Exit the King (Le Roi se meurt)

Exit the King (Le Roi se meurt) d’ Eugène Ionesco, mise en scène de James Richardson.

  Exit the King pourrait être la didascalie d’un  drame qui signale le départ imminent du personnage mentionné et  semble  plus près de la pensée d’Ionesco que le titre d’origine. Cette traduction nous situe immédiatement dans la mise en abyme théâtrale évoquée par Ionesco , quand la Reine insiste  pour que le Roi se presse parce qu’il ne reste que 90 minutes et qu’ils doivent en finir avec cette histoire. En effet, il s’agit d’un départ définitif dont le Roi ne veut pas entendre parler !
Il refuse  en effet de croire que ses jours sont comptés malgré les sombres nouvelles annoncées par la Reine, son médecin et son entourage.  Monter cette pièce d’Ionesco, mal connue et peu jouée au Canada anglophone, était une gageure,  éloignée qu’elle est des jeux  sur le langage et  des logiques déconstruites qui appartiennent au style  habituel de l’auteur. Certes, le lien existe entre l’anti-héros Béranger du Rhinocéros et cet autre anti-héros qui se croit éternel et indestructible mais les styles sont très différents.
Malgré un contexte caricatural évident,Le Roi se meurt s’inspire surtout du théâtre classique avec ses longs monologues, ses trois unités et ses personnages nobles. La pièce se prête à une lecture plutôt poétique aussi bien que politique , mais, pour un public avide d’un Ionesco qui dérange, le résultat pourrait paraître statique, avec des répétitions d’idées qui finissent par ralentir le rythme  et fatiguer le spectateur.
Pourtant, le metteur en scène en y voyant un commentaire sur l’actualité politique ,a gagné son pari. Le public, poli et attentif, a bien remarqué les rapports entre ce tyran égoïste, indifférent, et les événements au Moyen -Orient ou ailleurs. Mais de multiples lectures sont possibles, étant donné l’inscription de cette œuvre dans l’histoire de France, et il faut admirer la ténacité de cette  compagnie qui cherche à former un public, plutôt habitué aux œuvres canadiennes et aux  pièces de boulevard héritées du théâtre populaire américain ou britannique.
James Richardson a réussi son coup, grâce à une  bonne distribution, à une mise en scène intelligente et surtout, à l’interprétation magistrale d’Andy Massingham. Son  jeu très physique lui  permet de passer au-delà de la parole et de mettre en relief le côté à la fois comique et pathétique, et  le dénouement tragique de l’œuvre.
Quand sa première femme, la Reine Marguerite, cynique et agressive (Mary Ellis), devient un ange de la mort qui mène doucement  son mari vers l’inévitable en le dépouillant des symboles du pouvoir, la transformation de ce tyran insupportable se fait devant nos yeux. Il devient  sourd, aveugle,  et finalement muet,  et son corps, ravagé par la mort annoncée, semble se recroqueviller, avant de s’écrouler sur le trône gigantesque dont la démesure nous renvoie ironiquement à l’illusion d’un immense pouvoir, désormais disparu.   La douceur du jeu, l’élégance de la langue, et la tendresse à la fois grotesque et sinistre de cette dernière rencontre  atteignent un niveau de tragédie inespéré.
Un moment de très grand théâtre et un dénouement qui fait oublier les lacunes du début du spectacle.

Alvina Ruprecht

Actuellement à l’Irving Greenberg Theatre Centre,Ottawa.


Archive pour 5 juin, 2011

Croisades

Croisades de Michel Azama par le Théâtre Majâz, sur une idée de Lauren Houda Jussein et Id Shaked, traduit en hébreu par Eli Bijaoui et en arabe par Ula Tabari, sous-titrée en français, mise en scène d’ Id Shaked .

