Loin d’eux

Avec Loin d’eux (1999) de Laurent Mauvignier que David Clavel et Rodolphe Dana du Collectif Les Possédés portent à la scène, Rodolphe Dana se rapproche vertigineusement du spectateur. L’acteur est tous les personnages.

 

            loindeux.jpgLoin d’eux de Laurent Mauvignier est le récit de l’événement tragique qui disloque la vie d’une famille – le père, la mère, l’oncle et la tante – , le suicide d’un fils unique : « Nous quatre ce jour-là on s’était levés comme d’habitude, et la journée comme les autres suivait son cours comme on dit, suivait sa route et tranquillement sa route allait vers l’heure de ce point où la vie plus jamais ne serait la même. Un silence d’éternité pour chacun de nous, en une seconde, le trente et un mai quatre-vingt-quinze, à seize heures. » La parole réservée du père est toutefois éloquente quand elle s’exprime, même s’il a le regret après coup d’avoir gardé un silence trop long. Mais si l’on entend la voix paternelle, on entend également la parole blessée de la mère et les mots compassionnels de l’oncle et de la tante, comme dans un dessin entremêlé de fils différents qui s’avérerait en définitive, savamment coordonné à travers la trame invisible du tapis d’un destin. La présence du fils prend toute sa résonance sur le plateau, investie par un seul comédien, Rodolphe Dana, qui incarne entre rigueur et sobriété les cinq voix de cette partition musicale. De cette méditation infinie, plurielle et pudique, qui tourne autour d’un même être aimé et resté inaccessible, ressort le sentiment de la différence à l’intérieur même du milieu d’origine. Il n’était guère possible au fils de se déprendre de cette volonté à se trouver loin d’eux, une aspiration dont la spontanéité est demeurée à jamais incomprise à ses proches. Le disparu souhaitait-il réussir peut-être ce qu’eux, sans le savoir et sans la moindre exigence personnelle, n’avaient pas pu accomplir. Ainsi, être soi pleinement et ne pas vouloir être eux, ces proches caractérisés par la convention et la normalité des gens humbles et soumis à leur condition modeste de travailleurs sans gloire. Pourtant, le fils sait intimement que ses parents ont soin de lui en dépit de leur maladresse, pleins d’amour et de sentiment pour le mal-aimé. Luc, apte à voler dans d’autres dimensions artistiques, est un fervent connaisseur des classiques du cinéma plus que des films de sa stricte contemporanéité car les classiques de naguère parlent d’aujourd’hui et de la modernité avec d’autant plus de ferveur qu’ils semblent éloignés d’un présent appréhendé comme agressif, brutal et sans recul. Luc entretient naturellement en lui un point de vue, un regard, une façon d’apprécier, de vivre et de se comporter. La réalité existentielle si forte soit-elle de cet amoureux du cinéma n’a pas empêché d’éradiquer la solitude et l’isolement cruels qui gagnent peu à peu sa fragilité. Ce sont les parents qui depuis leur province ont installé le fils à Paris dans sa petite chambre d’étudiant tandis qu’il est garçon de café dans un bar de nuit. Il peut ainsi se rendre au cinéma dans la journée et acheter les fameuses affiches du septième art qui peuplent sa mansarde. Mais peu à peu, aller au cinéma est devenu plus difficile dans la lassitude et l’éloignement anonyme. Pour les parents, l’énigme demeure entière de n’avoir pas compris ni senti l’authenticité des velléités libertaires filiales. Des lettres restent, des souvenirs d’appels téléphoniques trop rares, des réceptions du voyageur à la gare avec ses bagages lors de retours furtifs au foyer. Des retours dont la griffe a toujours été celle du silence, le refus de parler, une protection encore pour Luc qui ne tend pas à s’expliquer, ni à convaincre ses parents dans l’attente d’une lumière quelconque. Le silence est une prudence, une discrétion, une façon de protéger les sentiments éprouvés. L’écriture de Mauvignier répond à cette tactique et cette façon d’être singulière à l’intérieur d’une quête d’apaisement et d’harmonie. Ces mots simples et agencés sont produits par le silence intérieur de l’être, et disent sa position instable dans le monde par rapport à une prétendue intégration.

Cette parole rustre et austère transcende la parole bavarde de nos sociétés « communicantes » et se rapproche du silence humain. Dana sait épouser le souffle âpre et vivant d’un père, d’une mère, d’un fils…, et exprime au plus près la fulgurance des aveux de l’âme.

 

Véronique Hotte

 

Loin d’eux, de Laurent Mauvignier, co-mise en scène de David Clavel et de Rodolphe Dana du Collectif Les Possédés.Du 6 juin au 1er juillet 2011 à 19h30, relâche les 11, 12, 13, 19, 25 et 26 juin au Théâtre de la Bastille. Réservations :01 43 57 42 14

 

 


Archive pour 7 juin, 2011

Loin d’eux

Avec Loin d’eux (1999) de Laurent Mauvignier que David Clavel et Rodolphe Dana du Collectif Les Possédés portent à la scène, Rodolphe Dana se rapproche vertigineusement du spectateur. L’acteur est tous les personnages.

