène éprouve de plus en plus de difficultés à  mettre en œuvre la célèbre comédie de Molière. Par ailleurs, deux jeunes acteurs conçoivent alors l’idée de recréer  cette affaire Raphaël Lévy  et  vont commencer à en répéter quelques scènes. Et c’est parti pour deux heures,  plus que pesantes, d’une équation que Kraemer a mise en place, sans jamais arriver à la résoudre.En effet, l’histoire de Raphaël Lévy aurait dû commencée à être mise en scène dès le début et non à la fin, comme un petit gâteau qu’on offre avec avarice au public, alors que cela devrait être l’essentiel du spectacle.
Au lieu de cela, Kraemer auteur bavarde , n’arrive pas à construire son spectacle, et se lance dans des divagations sur la difficulté à faire du théâtre aujourd’hui. Ce plaidoyer pro domo est un peu pénible  et nous avions envie de lui dire : aide toi, le Ciel t’aidera.  D’autant que le scénario de la pièce fondée sur le thème du théâtre dans le théâtre est plutôt du genre laborieux: Kraemer imagine que  le metteur en scène intervient d’abord dans  la salle, et pour  ajouter un peu de distanciation brechtienne, quelques acteurs attendent sur des chaises côté jardin, et pour faire, cette fois, contemporain et branché, le visage  de certains personnage est retransmis sur grand écran… Tous aux abris!
Comment quelqu’un de ses proches  n’a-t-il pas osé dire à Kraemer  que c’était vraiment du vieux théâtre et qu’il était urgentissime de renoncer à  cette  dramaturgie et  à  ces stérétotypes usés jusqu’à la corde! Essayons de dire clairement les choses, le théâtre dans le théâtre: Kraemer  qui semble s’être fait plaisir, devrait être conscient qu’on s’en fout, et que le public qui, s’il ne connaît pas Tartuffe, ne peut pas s’y retrouver.
De plus, Kraemer semble régler quelques comptes personnels avec l’institution culturelle, ce qui n’est pas vraiment d’un grand intérêt; quant à ces amourettes, en quoi pourraient-elles  nous concerner? Cela ressemble aux plus mauvaises séries télé et on n’y croit pas une seconde! Qu’est-ce qu’un bon film, disait Hitchcock? D’abord  un bon scénario, ensuite un bon scénario et encore un bon scénario! Ce qui, on l’aura compris,  fait ici défaut , autant qu’un vrai dialogue de qualité.
Et c’est d’autant plus frustrant que  Kraemer sait bien diriger ses onze comédiens, dont, entre autres , les excellents  François Clavier (qui joue Alexandre le metteur en scène), Coco Felgeirolles, Mathias Maréchal et Emmanuelle Meyssignac qui, malheureusement, n’ont pas beaucoup de grain à moudre ni de  vrais personnages à défendre. La machine théâtrale tourne à vide!
Peut-on sauver quand même quelque chose de ce spectacle? Oui: une  courte scène-très belle et très simple- du procès de Raphaël Lévy qui fait penser à du théâtre de tréteaux et qui aurait pu être signée Ariane Mnouckine dans 1789, et une autre scène  aussi courte où Louis XIV, sur fond de tissu doré, maquillé et  vêtu de blanc et emperruqué, intervient, à l’extrême fin du spectacle, majestueux comme une statue, pour fournir un financement  et éviter ainsi la mise en faillite du Théâtre du Ricochet, tout en lui intimant l’ordre de mettre en scène à la fois Tartuffe et l’affaire Raphaël Lévy.
Là, nous sommes enfin dans du vrai et bon théâtre…C’est drôle, c’est juste , et ce clin d’œil à la fin du Tartuffe ne manque ni de finesse ni de beauté, mais il aura fallu auparavant subir quelque deux heures d’ennui…
Spectacle vivant et sensible, dit cependant notre  consœur-et néanmoins amie- Véronique Hotte dans La Terrasse.Nous n’avons pas dû voir tout à fait le même! 

 


Philippe du Vignal

Salle des Fêtes de Mainvilliers,  tout près de Chartres, jusqu’au 21 mai.

