MONGOL

MONGOL de Karin Serres, , mise en scène et scénographie, Pascale Daniel-Lacombe, Théâtre du Rivage.

 

mongol.jpgL’école, on le sait bien, n’est pas un espace de sérénité pour un enfant, ni même sa chambre maintenant, quand Internet y pénètre et prolonge les insultes et les vexations de la journée. Ludovic, parce qu’il ne suit pas le même rythme que ses camarades , s’attire leurs sarcasmes, leurs coups parfois. Un jour, dans le flot d’injures de la cour de récréation, il en entend une qu’il ne connaît pas: « Mongol ». Il cherche dans le dictionnaire, ce qui est nouveau pour lui, trouve: « Mongol, e, adj: de la Mongolie ». Sa curiosité est éveillée, il veut tout savoir de ces Mongols, il en adopte les coutumes, découvre Gengis Khan, ne mange plus que de la viande et du fromage, apprend leurs jurons, se rase la tête.
Autour de lui, à l’école comme à la maison, l’étonnement mais pas l’admiration, plutôt la perplexité. Ludovic est toujours seul avec sa différence. Jusqu’au jour où il se sent plus fort que ceux qui le méprisaient, qu’il ose s’affirmer et sauve une petite camarade qu’un cheval emportait au galop.Trois comédiens jouent les différents personnages qui font le quotidien de Ludovic- dans sa famille comme à l’école- se transforment habilement grâce à des demi masques. Face à eux, Ludovic , peu à peu change, s’affirme.
Le décor, simple et efficace, fait de panneaux qui sans cesse modifient l’espace, nous fait passer du dehors au dedans, de l’école à la maison, de la réalité au rêve. Une superbe image finale emporte Ludovic vers une autre vie.
Le Théâtre du Rivage qui vient de la Région Sud-Aquitaine, a fait, sur le beau texte de Karin Serres, un travail exigeant et sensible. Une équipe à suivre qui donne à voir et à entendre les textes passionnants qui s’écrivent aujourd’hui pour la jeunesse. Malgré une réserve qui n’a rien à voir avec le spectacle: encore une fois, le programme distribué aux spectateurs ne donne pas la distribution mais seulement la liste des comédiens. Dommage pour eux qui sont tous à citer.

Françoise du Chaxel
 

Au Théâtre de l’Est Parisien, dans le cadre de 1 2 3 Théâtre. T: 01 43 64 80 80, jusqu’au 13 mai, puis en tournée.

Editions Ecole des Loisirs


Archive pour mai, 2011

Monstres

Monstres, de Ronan Chéneau, mise en scène de Babette Masson

Comment vit-il, celui qui n’attache pas de prix à la vie ?

harry25000.jpgPas de prix ? Ou plutôt si, un prix tarifé. Nous suivons, dans ce spectacle, concis et mystérieux, la cohabitation hasardeuse de trois tueurs à gages. Trois hommes. Trois générations. L’un cherche du travail et se propose comme stagiaire, l’autre fait son boulot, apparemment sans états d’âme, le troisième cherche à se faire tuer. Trois solitudes qui se croisent. Avec, en arrière fond, les fantasmes du policier et du film noir.
Le projet est né d’une commande passée à des auteurs sur des variations autour de trois monstres mythiques : King Long, Frankenstein, Dr Jekyll et Mr Hyde. Le collectif Label Brut a ainsi rencontré Ronan Chéneau, auteur. L’équipe s’est constituée, le spectacle a pris forme. Ronan Chéneau s’est nourri d’un constant travail de plateau avec la metteuse en scène, Babette Masson, et les comédiens. Cela se sent dans la construction car le récit avance à travers les ambiances, les images, les moments de jeux muets sur la musique, particulièrement réussis, portés par trois comédiens qui ont une impeccable maîtrise du corps, extrêmement expressifs, utilisant le rythme à merveille.
Il y a des fulgurances d’écriture, moins dans les dialogues, quasiment impossibles vu la nature des personnages, que dans les moments de monologues, en particulier dans les présentations successives qui, à travers le thème de la quête de soi, dépassent la situation et ouvrent sur de belles interrogations. Appels du jeune homme à qui la société d’aujourd’hui ne laisse aucune place, bouffées de souffrance cachée du « professionnel », rituel étrange du suicidaire qui ne manque pas d’humour.
Babette Masson, la metteuse en scène, a intelligemment imaginé un dispositif scénique qui, en fond de plateau, masque le haut des corps et permet la déréalisation du quotidien. Elle sait créer le mystère, faire vivre les objets, ouvrir l’imaginaire. La pièce se termine par une superbe image : un homme Golem enveloppé de papier aluminium, un jeu d’enfant qui a grandi, grossi jusqu’à devenir le monstre informe qui dépasse et menace la ville. L’osmose texte/ mise en scène, alors que l’auteur n’est pas le metteur en scène, est en soi une réussite, à saluer, vraiment. C’est une alliance fructueuse, hélas trop rare dans le paysage théâtral français.