 

            loindeux.jpgLoin d’eux de Laurent Mauvignier est le récit de l’événement tragique qui disloque la vie d’une famille – le père, la mère, l’oncle et la tante – , le suicide d’un fils unique : « Nous quatre ce jour-là on s’était levés comme d’habitude, et la journée comme les autres suivait son cours comme on dit, suivait sa route et tranquillement sa route allait vers l’heure de ce point où la vie plus jamais ne serait la même. Un silence d’éternité pour chacun de nous, en une seconde, le trente et un mai quatre-vingt-quinze, à seize heures. » La parole réservée du père est toutefois éloquente quand elle s’exprime, même s’il a le regret après coup d’avoir gardé un silence trop long. Mais si l’on entend la voix paternelle, on entend également la parole blessée de la mère et les mots compassionnels de l’oncle et de la tante, comme dans un dessin entremêlé de fils différents qui s’avérerait en définitive, savamment coordonné à travers la trame invisible du tapis d’un destin. La présence du fils prend toute sa résonance sur le plateau, investie par un seul comédien, Rodolphe Dana, qui incarne entre rigueur et sobriété les cinq voix de cette partition musicale. De cette méditation infinie, plurielle et pudique, qui tourne autour d’un même être aimé et resté inaccessible, ressort le sentiment de la différence à l’intérieur même du milieu d’origine. Il n’était guère possible au fils de se déprendre de cette volonté à se trouver loin d’eux, une aspiration dont la spontanéité est demeurée à jamais incomprise à ses proches. Le disparu souhaitait-il réussir peut-être ce qu’eux, sans le savoir et sans la moindre exigence personnelle, n’avaient pas pu accomplir. Ainsi, être soi pleinement et ne pas vouloir être eux, ces proches caractérisés par la convention et la normalité des gens humbles et soumis à leur condition modeste de travailleurs sans gloire. Pourtant, le fils sait intimement que ses parents ont soin de lui en dépit de leur maladresse, pleins d’amour et de sentiment pour le mal-aimé. Luc, apte à voler dans d’autres dimensions artistiques, est un fervent connaisseur des classiques du cinéma plus que des films de sa stricte contemporanéité car les classiques de naguère parlent d’aujourd’hui et de la modernité avec d’autant plus de ferveur qu’ils semblent éloignés d’un présent appréhendé comme agressif, brutal et sans recul. Luc entretient naturellement en lui un point de vue, un regard, une façon d’apprécier, de vivre et de se comporter. La réalité existentielle si forte soit-elle de cet amoureux du cinéma n’a pas empêché d’éradiquer la solitude et l’isolement cruels qui gagnent peu à peu sa fragilité. Ce sont les parents qui depuis leur province ont installé le fils à Paris dans sa petite chambre d’étudiant tandis qu’il est garçon de café dans un bar de nuit. Il peut ainsi se rendre au cinéma dans la journée et acheter les fameuses affiches du septième art qui peuplent sa mansarde. Mais peu à peu, aller au cinéma est devenu plus difficile dans la lassitude et l’éloignement anonyme. Pour les parents, l’énigme demeure entière de n’avoir pas compris ni senti l’authenticité des velléités libertaires filiales. Des lettres restent, des souvenirs d’appels téléphoniques trop rares, des réceptions du voyageur à la gare avec ses bagages lors de retours furtifs au foyer. Des retours dont la griffe a toujours été celle du silence, le refus de parler, une protection encore pour Luc qui ne tend pas à s’expliquer, ni à convaincre ses parents dans l’attente d’une lumière quelconque. Le silence est une prudence, une discrétion, une façon de protéger les sentiments éprouvés. L’écriture de Mauvignier répond à cette tactique et cette façon d’être singulière à l’intérieur d’une quête d’apaisement et d’harmonie. Ces mots simples et agencés sont produits par le silence intérieur de l’être, et disent sa position instable dans le monde par rapport à une prétendue intégration.

Cette parole rustre et austère transcende la parole bavarde de nos sociétés « communicantes » et se rapproche du silence humain. Dana sait épouser le souffle âpre et vivant d’un père, d’une mère, d’un fils…, et exprime au plus près la fulgurance des aveux de l’âme.

 

Véronique Hotte

 

Loin d’eux, de Laurent Mauvignier, co-mise en scène de David Clavel et de Rodolphe Dana du Collectif Les Possédés.Du 6 juin au 1er juillet 2011 à 19h30, relâche les 11, 12, 13, 19, 25 et 26 juin au Théâtre de la Bastille. Réservations :01 43 57 42 14

 

 

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