T: O2- 37- 28-28- 20

* Pierre Brinbaum: Un récit de « meurtre rituel » au Grand siècle- L’affaire Raphaël Lévy 1669  (Editions Fayard, 2008)

La femme du boulanger

La Femme du boulanger de Marcel Pagnol, mise en scène de Pierre Antoine Lafon Simard

635375.jpgLa Femme du boulanger présentée au  Théâtre de l’île à Gatineau, Québec,  est  inspirée d’un récit de Jean Giono, filmée et ensuite  adaptée à la scène par Marcel  Pagnol qui se situe en Provence. Comme  Jean de Florette ou  Manon des Sources, la femme du boulanger  est un de ces personnages « troubles » qui rompt avec les conventions du milieu rural, qui arrive de l’extérieur pour semer la zizanie dans la communauté de ce  petit monde campagnard  où les liens affectifs  sont étroits, où les gens se méfient des étrangers et où la cruauté se manifeste autant que la générosité
Aimable Castanier, le nouveau boulanger du village suscite l’envie de tous les hommes. Sa jeune et belle épouse Aurélie fait rêver maris et célibataires. Le jour où le berger Dominique  jette un regard sur la jeune femme , c’est un coup de foudre partagé. Aimable  est tellement aveugle  qu’il n’entend même pas les commérages, tant et si bien qu’il ne comprend pas pourquoi  un jour, sa femme  ne rentre pas.   Lorsqu’il apprend qu’elle est partie avec Dominique, au sourire naïf et au regard un peu « simple »  Aimable tellement  bouleversé, refuse alors d’ allumer son four.  Il n’y aura plus de pain au village.  C’est la catastrophe!
Paniqués, les villageois  s’organisent pour retrouver Aurélie.  Ce n’est pas la trahison de la femme  qui les inquiète, ni les considérations morales sur l’adultère. La fugue de la jeune femme  les amuse plutôt. Non, ils sont bouleversés uniquement parce qu’ils n’auront plus leur pain quotidien, chose incompréhensible pour un Canadien …
L’œuvre commence comme une satire plutôt gentille de la vie rurale, mais devient une dénonciation assez amère de la cruauté des hommes  marqués par des traditions ancestrales.  Et même si la recherche  de la jeune femme aboutit à la réconciliation entre les habitants souvent empêtrés dans de vieux  conflits, familiaux,  Pagnol ne pardonne pas la manière dont les villageois semblent indifférents aux souffrances du mari trompé. .  Jean-Pierre Beauquier  incarne parfaitement le désespoir du  boulanger qui a perdu son épouse adorée.  Son corps courbé, ses yeux cernés, son regard un peu fuyant traduisent sa douleur avec beaucoup de discrétion,  et   l’acteur .évite  le mélodrame ou la sensiblerie exagérée.  André St Onge, (Antonin le voisin  bûcheron),  robuste  et près de la terre,  incarne l’esprit de cette  population, enracinée dans son territoire, accaparée par ses besoins les plus primaires,  ses bêtes, ses femmes et les petits conflits avec le voisinage. Le curé (Patrick Potvin), est le type même du petit hypocrite, et  Pagnol nous en fait un portrait détestable et caricatural.   Jean-Yves Mathé joue très bien le petit pêcheur qui décrit au ralenti (au grand énervement de tout le monde)  comment il a découvert  Aurélie toute nue dans les bois!  Tableau « pastoral »  qui porte le  coup de grâce au pauvre mari.    Le  metteur en scène Pierre-Antoine Lafon- Simard  montre qu’il sait  diriger ses seize comédiens sur  le petit espace du Théâtre de l’Ile.  Il a fait ressortir les moments de confrontation collective ainsi que  les  mouvements d’émotion  intime avec beaucoup de  finesse, en valorisant un jeu  plus corporel que psychologique. Sans doute inspiré autant par le cinéma que par la scène, quand il  fait bouger toute cette merveilleuse-et détestable- communauté.
Dans les premières scènes,  il y  a un excès d’orchestration physique qui écrase les émotions et  transforme les personnages en marionnettes ,à tel point qu’ils sont un peu noyés dans la chorégraphie. Le metteur en scène a sans doute choisi cette manière de faire pour  mettre en évidence la contraste entre le début un peu comique de la pièce et le drame qui va  éclater au  deuxième acte. Mais  en tout cas,  l’esthétique de son  travail est  claire, et  ce jeune homme  ira certainement  loin.