Evelyne Loew

Créé au Carré-Scène Nationale de Château-Gontier, vu le 10 mai à Bourges-Maison de la Culture,puis en tournée en France.

http://www.labelbrut.fr/index.php

Créanciers

Créanciers, d’August Strindberg, mise en scène Christian Schiaretti

creanciers.jpgDe quoi il retourne, dans la tragi-comédie (intitulé donné par Strindberg lui-même) de Créanciers? Il est question, entre l’Homme et la Femme, de retournements de pouvoir, de puissance, de l’un à l’autre. Vases communicants, vampirisme réciproque : ce que l’un prend à l’autre, l’autre peut le lui reprendre. On a parlé pour le théâtre de Strindberg de « combat des cerveaux », c’est aussi le combat de deux vitalités, et surtout, pour reprendre l’un de ses titres les plus connus, une Danse de

Strindberg s’appuie ici sur le trio obligé de la comédie bourgeoise : le mari, la femme et l’amant. Avec une disposition particulière : Adolf est ici le second mari de Tekla et se vante d’être son amant, Gustaf est l’ex-mari qui pourrait se vanter d’être son ami. Joli schéma d’une harmonie possible, et squelette d’un drame infernal. La première scène est menée entièrement par Gustaf, qui joue avec Adolf comme un enfant qui arracherait les patte d’un hanneton, pour s’amuser, semble-t-il. On assiste, médusé et presque admiratif, à une remarquable entreprise de démolition, sous couvert d’amitié et de bons conseils. La femme est une éternelle enfant, n’est-ce pas ? Et quand un homme a pris la peine de la former, de la sculpter, il doit faire attention à ce que sa créature ne lui échappe pas et ne se retourne pas contre lui… La femme est une goule, qui aspire le principe vital de l’homme, n’est-ce-pas, pauvre Adolf sujet à l’épilepsie ? À deux, ils décident que le « maître » va se cacher dans la chambre voisine, et surveiller l’ »élève » qui doit appliquer la leçon de fermeté et d’autorité qu’il vient de recevoir. Entre Tekla, que nous découvrons beaucoup plus mûre, plus libre, plus gaie que ne nous l’avaient présentée ces messieurs, et l’entreprise de démolition continue, à l’intérieur du couple cette fois.
Tekla ne reconnaît plus celui qu’elle appelait, avec une tendresse suspecte et révélatrice de l’échec amoureux, « petit frère ». Au tour d’Adolf de se cacher, fuyant la « scène de ménage ». Le troisième duo sera celui de Tekla et de Gustaf. Alors, comme dans La maison brûlée, toutes les fausses cloisons sont tombées. Gustav vient réclamer son dû. Chacun est en dette à l’égard de l’autre, mais il se considère comme le créancier prioritaire. Il va faire payer à Tekla les arriérés de ce qu’il a investi sur elle, et à Adolf sa jouissance indue et son statut envié d’artiste. Et là, on n’est plus du tout dans la comédie : le faible Adolf en meurt.
Et pourtant le public prend un plaisir extrême à cette exécution. Ce plaisir est fait d’un peu de sadisme, sans doute, et de quelque chose comme l’intérêt qu’on peut prendre à suivre une partie d’échecs virtuose, même si l’on ne joue pas soi-même. Il est fait surtout d’admiration pour le jeu des comédiens : précis, à la fois sec et engagé – comme on parle d’un jeu engagé dans les sports collectifs – , avec juste ce qu’il faut de trop. Christophe Maltot et Clara Simpson sont excellents en Adolf et Tekla, et Wladimir Yordanoff mène le jeu à hauteur constante. Christian Schiaretti a trouvé en lui, depuis un certain nombre de spectacles, son interprète idéal, son alter ego sur le plateau : métier sans faille, intelligence partagée, énergie, humour à froid, ils ont la même façon de prendre le réel à bras le corps – le propos, la fable, le jeu, le travail de scène – et d’aller au fond des choses en en peaufinant la surface. Un exercice philosophique, on allait dire éblouissant, non : une pensée, une mise en scène au laser, d’une justesse imparable. Chapeau, re-chapeau et triomphe mérité.

