Juin aux jardins
Le mois de juin est cruel : orages, trombes d’eau… Et ce n’est pas vrai seulement pour cette année de sécheresse et de pluie espérée : ainsi a-t-on vu disparaître quelques festivals parisiens, faute de beau temps fiable et de lieux de « repli ». Il existe, et on les a vus à l’occasion des Rendez-vous au jardin, des spectacles, des manifestations – disons, des inventions artistiques -, pour lesquels la question du « repli » n’a aucun sens, parce qu’ils sont conçus pour les jardins, nés des jardins, jardins qui eux-mêmes mettent en scène la vie sociale. Mais cela est une autre histoire.
Il y a quelques années, Gilberte Tsaï avait créé La Main verte avec Gilles Clément, jardinier et poète, « inventeur »- au sens où l’on découvre un trésor – de la vertu et, du coup, de la vogue grandissante des mauvaises herbes. Aujourd’hui, elle emmène la jeune troupe du Nouveau Théâtre de Montreuil dans un nouveau Parcours sensible dans les jardins. Prenez neuf jeunes comédiens jardiniers, avec leur grand tablier bleu, mettez-les au vert. Ils vous feront surgir des buissons, des plantations, des haies, des charmilles, des jonchées de bois raméal (oui, c’est le terme), de la fourche d’un énorme tilleul : Louis XIV et sa vision de Versailles, la guerre franco-anglaise des jardins, le cri de la carotte qu’on arrache, la fuite désespérante des couleurs avec les changements du ciel, les travaux et les jours, les dictons populaires et la poésie verte, vous entraînant, vous surprenant en une double promenade, horticole et poétique. Claude Monet, Cesare Pavese, l’Abbé Delille et même Shakespeare (la forêt de Macbeth) sont mis à contribution, ravigotés par la poésie de Jean-Christophe Bailly. Un parcours de plaisir, tout simplement, pour les cinq sens, avec nos jardiniers comédiens qui adoptent joyeusement et réinventent chaque jardin.
Gilles Clément a également inspiré Stéphanie Barbarou et Laurence Hartenstein, qui lui ont emprunté le titre de leur voyage en cinq « stations », Digitales vagabondes. C’est le schéma de dispersion de ces plantes qui leur a montré la voie. Ou comment voyager en regardant ses pieds et en se projetant jusqu’aux montagnes de la Chine lointaine. Jugez-en par les titres des différentes stations : Avancer tout en restant là autour du périphérique parisien ; un pied après l’autre, on vous dit. Zig-zag au Caucase : revoyez sur votre atlas la place déterminante de cette montagne. Estomper la carte au dessus du Bosphore : cette fois, c’est la mer qui fait fondre les frontières, lieux d’éternels échanges, comme on ne veut pas toujours le savoir. Relier à l’oreille le sommet des montagnes en Aise centrale : une indication sur le nom de leur duo, Station Miao. Chez les Miaos, minorité de Chine repliée dans ses montagnes, les jeunes filles, dit-on, chantent collectivement leur amour aux jeunes gens, en écho, de somment en sommet. Ce qui a conduit notre duo à expérimenter des sons inouïs, et nous à la cinquième station : Surgir dans le Far-Est chinois.
Précisons qu’à chaque « station », on ne stationne pas, on suit les marcheuses-chanteuses-inventeuses (-trices ) d’une pratique qui ne ressemble à aucune autre, celle du voyage léger comme un rêve, quoique lesté de preuves matérielles, d’actes artistiques visuels et sonores et de réflexions scientifiques et philosophiques. Une aventure délicate, aux dimensions de la terre, qui commence juste de l’autre côté du périphérique.
Allez donc écouter les jardins qui chantent, même sous la pluie.
Christine Friedel
Parcours sensibles au jardin-école du jardin horticole de Montreuil (93) à 15h et 19h30 jusqu’au 19 juin. Nouveau Théâtre de Montreuil, 01 48 70 48 90.
Digitales vagabondes- 5e station – au parc départemental de l’Île Saint-Denis, le 19 juin de 16h à 17h. Entrée gratuite, réservation 01 48 13 14 49.