La question de la  langue a dû poser certains problèmes au départ ,puisque l’équipe de création n’a pas  modifié le texte  pour l’adapter au contexte québécois. Le parler  français de Provence, avec ses rythmes, sa syntaxe, son accent, s’inscrit clairement dans ces dialogues écrits.  D’autres références culturelles françaises persistent mais le metteur en scène  a maintenu les accents locaux, français et québécois et cette manière de parler représente bien la  hiérarchie sociale d’un pays  rural , québécois ou non. Choix judicieux qui fonctionne pour le public d’ici. La scénographie, composée d’un panneau pliant en trois parties, parait souvent   encombrante. Elle a  au moins, le mérite de faciliter les multiples  changements de décor.
Cette Femme du boulanger est un excellent divertissement mais aussi une observation méticuleuse de toutes les passions humaines d’une  microsociété . Comme Michel Tremblay, Pagnol adore et déteste ses personnages mais cette ambivalence lui permet de mettre en scène la substance humaine et dramatique de cette  œuvre que Lafon-Simard a réussi à bien capter.

Alvina Ruprecht  

La Femme du boulanger,jusqu’au 18 juin au Théâtre de l’Ile, à 20h00.  T:  819-595-7455


La présentation de saison 2011-2012 du théâtre National de Chaillot

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La saison 2011-2012 du théâtre National de Chaillot

 

    La présentation de la future saison du théâtre National de Chaillot s’est effectuée comme chaque année par une traduction simultanée en langue des signes. Mais c’est avec quatre cygnes et deux danseuses que la soirée a débuté.
Première sortie pour ces oiseaux qui ont nourri l’imaginaire de la danse depuis Tchaïkovski. Ils retrouveront la salle Jean Vilar lorsque Luc Petton présentera son spectacle « Swan » en juin pour six représentations seulement ! Comme pour le festival d’Avignon, les directeurs de structures aiment créer le besoin chez les spectateurs et ainsi en frustrer beaucoup d’autres ! 
Les coûts individuels importants de chaque représentation peuvent expliquer ces courtes durées.
Didier Deschamps, le futur directeur est intervenu seulement en fin de présentation, (il succède à Dominique Hervieu à la direction en 2012), et il a souligné au contraire son désir d’intensifier des séries plus longues de représentations et de développer des résidences d’artistes. Il a fait référence aux maîtres du passé, Jean Vilar, Antoine Vitez et Maurice Béjart, et a confirmé la poursuite du partenariat avec le centre national de la Danse et une nouvelle collaboration avec « les Etés de la danse », un festival qui accueillera en septembre Michael Baryshnikov.
Quant à José Montalvo reste , lui,  à la direction artistique du théâtre. Pour sa dernière saison, Dominique Hervieu invite les grandes figures de la danse contemporaine. Trisha Brown, qui, à 75 ans, présente « Quatre pièces » mêlant trois reprises et une création. Rosalba Torres Guerrero, du collectif des ballets C de B d’Alain Platel propose un solo, puis Koen Augustijnen du même collectif jouera avec ses danseurs « Au-delà » en avril 2012 (le visuel de cette création sert à la couverture de la plaquette de présentation de saison).
The Forsythe Compagny présente en décembre deux reprises et une création de William Forsythe. Marion Levy avec « Dans le ventre du loup » crée en janvier une histoire dansée des trois petits cochons. Russel Maliphant, chorégraphe néoclassique anglais, offre un ballet inspiré par les sculptures d’Auguste Rodin. Il faut citer aussi Hervé Robbe, Carolyn Carlson et Thomas Lebrun qui complètent cette saison, et Dominique Hervieu et José Montalvo pour la reprise d’ Orphée . Enfin, en avril,  Jean-Claude Gallotta donnera sa version personnelle du Sacre du printemps d’Igor Stravinsky.
Dans le domaine du théâtre, retour de Wajdi Mouawad, Krzysztof Warlikowski et Vincent Macaigne dont le Hamlet se jouera cet été au Festival d’Avignon. Cette présentation de saison s’est achevée par une pantomine finale un peu trop programmée (!)  : chaque spectateur avait reçu un mouchoir en papier pour faire un dernier geste d’ « au revoir » à Dominique Hervieu qui dansait sur le plateau avec sa troupe…

 