Christine Friedel

Théâtre National de la Colline. du 07 mai 2011 au 11 juin 2011

 

 

Une femme seule

Une femme seule, de Dario Fo et Franca Rame, mise en scène de Bernard Pisani.

C’est une femme seule, enfermée chez elle par son jaloux de mari, qui lie conversation avec sa nouvelle voisine, par la fenêtre. Elle raconte son quotidien, ses deux enfants, son obsédé de beau-frère tétraplégique, le pervers qui la harcèle au téléphone, sa profonde solitude, ses rares échappatoires… Ce monologue qui n’en est pas un, s’étale en un flot de paroles qui ne noient jamais le spectateur mais l’entraînent, par sursauts, et dans un rythme de plus en plus effréné, jusqu’à la folie générale.Brigitte Lucas est seule en scène…Enfin, pas tout à fait : son complice, Romain Mascagni, ingénieusement introduit, s’occupe des bruitages divers, à l’aide d’instruments impensables étalés en fouillis sur son établi. Loin d’être simple technicien, il est pris au jeu, faisant vivre un décor et des personnages invisibles. Il comble le vide et rend palpable l’univers dans lequel évolue la comédienne. En parfaite synchronisation, il l’escorte dans la folie tourbillonnante qu’elle installe et contribue à faire défiler sous nos yeux toute la délirante cohérence du texte.
Brigitte Lucas incarne avec brio une  femme, à la fois sympathique et farfelue ,qui plonge peu à peu dans une démence destructrice. Les accessoires dépareillés qui l’entourent donnent le ton mais sans qu’elle les utilise vraiment, enfermée qu’elle est dans un monde intérieur que sa parole tente d’extérioriser. L’espace théâtral lui-même est contaminé : la comédienne en vient à tourner le décor pour rendre les choses plus claires au spectateur. Et son complice, grâce à des effets sonores et visuels, rend vivant le tableau qu’elle fait d’elle-même.Le drame intérieur se joue sur ce socle, en accord avec une écriture très satirique, proche  de la dénonciation par l’absurde.
On se régale de ce spectacle haut en couleurs et bien rythmé, fondé sur une complicité décidément contagieuse.

Élise Blanc

Au Théâtre du Guichet Montparnasse jusqu’au 11 juin, puis au Magasin-théâtre d’Avignon du 8 au 31 juillet.

http://www.dailymotion.com/video/xi8nys


Mademoiselle Julie

Mademoiselle Julie d’August Strindberg, traduction de Terje Sinding, mis en scène de Christian Schiaretti.

