Les Journaux de Nina Arsenault. (The Silicone Diaries)
Les Journaux de Nina Arsenault. (The Silicone Diaries) mise en scène de Brendon Healy.
Présenté dans le cadre du Festival Magnetic North à Ottawa, qui est un espace du nouveau théâtre anglophone , Les Journaux de Nina Arsenault tient à la fois du monologue confessionnel et d’une démonstration scientifique qui suit les moindres traces du processus d’une transformation sexuelle.
Nina Arsenault , autrefois un homme, est devenu une femme d’une grande beauté et elle nous révèle tout, à travers un discours franc, intelligent sans le moindre désir d’épater le spectateur peu habitué au monde des transexuels. Ce qu’on nous invite en effet à regarder n’est pas toujours agréable puisqu’il retraçe les différentes interventions chirurgicales et nous comprenons les graves risques qu’elle courait.
Nina est constamment à la recherche de la beauté idéale, d’une hyperféminité qui met en évidence la nature purement reconstruite d’un corps dont on a dû extirper la chair masculine pour reconstruire la femme. La chair doit toujours coïncider avec les attentes de « l’autre » monde mais la tragédie de cette recherche du plus beau corps possible devient l’obsession permanente de ceux qui veulent mener une vie sans confusion identitaire.
Les vidéos, empruntées à différentes salles d’opération, témoignent de la réalité crue des interventions. Le jeu est retenu mais séducteur. La voix grave et douce de l’artiste murmure les explications; son corps se tortille pour nous montrer toutes les attitudes d’un objet complètement refait. Elle parle souvent de la geisha, modèle évident de la gestualité destinée à plaire, à séduire, à évoquer la grâce.
La reconstitution d’un corps entier qui porte en lui un rapport renouvelé avec le monde, affirme jusqu’à quel point ce spectacle incarne l’essence même du théâtre. Nina, comme un personnage de scène, est une pure reconstruction. Son recours aux accessoires, au maquillage, aux vêtements, révèlent jusqu’à quel point la féminité ou la masculinité ne sont que signifiées, mise en place par la publicité, par les idées stéréotypées et donc pas nécessairement reliées à l’être biologique.
Cependant, à la fin du spectacle, Nina ne peut rentrer chez elle et quitter son costume. Elle est devenue cet autre dont elle ne peut plus se défaire. Ce corps est à la fois un objet de grand luxe qu’on exhibe et une prison qui ne pardonne pas. Et le spectacle qui met parfois mal à l’aise. Les moments où Nina pleure la mort d’une amie, nous entrainent vers un pathos qui n’a pas de place dans un spectacle qui cherche plutôt le regard attentif des spectateurs.
Il s’agit surtout de faire comprendre la nature de ce voyage « transgenre » mené par ce « shemale/femmemâle » et peut-être aussi l’occasion de remettre en question la notion du « voyeur » associé habituellement à une réalité qu’on est censé cachée des regards trop curieux.
Un moment de théâtre étonnant et, malgré tout, émouvant.
Alvina Ruprecht
Spectacle présenté par la troupe Buddies in Bad Times de Toronto à la Salle académique de l’Université d’Ottawa.