Jean Couturier         ​

Fin de partie


findepartiedesamuelbeckettdansune.jpgC’est une des pièces cultes   du théâtre du XX ème siècle, et,  disait en 1978 son auteur avec son humour glacé, celle qui lui déplaisait le moins.
Elle a été créée en français en 1957 par le grand Roger Blin au Royal Court Theatre à Londres. On l’a souvent vue montée de bien des façons , pas facile à appréhender correctement; comme le disait encore Beckett, « elle dépend surtout de la capacité à crocheter,  elle est plus inhumaine que Godot ». (…) Tout est construit sur des analogies et des répétitions ».
Dans la mesure où elle consiste surtout dans  un dialogue entre Hamm, homme d’un âge certain, aveugle et paralysé,installé en permanence dans un fauteuil monté sur un petite estrade à roulette et  son domestique Clov  qui sa haïssent mais qui sont attaché viscéralement l’un à l’autre. Hamm lui dit qu’il ne peut pas le quitter et Clov répond sèchement: « je sais. Et tu ne peux pas me suivre ». Comme dans un vieux couple , Hamm a besoin de Clov en permanence, et Clov ne peut vivre sans lui. Et Clov reconnaît que Clov l’ a fait souffrir mais avec un seul mot: si. Hamm lui confie qu’il lui a servi de père mais l’on n’en saura jamais plus! Installés dans de grosses poubelles les parents de Hamm, Nell et Nag que l’on voit émerger de court moments.. Il y a dans cette pièce aux très hauts murs gris comportant à gauche comme à droite, à trois mètres de hauteur, une seule petite fenêtre  sans croisée avec  juste un rideau  , conformément aux didascalies très précises indiquées par Beckett.
Pas ou si peu d’action physique, et Clov est le seul à se déplacer , et encore pas très loin puisqu’il va et vient depuis une cuisine, et Ham quand Clov lui fait faire un petit tour. Pas d’espace que ce curieux endroit, sinistre et glauque, absolument fermé. Clov à la fin va s’habiller dans la cuisine , comme pour partir  ni de temps vraiment défini: on sait seulement que c’est bientôt la fin de quelque chose.
La pièce commence par cette phrase emblématique: « Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir, et cette déclinaison sur le temps et sur la fin reviendra comme un leit-motiv. Et grâce à la formidable mise en scène d’Alain Françon, on n’aura jamais aussi bien entendu le texte. Légèrement différent de celui que l’on entend d’habitude ,puisqu’il s’agit d’une version révisée par Beckett lui-même et publié chez Faber and Faber en 92. Un texte que l’on croit connaître comme celui de toutes les grandes pièces et dont on redécouvre le dialogue étonnant avec ses phrases sur lé déchéance physique « Je ne peux pas m’asseoir, je ne peux pas me tenir debout  » ou ses allusions au sexe: Mais voyons! Si elle se tenait coïte, nous serions tous baisés ».Ou cette citation de Baudelaire à l’ultime fin de la pièce: »Tu réclamais le soir; il descend: le voici. » Ou enfin ces fréquents jeux sur les mots comme: « Le matin,on vous stimule, le soir on vous stupéfie ».
Bien entendu, la mise en scène d’Alain Françon, est, aussi et surtout,  fondée sur une direction d’acteurs irréprochable avec des interprètes de très haut niveau. C’est Serge Merlin, tout drapé de noir, qui joue Hamm avec beaucoup de nuances, et Jean-Quentin Châtelain qui interprète Clov, courbé en deux, le crâne rasé, tout à fait impressionnant de vérité. Quant aux « géniteurs » , comme dit Beckett, ce sont Michel Robin et Isabelle Sadoyan, toujours aussi merveilleux. Bref , tous de grands  et très solides acteurs.
Des bémols?  Oui, quelques longueurs vers la fin, et  ce serait bien si Hamm et Clov criaient  un peu moins: c’est souvent une manie du théâtre contemporain…Et l’on se demande bien pourquoi Alain Françon  a obligé Jean-Quentin Châtelain à jouer tout le temps courbé et à marcher sans cesse: c’est fatiguant et ne set vraiment pas à grand chose.
Mais à part cela, quel régal devant ce grand moment de théâtre et ce feu d’artifice de langue française… La vision de l’humanité que nous donne à voir Beckett , quand il se livre à cet exorcisme de la disparition et de la mort , n’est certes pas des plus réjouissantes , mais que Beckett, dans son  immortalité se rassure, quand il disait en 1964: « Tirons autant de rires que possible de cet horrible fatras ».  Il peut être rassuré: on rit, même si l’on rit un peu jaune…
En tout cas, malgré les réserves indiquées plus haut, à voir sans hésiter.