   mllejulie.jpgLe directeur du T.N.P. avait déjà monté Camarades et Père du célèbre auteur suédois.Le diptyque Mademoiselle Julie et Créanciers complètent la représentation de cette  » tragédie naturaliste »; ce sous-titre de Mademoiselle Julie dit bien que la pièce  est surtout fondée  sur la thématique ontologique de la relation homme/femme ».Et Schiaretti a raison de préciser qu’à l’instar des tragédies classiques, le tragique de Srindberg possède  une unité de temps:(une nuit);  de lieu: la cuisine d’une demeure de grands bourgeois., et enfin  d’action avec seulement trois personnages, en fait ,plus souvent deux: Julie la fille du comte  et Jean le domestique; Christine la cuisinière et fiancée de Jean n’étant qu’une sorte de contre-point indispensable.
Avec une difficulté réelle pour tout metteur en scène: comment concilier la situation tragique d’un amour impossible  et un naturalisme évident. Christine fait la cuisine devant nous, Jean cire les bottes du comte, en même temps que se noue une passion dévorante et insoluble dès le départ, sinon par la mort et la séparation entre deux êtres.
Strindberg révèle ici son mal-être permanent, et la question des relations entre hommes et femmes , surtout quand elle ne sont pas du même milieu, l’a visiblement taraudé toute sa vie. Il faut rappeler que sa mère avait d’abord été la servante de son père avant quelle ne se marie avec lui, et lui-même a divorcé trois fois…
Et le dramaturge suédois reconnaît sans détour qu’il a puisé le thème de Mademoiselle Julie, dans la vie réelle; toute la pièce est en fait un « immense règlement de compte entre des êtres dressés les uns contre les autres dans une perpétuelle revendication « comme disait Adamov:  » et un antagonisme violent entre l’homme et de la femme,  fondé sur  un problème d’ascension et de  chute sociale ».  Julie ne peut pas admettre les raisons de Jean , et réciproquement. Finalement ,tout les sépare, même s’ils ont toujours vécu dans la même maison. C’est ce que va révéler cette  nuit de la Saint-Jean, où bien des choses sont permises et où les relations entre maîtres et serviteurs  plus floue qu’à l’habitude: Julie, qui a rompu ses fiançailles est  attirée par Jean, même si l’on ne danse pas avec les paysans ou les domestiques, et même si Jean est déjà fiancé avec Christine la cuisinière.
Et sitôt Christine sortie de la cuisine, elle  se jettera sur Jean qui ne résistera pas bien longtemps.Il a sans doute une revanche à prendre et rêve comme elle mais pas pour les mêmes raisons de s’échapper  de cette maison.Il rêve sans doute d’un ailleurs mais saura se montrer inflexible avec Julie quand il aura besoin d’argent et elle  n’hésitera pas à voler son père pour partir avec lui refaire leur vie à l’étranger,. Même s’il se rend compte que le piège s’est déjà refermé sur cette liaison qui n’ a qu’une issue:  la mort de l’un d’entre eux. Et c’est lui qui, sans état d’âme, qui donnera un couteau de cuisine à Julie pour qu’elle se tue.Il faut une victime sacricifielle mais ce ne sera pas lui:  » Il faut toujours étudier la nature des êtres avant de donner libre cours à la sienne « dira-t-il cyniquement.

Christian Schiaretti a réalisé une mise en scène de tout premier ordre. Avec d’abord une scénographie exemplaire signée Renaud de Fontainieu qui réussit à concilier un naturalisme bien visible: Christine cuisine réellement pour Jean un petit plat qu’elle fera flamber sur un piano de grande maison: plaque chauffante, plan de travail et évier érunis en rectangle, avec four en fonte en dessous, mais, derrière point de murs, juste un espace libre avec  une longue pente qui mène à une double porte coulissante  qui laisse entrer et sortir les personnages, dans un superbe contre-jour.Impressionnant, non de vérisme mais de vérité et d’intelligence. On est à la fois dans le réel le plus terre à terre: la cuisine et, en même temps dans une dimension ontologique, un autre monde où a lieu l’autre vie des personnages dont nous ne savons peu de chose, une vie hors-champ en quelque sorte. Nous avons bien souvent dans ces mêmes colonnes fait remarquer l’insignifiance de telle ou telle scénographie, pour dire combien celle-ci est en parfaite harmonie avec la remarquable mise en scène de Christian Schiaretti.
Cela fonctionne un peu moins bien  , puisqu’il s’agit à peu près du même décor , avec Les Créanciers dont vous rendra compte Christine Friedel. Ce qui est le plus impressionnant c’est la direction d’acteurs de Christian Schiaretti, toujours juste et précise comme sa mise en scène. Pas de détails inutiles , pas de vidéos parasitaires, mais un respect et une intelligence du texte de Strindberg, comme rarement nous l’avions entendu, sans aucun doute grâce aussi à la belle traduction de Terje Sinding . Seul petit bémol, l’introduction de personnages masqués avec des têtes d’animaux: belle image  mais pas vraiment utile.