croisades.jpgMajâz est un » collectif » de comédiens comme on dit maintenant, qui regroupe un  Israélien, un Palestinien, une Franco-libanaise, une Franco-Iranienne, un Marocain et une Espagnole,  qui sont pour la plupart issus de l’École Jacques Lecoq et qui ont fait des stages avec Ariane Mnouchkine. La pièce, écrite en 89 souvent jouée en France par de jeunes  compagnies, a été créée à Saint-Jean d’Acre en 2009, puis à Beer Sheva, Jérusalem et Jaffa. Elle est ici interprétée en hébreu, en arabe et en français, sur-titrée en français.
C’est dans un lieu qui n’est jamais précisé,mais « où il fait très chaud et sec, » comme hier, dans la salle de répétitions du Théâtre du Soleil, une évocation de la guerre et de ses horreurs, où les vivants croisent les morts qui continuent à parler longuement.. Bien entendu, on pense au conflit israëlo-palestinien. La pièce est inégale sans doute mais comporte  des moments d’une forte intensité.
Ce n’est ni une fable ni un commentaire mais plutôt une suite de courtes scènes , ici sans autre décor que deux praticables tubulaires montés sur roulettes, et un rideau de fond. Azama parle de la guerre et de ses atrocités avec des récits de combats où l’on tue pour tuer, où l’on ne sait pas si l’on va tuer ou être tué l’instant qui suit , sans savoir non plus  qui est dans la lunette du fusil.
On tue par réflexe, parce que l’on se méfie, parce que l’on a peur de l’autre, et l’on s’aperçoit après coup que vient de tomber une vieille femme qui venait chercher de l’eau avec un jerrycan  ou un ami.On tue ensuite pour venger un ami, un parent, et l’ engrenage devient irréversible.
Et Azama ne nous fait grâce d’aucun détail, quant aux atrocités : cela rappelle aux meilleurs moments le  fameux récit de la bataille de Salamine qu’Eschyle décrit dans Les Perses. Et les femmes font preuve d’autant de violence que les hommes :  » « Celle qui tient le fusil décide de quoi on parle  » ou  » Un prisonnier ne fait pas de remarques personnelles » menace l’une d’elles,  le Kalachnikov à la main. Mais bien sûr, malgré tout, comme dans toutes les guerres, il y a quand même des amours entre jeunes de camps opposés, des amitiés aussi qui vont parfois voler en morceaux.
La mise en scène d’ Id Shaked qui a constamment cherché ne pas tomber dans le réalisme-et il a eu raison- est précise et rigoureuse;  il sait ce que veut dire une direction d’acteurs. Et avec peu de moyens. Les six comédiens: Guy Elhanan – Hamideh Ghadirzadeh – Lauren Houda Hussein – Lyazid Khimoum – Doraid Liddawi – Sheila Maeda sont vraiment impeccables ; ils ont tous une belle présence et une gestuelle aussi fine que précise (merci aux enseignants de chez Lecoq) et aux meilleurs moments savent faire naître une véritable émotion.
Le spectacle est trop long ( presque deux heures!) et il aurait fallu  couper sans état d’âme dans le texte d’Azama  trop bavard, qui  s’englue souvent dans les bonnes intentions, ce qui n’a jamais favorisé l’éclosion d’un bon théâtre. Et les choses, faute d’une véritable dramaturgie, peinent à se mettre en place, surtout au début mais Id Shaked réussit à garder  rythme et  cohérence à cette pièce qui se termine,  plutôt qu’elle ne finit.
Alors, à voir? A vous de juger, mais cet acte de dénonciation d’un système répressif ne peut malheureusement être efficace, que soit en Israël, en Palestine ou à Paris.Lepublic, acquis d’avance,  était cependant très attentif. Quelques spectateurs sont sortis, en partie, à cause de la chaleur étouffante qui devait bien friser les 37 °, mais les six comédiens, d’origine et de pays divers, sont très à l’aise et font preuve jusqu’au bout d’une réelle unité de jeu et de solidarité.
Saluons la performance! Par les temps qui courent, ce n’est pas si fréquent dans notre  douce France. Saluons aussi Ariane Mnouchkine qui les a accueillis.

Philippe du Vignal     


Cartoucherie de Vincennes, salle de répétition du Théâtre du Soleil jusqu’au au 3 juillet , les lundis, mercredis, jeudis et vendredis à 20H30, le samedi à 14H et à 20H30, le dimanche à 14H.
Rencontres avec Michel Azama et l’équipe du spectacle, les dimanches 5 et 26 juin à 16h30.

En hommage à Juliano Mer-Khamis, metteur en scène palestinien assassiné devant son théâtre en avril dernier, il y aura une projection de son documentaire Les Enfants d’Arna,  les dimanches 12 et 19 juin à 16h30.

Le texte de Croisades est publié aux éditions Théâtrales.


Réservations :Théâtre du Soleil T: 
01-43-74-24-08

http://www.theatre-majaz.com

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