Philippe du Vignal

Théâtre de la Madeleine jusqu’au 17 juillet. T: 01-42-65-07-09

 

 

Le Vin de sang

Le Vin de sang, par la Compagnie Les Moires, texte et mise en scène de Jean-Philippe Oudin.

 levindesang.jpgPeu d’accessoires sur le plateau:  seules quelques caisses en bois pour litres étoilés de vin des Rochers et de bière comme on en faisait autrefois, un rideau brechtien en plastique transparent  dans le fond,  et six ampoules suspendues. C’est bien assez pour évoquer une usine d’embouteillage où travaillent quatre jeunes femmes dont, Bijou, une sorte de vedette de village assez déjantée  en talons hauts et jupe courte qui raconte volontiers sa vie aux autres, et qui se dit très amoureuse de son fiancé Raoul parti à la guerre, et avec qui elle va se marier,  dit-elle,  et avoir plein d’enfants, çà c’est sûr,  comme elle le redit souvent. Elle en est même enceinte ou fait semblant, on ne sait plus trop.
  C’est la guerre, plutôt celle 39-40, si l’on en croit les robes courtes et les talons compensés mais les filles ont des collants et  cela pourrait donc être n’importe quelle guerre où les femmes ont remplacé les hommes partis au front, et dont elles attendent une lettre ou au moins un message.  Même quand elles ne savent pas bien , ou même pas du tout lire. Elles ont chacune un sacré caractère même celle qui est un peu neu-neu mais parlent bite et couilles, et leur  langage est direct, parfois très cru:  » Tu vas te retrouver toute seule comme un vieux Tampax » , ou  » Il a tout ce qu’il faut là où il faut ». Elles mangent, travaillent et rient ensemble pour résister au désespoir, chantent Il est mort le soleil, le tube inoxydable de 1967 chantée par Nicoletta, repris ensuite par Ray Charles, et dansent parfois. Malgré les jalousies et les exclusions:  à l’intérieur même du village: « on ne la connaît pas celle-là ,dit la plus âgée, elle habite au-delà du canal ».
 Quant aux hommes on les aperçoit seulement de temps à autre, et n’ont guère le beau rôle,  l’un est visiblement handicapé mental et obsédé sexuel. Un autre revient , grièvement blessé, la tête enveloppée d’un bandage en sang. Un vieux poste de radio crachouille des messages codés, mais ce n’est pas encore le célèbre « Mon cœur caresse un espoir  » qui a annonçé le débarquement,  et les sirènes de d’usine qui  annoncent le début et la fin du travail alternent les sirènes d’alerte au son caractéristique et supérieurement angoissant  qui revient comme un leit-motiv et qui rythme les petites scènes qui se succèdent. On pense par moments à L’Atelier de Jean-Claude Grumberg et l’on est vite pris: la direction d’acteurs de Jean-Philippe Oudin est  très précise et les quatre jeunes comédiennes tout à fait remarquables: Nathalie Blanc que l’on peut voir actuellement dans Xanadu sur Arte :( derniers épisodes samedi prochain) Jennifer Bocquillon, Bénédicte Dessombs (Barbara Petit avait ici même dit beaucoup de bien d’elle dans  son Zelda à la Porte Saint-Martin, qu’elle va reprendre en Avignon) , et Adeline Mallet.
 Le spectacle qui a déjà une belle unité, résultat sans doute d’un long travail d’équipe,  est encore un peu brut de décoffrage: lumières et son encore un peu approximatifs, erreurs de mise en scène comme ces inutiles  allers-et-retours dans la salle, et dix  minutes à gagner sur la fin, ce qui ne nuirait pas à l’ensemble..
Mais tout cela devrait vite se caler .Ce serait vraiment  dommage que l’exploitation s’arrête à ces quelques représentations…


Philippe du Vignal

 

Espace Icare, 31 Bd Gambetta Issy-les Moulineaux jusqu’au 19 mai à 20 h 30.

Où le temps s’arrête et sans chaussures

Où le temps s’arrête et sans chaussures, texte et mise en scène de Milena Csergo


spectacle6.jpgLa troupe de l’éventuel Hérisson bleu nous propose une variation très personnelle sur le conte de Peter Pan de James Barrie. L’univers de l’enfance auquel ce mythe fait habituellement référence, est ici un miroir sur le monde des adultes. L’écriture de Milena Csergo s’intéresse avant tout à la famille Darling, et notamment au personnage de Wendy que l’on accompagnera de sa naissance (représentée !), jusqu’à la fin de sa vie.

Le Conteur (Milena Csergo), personnage qu’on retrouvera tout au long de l’histoire, présente le couple Darling, que l’on découvre par des images fortes : silencieux, chacun de part et d’autre du plateau, ils s’élancent l’un dans les bras de l’autre à plusieurs reprises, dans une démarche suggérant l’amour et la rencontre. Ils mettent ensuite leurs habits du dimanche face public, Monsieur Darling (Antoine Thiollier) porte notamment trois cravates. On découvre ensuite l’univers onirique de Wendy (Marion Bordessoulles qui a une belle présence), empreint de naïveté et de simplicité, et la mise en scène, avec un drap et deux chaises, un matelas ou encore son jouet préféré, une tête de cheval tenue sur un bâton, suffisent à la faire voyager.