La pièce est  servie par trois acteurs de tout premier ordre: Clara Simpson dans le petit mais indispensable rôle de Christine, Clémentine Verdier dans une  Julie  et dont elle rend très bien la volonté de possession d’une belle jeune femme qui a visiblement besoin de rompre avec son milieu et qui en voit bien toute l’impossibilité matérielle et morale. Wladimir Yordanoff, exceptionnel dans Jean. Manipulateur, cynique, assoiffé de revanche sociale mais quand même très lucide sur ses faibles chances de réussite, puisqu’elles dépendent de Julie dont il a eu envie mais qu’il n’aime pas. Wladimir Yordanoff fait un travail tout en nuances et sait bien rendre les deux facettes de  ce personnage de Jean, domestique, devenu  d’un extrême cynisme avec celle qui reste la fille de son patron, et  qui, en même temps, reste attentif au moindre coup de sonnette de monsieur le Comte. On n’efface pas des années d’obéissance servile…
Nous venons  d’assister en direct à un moment d’attirance sexuelle, immédiate et foudroyante entre deux êtres dont devine que leur histoire va basculer en quelques heures dans l’irréparable. Echec programmé, malgré l’abnégation de Christine. Et la dernière scène de rupture,  quand Jean laisse Julie, désemparée, partir avec le couteau qu’il vient de lui donner, est de toute  beauté dans  la noirceur d’un rituel de mort qui n’ose pas dire son nom.Noirceur sans doute mais qui, comme toutes les noirceurs , ne cesse de nous fasciner! La mort de Julie  ne préfigure-t-elle pas au fond la chute sociale de Jean le domestique qui se rêvait propriétaire d’un hôtel restaurant?
La fable inventée par Strindberg a plus de cent ans déjà mais reste d’une vérité cruelle: il suffit de lire les pages de faits divers des quotidiens. Et Christian Schiaretti  cette signe là une mise en scène vraiment exceptionnelle.

A voir sans aucune réserve. Vraiment comme Les Créanciers mais peut-être vaut-il mieux voir les deux pièces séparément.

Philippe du Vignal

Théâtre national de la Colline jusqu’au 11 juin. T: 01-44-62-52-52

L’Atelier

L’Atelier de Jean-Claude Grumberg, mise en scène Gaëlle Hermant.

atelier.jpgLa pièce se situe à la fin de la seconde guerre mondiale, dans un atelier de couture pour hommes, tenu par Monsieur Léon, où travaillent six femmes dont la connivence fait vivre ce lieu de travail aux tâches bien précises, l’une s’occupant des boutons, l’autre des finitions, ou encore la presse, toujours tenue par un homme. C’est pourtant l’humanité de ces personnages, les disputes, leur joie de vivre, mais aussi la dureté de leur vie qui ne laisse personne indifférent. L’auteur s’est d’ailleurs pour beaucoup inspiré de sa propre histoire, puisque son père fut déporté et qu’il exerça le métier de tailleur dans sa jeunesse.
Simone (Louise Rebillaud), la dernière venue à l’atelier, a vu son mari déporté pendant la guerre. Elle se bat depuis avec l’administration pour faire reconnaître cette déportation, et pouvoir bénéficier d’une pension qui lui permettrait d’élever correctement ses deux fils. Elle est entourée par de véritables abeilles ouvrières à la joie de vivre désarmante, entre Madame Laurence (Stéphanie Daniel), la vieille fille au timbre suraigu qui ne déloge pas de sa « fenêtre » en avant-scène ; Gisèle (Aude Pons), fière et susceptible pour un rien mais qui aime chanter ; Marie (Marianne Duvoux), jeune fille au rire franc qui va se marier et avoir un enfant, véritable signe du temps qui passe ; ou encore la jeune Mimi (Blandine Laignel), à la fois fière et sensible, qui n’ a pas la langue dans sa poche. Il y a aussi Monsieur Léon (Clément Séjourné), patron acariâtre et autoritaire, mais au fond sensible, qui se fait disputer par sa femme, Madame Hélène (Julie Josselin).
Gaëlle Hermant situe toute la pièce dans ce même atelier, où vestes et chemises sont accrochées sur des cintres haut perchés, accessibles par des escabeaux. Dans un coin, la table de presse aux lourds fers à repasser de cinq kilos, où travaillent tour à tour les seuls hommes ouvriers de l’atelier, le taiseux et ancien déporté, puis le jeune gaillard communiste. A l’ avant-scène, la table principale où travaillent les ouvrières, assises sur des tabourets. Une quantité de tissus, de fils et d’aiguilles circule ainsi entre leurs mains agiles, affaires aussitôt mises de côté quand ‘il s’agit de boire un coup à la santé de Marie, la future mariée.
Cet atelier est aussi un lieu de vie, où l’on chante volontiers a capella ou autour d’ un piano . autour duquel se situe une des scènes les plus fortes de la pièce : lorsque Simone rentre du bureau où elle obtint enfin l’acte de décès de son mari. Elle y joue alors un morceau à l’énergie mélancolique. Madame Laurence lui lit le document officiel qu’elle vient d’obtenir, et qui révèle l’injustice de l’administration : l’acte de décès n’indique pas que le mari de Simone est mort dans un camp de concentration, mais à Drancy, dernière trace connue avant sa disparition. Même si elle est de dos, Simone dialogue avec les autres personnages et exprime toute sa détresse à travers le piano, devenu un partenaire de jeu à part entière.
Les jeunes comédiens, tous formés à l’école Claude Mathieu, ont une cohésion remarquable et cela mérite d’être découvert.

