Croisades
Croisades de Michel Azama par le Théâtre Majâz, sur une idée de Lauren Houda Jussein et Id Shaked, traduit en hébreu par Eli Bijaoui et en arabe par Ula Tabari, sous-titrée en français, mise en scène d’ Id Shaked .
Majâz est un » collectif » de comédiens comme on dit maintenant, qui regroupe un Israélien, un Palestinien, une Franco-libanaise, une Franco-Iranienne, un Marocain et une Espagnole, qui sont pour la plupart issus de l’École Jacques Lecoq et qui ont fait des stages avec Ariane Mnouchkine. La pièce, écrite en 89 souvent jouée en France par de jeunes compagnies, a été créée à Saint-Jean d’Acre en 2009, puis à Beer Sheva, Jérusalem et Jaffa. Elle est ici interprétée en hébreu, en arabe et en français, sur-titrée en français.
C’est dans un lieu qui n’est jamais précisé,mais « où il fait très chaud et sec, » comme hier, dans la salle de répétitions du Théâtre du Soleil, une évocation de la guerre et de ses horreurs, où les vivants croisent les morts qui continuent à parler longuement.. Bien entendu, on pense au conflit israëlo-palestinien. La pièce est inégale sans doute mais comporte des moments d’une forte intensité.
Ce n’est ni une fable ni un commentaire mais plutôt une suite de courtes scènes , ici sans autre décor que deux praticables tubulaires montés sur roulettes, et un rideau de fond. Azama parle de la guerre et de ses atrocités avec des récits de combats où l’on tue pour tuer, où l’on ne sait pas si l’on va tuer ou être tué l’instant qui suit , sans savoir non plus qui est dans la lunette du fusil.
On tue par réflexe, parce que l’on se méfie, parce que l’on a peur de l’autre, et l’on s’aperçoit après coup que vient de tomber une vieille femme qui venait chercher de l’eau avec un jerrycan ou un ami.On tue ensuite pour venger un ami, un parent, et l’ engrenage devient irréversible.
Et Azama ne nous fait grâce d’aucun détail, quant aux atrocités : cela rappelle aux meilleurs moments le fameux récit de la bataille de Salamine qu’Eschyle décrit dans Les Perses. Et les femmes font preuve d’autant de violence que les hommes : » « Celle qui tient le fusil décide de quoi on parle » ou » Un prisonnier ne fait pas de remarques personnelles » menace l’une d’elles, le Kalachnikov à la main. Mais bien sûr, malgré tout, comme dans toutes les guerres, il y a quand même des amours entre jeunes de camps opposés, des amitiés aussi qui vont parfois voler en morceaux.
La mise en scène d’ Id Shaked qui a constamment cherché ne pas tomber dans le réalisme-et il a eu raison- est précise et rigoureuse; il sait ce que veut dire une direction d’acteurs. Et avec peu de moyens. Les six comédiens: Guy Elhanan – Hamideh Ghadirzadeh – Lauren Houda Hussein – Lyazid Khimoum – Doraid Liddawi – Sheila Maeda sont vraiment impeccables ; ils ont tous une belle présence et une gestuelle aussi fine que précise (merci aux enseignants de chez Lecoq) et aux meilleurs moments savent faire naître une véritable émotion.
Le spectacle est trop long ( presque deux heures!) et il aurait fallu couper sans état d’âme dans le texte d’Azama trop bavard, qui s’englue souvent dans les bonnes intentions, ce qui n’a jamais favorisé l’éclosion d’un bon théâtre. Et les choses, faute d’une véritable dramaturgie, peinent à se mettre en place, surtout au début mais Id Shaked réussit à garder rythme et cohérence à cette pièce qui se termine, plutôt qu’elle ne finit.
Alors, à voir? A vous de juger, mais cet acte de dénonciation d’un système répressif ne peut malheureusement être efficace, que soit en Israël, en Palestine ou à Paris.Lepublic, acquis d’avance, était cependant très attentif. Quelques spectateurs sont sortis, en partie, à cause de la chaleur étouffante qui devait bien friser les 37 °, mais les six comédiens, d’origine et de pays divers, sont très à l’aise et font preuve jusqu’au bout d’une réelle unité de jeu et de solidarité.
Saluons la performance! Par les temps qui courent, ce n’est pas si fréquent dans notre douce France. Saluons aussi Ariane Mnouchkine qui les a accueillis.
Philippe du Vignal
Cartoucherie de Vincennes, salle de répétition du Théâtre du Soleil jusqu’au au 3 juillet , les lundis, mercredis, jeudis et vendredis à 20H30, le samedi à 14H et à 20H30, le dimanche à 14H.
Rencontres avec Michel Azama et l’équipe du spectacle, les dimanches 5 et 26 juin à 16h30.
En hommage à Juliano Mer-Khamis, metteur en scène palestinien assassiné devant son théâtre en avril dernier, il y aura une projection de son documentaire Les Enfants d’Arna, les dimanches 12 et 19 juin à 16h30.
Le texte de Croisades est publié aux éditions Théâtrales.
Réservations :Théâtre du Soleil T: 01-43-74-24-08
Pardon! je m’en occupe, je n’avais pas vu la référence.
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