L’humour et la fantaisie se mêlent peu à peu à des images plus noires et violentes, portées par des personnages comme la fée Clochette, incroyable Lou Chrétien (qui est aussi Madame Darling), le visage caché par sa chevelure, la voix désarticulée et dont on finit par se demander si c’est une fée ou une sorcière ! Elle s’engage dans une danse frénétique et possédante, savamment chorégraphiée, puis asperge Wendy de sa poudre magique aux beaux reflets dorés. Le monde des enfants perdus est transposé de façon tout aussi étonnante. Wendy se retrouve comme prisonnière d’un monde où l’on ne peut qu’improviser toutes sortes de jeux puis dormir, et où ses parents finissent par lui manquer. Et l’on retrouve les mêmes acteurs qui jouent les parents Darling dans le rôle des enfants perdus, empêtrés dans des habits trop larges, des chaussettes énormes, qui hissent les voiles d’un navire imaginaire grâce à des cordes disposées en avant-scène et sur lesquelles sont accrochées des dizaines de paires de chaussures qui se retrouvent ainsi suspendues dans les airs. La figure du capitaine Crochet y fait une apparition fugitive à la lumière d’une bougie, porté par la présence du Conteur. Peter Pan quant à lui (Hugo Mallon), reste tout le long un personnage mystérieux et ambigu, car s’il est souvent en mouvement, navigant entre son monde imaginaire et la réalité de Wendy, il reste la plupart du temps taiseux et réservé.

Cette belle rêverie sur le conte de Peter Pan est soutenue par l’écriture de Milena Csergo et la qualité de ses comédiens, généreux dans leurs efforts, faisant les changements de décor à vue, se frottant à la danse, à l’improvisation, et surtout défendant au mieux leur texte sous ce chapiteau à l’ acoustique difficile et que l’on sent pas toujours maîtrisée par les jeunes acteurs. Il y a quelques longueurs, mais la scène entre les parents, quand Wendy les attaque à coups d’oreillers, plumes et farine est un formidable tableau final.

La troupe de l’Eventuel hérisson bleu nous livre ici un spectacle audacieux et délirant, à l’esthétique simple et qui n’a rien à envier aux grosses cylindrées qui adaptent sans cesse ce mythe universel ici ou là.


Davi Jucá

Festival « Premiers Pas » sous chapiteau à la Cartoucherie de Vincennes, prochaine date le samedi 21 mai à 18h et selon les jours (voir programme), jusqu’au 12 juin.

PÉNÉLOPE, Ô PÉNÉLOPE

PÉNÉLOPE, Ô PÉNÉLOPE d’après Simon Abkarian, Premiers pas, Création collective, mise en scène Camille Dalloz, compagnie Le cri dévot (Montpellier).
C’est le huitième festival des troupes théâtrales, initié avec une vigueur toujours renouvelée par le dynamique Alexandre Zloto, cette fois sous chapiteau avec le soutien de toujours de la fée Ariane Mnouchkine. Sept compagnies y participent, prenant en charge à tour de rôle, l’accueil et la restauration du public, lorsqu’elles ne sont pas sur le plateau. Le mythe du retour d’Ulyssse dans son Ithaque natale après dix ans de guerre est transposé à notre époque : Pénélope est Dinah couturière dans son attente obstinée de son mari Elias, porté disparu. Elle a éloigné son fils Théos des affres de la guerre, elle continue à résister aux avances d’Ante, riche propriétaire qui la courtise. Elias revient, il rencontre son fils qui ne le reconnaît pas, mais le conduit à sa mère. Comme Pénélope, Dinah ne voit en Théos qu’un étranger…
Les huit comédiens brossent avec dextérité cette épopée fondamentale qui continue à nous troubler , mais n’évitent pas certaines maladresses en sur-jouant par instants le texte de Simon Abkarian qui avait reçu le prix du meilleur spectacle en langue française du syndicat de la critique dramatique en 2008. On prend un grand plaisir à retrouver l’actualité en démêlant les fils de cette histoire si loin, si proche de nous. Les comédiens, issus de l’université et du conservatoire de Montpellier, se sont regroupés autour de Camille Dalloz autour de projets de Masters pratiques pour monter Clandestinopolis de Mustapha Benfodil ou Que dit le cochon quand le fermier l’égorge d’Antoine Wellens.Ce groupe a rejoint en 2008 le collectif d’artistes Le cri dévot travaillant sur des œuvres sonores, photographiques ou picturales.