Davi Juca

 

Festival « Premiers Pas » à la Cartoucherie, prochaine date: le 17 mai à 20h30, et, selon les jours ( voir programmation) jusqu’au 7 juin.

Biennale de la marionnette à Paris

 

IL COMBATTIMENTO DI TANCREDI E CLORINDA E IL BALLO DELLE INGRATE  Biennale Internationale de la Marionnette à Paris

Opéra de Monteverdi, mise en scène Gintaras Varnas et Darius Stabinskas (Lituanie)
C’est un vrai bonheur que la découverte de ces deux madrigaux baroques, chantés par une distribution musicale hors pair, juchée au sommet d’un gigantesque castelet, pendant que de grandes marionnettes, mises en vie par de nombreux manipulateurs brossent les fables. Le combat à mort de Tancrède, jeune chrétien contre Clorinde, jeune musulmane dont il est secrètement épris, se passe sous d’énormes armures qui se disloquent dans la violence du combat. Au moment suprême, lorsque Tancrède va démasquer son adversaire, il sombre dans le désespoir en reconnaissant Clorinde qui agonise. Il lui donne le baptême qu’elle a demandé avant de mourir. Il y a une belle virtuosité dans l’éclatement ironique des armures pendant le combat.
Moins connu, Le bal des ingrates met en scène d’horribles vieilles dévotes, réduites à d’énormes têtes juchées sur les corps des acteurs, dialoguant avec Vénus et Cupidon qui se moquent de leur frigidité. C’est une belle réussite plastique et musicale pleine d’un humour décapant.

Théâtre des Bergeries, Noisy le sec

PROLOG  de Michaël Krauss,  jeu et concept : Iris Meinhardt, extraits de textes de Shakespeare et Anaïs Nin.

  Ce solo en allemand sur-titré interprété dans la pénombre par une actrice sentencieuse parait dépourvu de sens logique ou même poétique. Il fallait lever la tête pour tenter de capter quelque chose, ce qui provoquait un fatal engourdissement et bloquait toute émotion. Il a pourtant suscité suscité de surprenants applaudissements !

DERNIER THÉ À BADEN-BADEN   de Plonk et Replonk, mise en scène Andrea Novicov, , jeu Didier Chifelle, mise en images et vidéo Loïc Pipoz.

Dans un capharnaüm incroyable, sur le grand plateau du Théâtre de la cité internationale, Didier Chiffelle, grand acteur chauve et ironique, incarne Otto, agent double de père en fils, qui se dédouble sur des images vidéo retransmises sur le grand écran à ses côtés.
Il est chargé de neutraliser le monde à coups de moule à fromage. Il joue aussi avec son double en carton, dialoguant avec celui d’une jeune fille qu’il cherche à séduire. Impossible de rendre compte de l’absurdité de ses entreprises, doublées avec une précision mathématique sur l’écran et bruitées à la cour par une accessoiriste à vue agitant toutes sortes d’objets insolites.
Mon voisin explosait de rire. L’humour suisse, en l’occurence celui du Théâtre Romand toujours pacifique, est ravageur. Andrea Novicov définit son spectacle comme “le symbole d’un mariage interracial fortement improbable : celui des cartes postales bidimensionnelles dont on fait la lecture en quatre secondes avec celui du développement narratif dans la tridimensionnalité d’un plateau de théâtre”.