Edith Rappoport


18, 19 mai, 3, 4, 10, 11, 13 juin, Cartoucherie 06 61 40 04 44

http://www.dailymotion.com/video/xhql4q

UNE VIE DE RÊVE (S)

UNE VIE DE RÊVE (S)  mise en scène Bruno Boulzaguet

D’après Ma vie et un mythe moderne de Carl-Gustav Jung, musique de Jean-Christophe Feldhandler, avec John Arnold, Bruno Boulzaguet et Jean-Christophe Feldhandler aux percussions et Anne Gouraud à la contrebasse.

Bruno Boulzaguet et Jean-Christophe Feldhandler s’étaient rencontrés en 2004 aux Rencontres internationales de la Haute Corse où ils avaient monté Litaniques de Jacques Rebotier. Après plusieurs expériences communes, Mon navire sur la mer, micro-opéra pour une voix féminine pour la petite enfance à Saint- Nazaire et New-York  et Nox au festival Musique action de Vandoeuvre-lès-Nancy entre autres, ils avaient monté Misérable miracle d’après Henri Michaux présenté au Théâtre 71.
« Par le rêve,nous pénétrons dans l’être humain plus vrai, plus durable, qui plonge encore dans la pénombre de la nuit originelle où il était tout et où le Tout était en lui, au sein de la nature indifférenciée et non personnalisée. C’est de ces profondeurs où l’univers est encore unifié, que jaillit le rêve, revêtirait-il les apparences les plus puériles, les plus grotesques, les plus immorales” écrivait  Jung…Bruno Boulzaguet a parfaitement achevé son entreprise d’emporter son auditoire dans ses rêves !

Edith Rappoport

Théâtre 71 de Malakoff

Vaudou à la Fondation Cartier

Vaudou à la Fondation Cartier 

 

vaudou412.jpg C’est dans plusieurs salles un ensemble très important et exceptionnel , non pas d’ »objets » comme le dit maladroitement la plaquette mais de sculptures Vaudou issues de la collection d’Anne et Jacques Kerchache. Autodidacte, Jacques Kerchache (1942-2001), avait fait de nombreux voyages en Afrique, puis en Amérique centrale et Amérique du Sud. En particulier au Dahomey -actuel Bénin- à la fin des années 60. Et c’est à son initiative que furent créés en 2000 le très beau pavillon des Sessions du Louvre consacré aux arts d’Afrique, d’Asie et d’Océanie et le Musée des arts premiers, et il collabora plusieurs fois avec la Fondation Cartier pour des expositions thématiques. »Pour les arts primitifs, et notamment pour la vaudou, il y a Jacques Kerchache et il n’y a que lui »,  avait dit André Malraux, et ce projet d’exposition Vaudou imaginé de son vivant ne put être réalisé à cause de son décès prématuré. Cette exposition est aussi une façon de rendre hommage  à cet expert passionné.
  Il y a dans la cosmogonie de la religion vaudou encore très pratiquée au Bénin, dans le sud du Togo et du Nigéria, et en Haïti, à la suite  de la traite,  des pratiques religieuses fondés sur les liens entre le monde visible des vivants et celui invisible des disparus, avec qui on peut communiquer par des actes sacrificiels et divinatoires autour de petites sculptures, prières rituelles, et cérémonies de possession.
Comme cette étrange et très impressionnant cortège dont le participants portaient en courant et à bout de bras un cercueil vide pour fêter « le bout de l’an » d’un défunt de la famille,  que nous avions pu voir à l’automne 63  dans les rues de Porto-Novo.