Edith Rappoport  

Biennale de lamarionnettehttp://www.theatredelamarionnette.com/

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PIERRE ET JEAN

Pierre et Jean  de Maupassant,mise en scène de Vica Zagreba,


La famille de Pierre et Jean, enfants d’un fonctionnaire retraité qui a quitté Paris pour les joies de la pêche au Havre reçoivent la visite d’un notaire qui leur annonce un legs fabuleux au cadet par l’ami de toujours qui vient de disparaître.
Après la joie et la surprise, la jalousie puis le doute s’emparent de l’aîné, pourquoi un seul légataire, l’ami de la famille qui partageait tous les dîners n’est-il pas le père de son frère ?
Le père toujours joyeux et réjoui continuera d’ignorer la vérité que la mère finit par avouer à son fils. Interprété avec vivacité par une compagnie dynamique, constituée au terme d’un stage, six bons comédiens se relaient pour tenir tous les rôles.
Sébastien Rajon est  particulièrement savoureux dans le rôle du notaire, et  ce spectacle fait passer une heure agréable. Pierre et Jean devrait être repris à la rentrée au Théâtre de la Folie.
La compagnie présentera une nouvelle création au Festival Enfants de troupe Premiers pas qui vient de commencer au Théâtre du Soleil.

Edith Rappoport

Théâtre de la Folie jusqu’au 8 mai à 15 h, 01 43 55 14 80

DANSE DELHI

DANSE DELHI d’Ivan Viripaev,mise en scène Galine Stoev 


“Ce texte n’est pas à jouer,mais à interpréter à la manière d’une partition musicale… Ce sont sept pièces distinctes que le spectateur devra lier… la logique doit être la même que dans la récitation poétique. On n’analyse pas un poème en faisant passer le sens au premier plan, mais on l’appréhende dans sa force poétique et par le jeu des sonorités..”. Telle est l’introduction donnée à Danse Delhi par Ivan Viripaev, jeune auteur né à Irkoutsk qui a été révélé sur le plan international avec Oxygène et Genèse n° 2 entre autres. Dans une salle d’attente d’un hôpital, Katia jeune danseuse attend avec angoisse des nouvelles de sa mère qui vient d’être opérée. Survient son amie et admiratrice Valeria, critique de danse qui lui rappelle avec émotion le spectacle qu’elle avait créé à Delhi, témoignage bouleversant d’une humanité à la dérive, qu’elle ne peut oublier. Survient une infirmière qui se fait renvoyer, elles veulent terminer leur conversation.
Arrive Andreï, Katia a eu une aventure avec lui, mais il  lui annonce qu’il ne peut poursuivre leur liaison, il veut rester avec sa femme et ses ses deux enfants. L’infirmière revient, elle annonce la mort de la mère emportée par son cancer, et Katia doit signer les papiers nécessaires pour qu’on l’emporte à la morgue.
Le deuxième tableau met en scène les mêmes comparses, mais cette fois Andreï amoureux de Katia quitte sa femme, la mère n’est pas morte, elle arrive et discute avec sa fille qu’elle n’approuve pas, elle-même n’a pas réussi sa carrière chorégraphique. Quatre autres tableaux suivent avec les mêmes protagonistes, c’est la femme d’Andreï qui s’est suicidée, et plus tard, c’est au tour d’Andreï de jouer le rôle du défunt ! “Ce que nous avons de plus précieux dans cette vie, c’est la mort…le crabe est notre docteur…”.Cette étrange variation autour de la mort dans une salle d’attente d’hôpital est interprétée par une excellente distribution , où Marie-Christine Orry étincelle dans le rôle de la mère, comme Caroline Chaniolleau dans le rôle de la critique désorientée par un choc esthétique inoubliable. “Il faut perdre le monde pour le trouver…”.

Edith Rappoport

Théâtre de la Colline jusqu’au 1e juin www.colline.fr

http://www.dailymotion.com/video/xdm3hi

Vivre dans le feu

Vivre dans le feu, d‘après les carnets et poèmes de Marina Tsvetaeva, adaptation et mise en scène de Bérangère Jannelle

Cette écrivaine russe est maintenant bien connue en France. Née en 1881, elle avait eu une enfance plutôt joyeeuse jusqu’à la mort de sa mère tuberculeuse. Elle suivit des cours d’histoire de la littérature à la Sorbonne, ce qui devait être  rare à l’époque pour une jeune fille. Très vite, elle se maria avec Efron,  un jeune officier, tout en ayant une liaison avec le poète Ossip Mandelstam mais aussi avec la poétesse Sophie Pranok. De retour en Russie, les ennuis commenceront avec la famine et l’une de ses deux filles mourra de faim dans un orphelinat où elle l’avait placée pour qu’elle puisse survivre!
C’était une amie de Boris Pasternak et de Rainer-Maria Rilke et elle vécut à Paris où la colonie russe blanche se méfiait d’elle, tout comme Staline en Union soviétique. Trop indépendante et trop libre aux yeux des hommes : en refusant de se soumettre, elle en paiera le prix cher. Son mari Efron, soupçonné d’avoir participé à l’assassinat d’un espion soviétique,sera fusillé. Quand elle reviendra avec son fils en 39, elle survivra, seule et  misérablement, et après qu’on lui ait refusé un emploi dans une cantine, elle finira par se pendre en 41. Entre temps, elle aura quand même eu le courage et la force d’écrire des milliers de pages de poèmes, carnets, Journaux intimes,voire même des tragédies, inspirées des  grands dramaturges de l’antiquité grecque.
Cette femme exceptionnelle fut passionnée par la vie, l’amour, la poésie et les Russes finiront par la réhabiliter en 55. Ses écrits restent toujours aussi bouleversants: on y trouve des phrases aussi fortes  comme:  » J’ai trouvé une devise: deux verbes auxiliaires: être vaut mieux qu’avoir ». Ou  » Passer sans laisser de traces est peut-être  comprendre le temps et l’univers ».
Dans le cadre du Festival Seules en scènes, Olivier Meyer a demandé à  sept actrices-dont Michèle Guigon et Meriem Tenant (voir Le Théâtre du Blog)- de se confronter au grand plaisir mais aussi à la difficulté d’investir un plateau en solitaire, avec des textes écrits par elles ou par de grands auteurs. Ainsi Marie-Armelle Deguy avec une adaptation de La Princesse de Montpensier de Madame de La Fayette.
Une bonne idée, mais cette ancienne salle des fêtes qui abrite maintenant le Théâtre de l’Ouest Parisien  où le public voit mal le plateau, n’est guère adaptée à ce genre d’exercice mais, bon, quand on est dans les premiers rangs, cela va encore et il y a eu d’excellents spectacles. Natacha Régnier, plutôt actrice de cinéma à la belle présence, et que l’on n’avait jamais vue sur scène ouvre le bal en disant des extraits  des carnets de Marina Tsvetaeva. Il y sur scène un petite table blanche, avec plein de cartons remplis de feuilles de papier, que Natacha Régnier dispersera ensuite au  sol et une sorte de bannière verticale où s’inscrivent d’abord le mot F E U en grandes lettres rouges qui tient plus d’une œuvre d’art conceptuel, n’a guère sa place ici. A la fin, on verra même sur cette banderole des gouttes de sang couler!  Tous aux abris…
Il y a aussi, dans le fond et sur le côté, des animaux rouges, et un grand rocher en polystyrène où Natacha Régnier montera, une épée à la main pendant que la neige tombe…. Si, si c’est vrai! Très vite, à cause d’un manque d’éclairage (assez surprenant!) et d’une mise en scène ronronnante, l’ennui s’installe. Natacha Régnier a une belle présence en scène et une diction claire et juste mais ne peut pas faire grand chose contre la médiocrité et la prétention d’une mise en scène aux fausses bonnes idées, qui se voudrait créative mais sans rien faire  entendre de la pensée fulgurante de cette écrivaine.
Ce n’est pas à coup de fumigènes, sculptures contemporaines, sonatines et morceaux de musique symphonique, que l’on donne à percevoir  une  poésie de cette intensité.  On veut bien que ce projet, comme Bérangère Janelle l’écrit avec beaucoup de naïveté, « soit bâti autour de l’enchantement ». Mais ici, d’enchantement, que nenni! et elle aurait dû faire les choses plus simplement, au lieu de se lancer dans un travail  à la fois théâtral et plastique  peu convaincant. Dommage! Mieux vaut aller revoir Natacha Régnier dans l’un de ses nombreux films dont le formidable La Vie rêvée des anges d’Erick Zonca et relire au calme , le soir dans un jardin, les merveilleux écrits de Marina Tsvetaeva.

Philippe du Vignal

Du 5 au 16 octobre, Théâtre de l’Ouest Parisien, avenue Gambetta, Paris (XX ème) jusqu’au 7 mai; le spectacle sera repris au Théâtre des Abbesses, Paris (XVIII ème) .
Festival Seules en scènes,jusqu’au 25 mai. T: 01 46 03 60 44.

http://www.dailymotion.com/video/xgjovs

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