  La Fondation Cartier a demandé au scénographe italien Enzo Mari d’imaginer une présentation de cet ensemble de statues; au rez-de-chaussée, il y a huit « bocio », grandes sculptures en bois, représentant des membres de la famille placés devant chaque propriété et chargés d’éloigner les mauvais esprits et les dangers. Enzo Mari a préféré les disposer devant des simulacres en contre-plaqué non figuratifs de maisons; c’est sobre mais cela ne fonctionne pas très bien: il  y manque l’indispensable relation entre ces figures religieuses , dont certaines sont tout à fait étonnantes, et la maison béninoise.
  Au sous-sol, il y a cinquante sculptures d’une quarantaine de centimètres qui sont placées, un peu comme les calvaires en Occident à la croisée de chemins mais aussi au bord d’un champ, protégés par un petit toit de palmes tressées, ou encore à l’intérieur des maisons. Ce qui frappe quand nous les avions vues,  toujours en 63,  » in vivo » pourrait-on dire et sans avoir été prévenu, c’est l’espèce de fascination qu’elles exercent presque aussitôt; elle sont à la fois très humbles mais on les sent chargées et investies d’un véritable pouvoir bénéfique ou maléfique-il était  évidemment impossible d’en savoir plus même auprès de nos amis ou collègues dahoméens-qui reste à nos yeux d’Occidentaux,   assez énigmatique. Il y a en elles,  comme une sorte de concentré d’énergie correspondant à la fonction curative qu’elle sont censées exercer.
Comme devaient l’être autrefois chez nous les innombrables statues de saints qui avaient chacun leur spécialité. C’est une dimension capitale  de la sculpture africaine, et en particulier vaudou que l’on oublie trop souvent, et où le prêtre qui les a créées a focalisé des  sentiments: peur, douleur, vengeance, amour, besoin de protection…
de elui qui la lui a demandé.
 Fabriquées avec soin en bois et en terre, recouverte d’huile de palme,  elles comportent souvent des morceaux de chaînes, de petits cadenas fermés, des herbes , quelques cauris, des cordes qui les enveloppent, ou encore des fichets de bois insérés,  comme si cette pénétration agressive permettait de mieux aller au plus profond du vœu du commanditaire.
   Les 48 statues sont alignées chacune, à hauteur du regard, sous un coffre vertical de plexiglass rectangulaire, et  baignées dans une lumière sépulcrale.  » Sur les 48 colonnes s’inscrit la vie réelle des hommes, la volonté d’échapper à la mort » , dit Enzo Mari . On veut bien mais cela a un côté très esthétisant, très galerie  d’art contemporain qui a quelque chose d’un peu choquant, même si  Kerchache était très séduit par le qualités esthétiques de ce qu’Enzo Mari persiste à appeler « objets » .
La solution idéale n’était sans doute pas des plus faciles à trouver mais, qu’y-a-t-il  de plus antinomique que ces sculptures provenant d’un milieu bien défini et ce sous-sol consacré à l’art contemporain? Que ces sculptures soient parvenues sans date ni lieu de provenance, sans doute milieu du 20 ème siècle et  Sud du Bénin, c’est un fait mais  le minimum aurait été, du moins pour les plus importantes, qu’il y ait un petit cartel… Faute de mieux,  une petite plaquette remise à l’entrée comporte quelques extraits du lexique de la symbolique vaudou de Kerchache qui permet d’y voir un plus clair, notamment en ce qui concerne la signification des différents liens et autres petits objets qui font partie des statues et dont beaucoup ont à voir avec un désir de mort de l’adversaire.
Mais on se sent  quand même très frustré devant tant de bauté dont on ne peut vraiment percevoir le snes profond.
Dans l’autre salle salle du sous-sol, il y exposé dans le même esprit  esthétisant- tant pis, il faut faire avec- sur un bassin d’eau noire, une sorte de char avec deux chaînes et  têtes de crocodile, absolument magnifique intitulé Le Char de la mort, qui appartient à la collection Kerchache; l’art contemporain occidental   fait alors bien pâle figure à côté de cette œuvre. Impossible de ne pas être sensible à cet ensemble à la fois grave et paisible qui rappelle nos plus beaux classiques Memento mori.
Aucun besoin de connaître la philosophie vaudou; c’est une œuvre  des plus sublimes qui dépasse les continents et qui peut parler à chacun d’entre nous.

  Enfin dans la salle du rez-de-chaussée, une salle est consacrée aux documents de recherche personnelle de Jacques Kerchache ( lettres, photos, manuscrits…) ainsi que des films.Mais cet ensemble est quand même un peu décevant.
  Alors à voir? Oui, absolument, malgré les nombreuses réserves  concernant la scénographie de cette exposition indiquées plus haut, comme la magnifique exposition sur l’art Dogon au Musée des Arts premiers.

 

Philippe du Vignal

 

Fondation Cartier pour l’art contemporain, 261 Bd Raspail 75014 Paris, jusqu’au 25 septembre.

 

http://www.vaudou-vodun.com/fr/
Un livre illustré de quelque 200 photos, retrace le parcours de Jacques Kerchache, et des textes sur l’art africain et sur l’art vaudou, avec des approches complémentaires de spécialistes a été publié à l’occasion de cette exposition..Bilingue franco-anglais Relié 24 X 32 cms , 236 pages pour la modique somme de 49 euros.

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