L’Échange
L’Échange, Paul Claudel (2e version), mise en scène de Xavier Lemaire.
Une mise en scène pleine de justesse qui fait ressentir le texte de Claudel avec une étonnante simplicité.Louis Laine, du sang d’indien dans les veines, est fraîchement rentré aux États-Unis avec sa jeune épouse Marthe, ramenée d’Europe. Tous deux vivent dans un cabanon, près de la belle maison de Thomas Pollock Nageoire-qui emploie Louis -et sa femme Lechy Elbernon.
La rencontre se fait entre deux couples, quatre personnes, quatre morceaux d’une même âme soudain séduits par un désir d’échange.Xavier Lemaire a choisi ici la deuxième version du texte, revue par Paul Claudel et Jean-Louis Barrault pour les représentations de 1951, version plus moderne donc. Pour autant, qu’on ne s’y trompe pas, la poésie est là. Et Xavier Lemaire réussit le défi d’un spectacle respectueux du texte , sans manquer d’indépendance.
Le décor est comme surgi de la pièce même : un pauvre cabanon , un fil où pend du linge, trois morceaux d’une jetée de bois sur la mer, une balançoire… Le Texas de l’avant-dernier siècle, et si plein d’évidence qu’on l’oublie doucement. Les comédiens ont une parfaite maîtrise de l’espace. Et Marthe apparaît dans toute sa force, loin de la petite chose geignarde qu’on voit parfois. Isabelle Andréani ne lui ôte pourtant pas de sa sensibilité, mais exprime cette espèce de masculinité que le personnage peut avoir. Grégori Baquet joue Laine dans sa fragilité, ses emportements subits de l’enfance, et la violence enfouie. Gaëlle Billaut-Danno, superbement vêtue en cavalière, mène le jeu avec bottes et cravache, et possède toute la sensualité du personnage. Xavier Lemaire prête ses traits à Thomas Pollock et rend sa bonhomie à cette figure d’homme d’affaire trop souvent asséchée. Les deux couples enchaînent les échanges dans une grande complicité, au risque d’oublier un peule spectateur : leurs regards se tournent peut être trop rarement vers ce cinquième personnage, qui doit parfois tendre l’oreille pour bien entendre:c’est le seul reproche qu’on peut faire au spectacle. Les intentions sont comprises et, pour une fois, intelligibles, animées d’une gestuelle précise et juste. Et la mise en scène guide le jeu avec intelligence. Un accord de piano fait brusquement résonner le silence, sans l’encombrer de superflu. Lâché au centre de la scène, le chapeau de Pollock veille sur le second acte, rappelant cet absent qui tire encore les ficelles…
Au troisième acte , la difficulté qu’il y a à mettre en scène ce long échange de lettres, est surmontée: dans la brume du soir, Marthe lève ses yeux brillants sur le spectateur et se confesse à lui. La parole lyrique est bien maîtrisée, et ce n’est donc pas pour fuir la difficulté que Xavier Lemaire a choisi la seconde version de la pièce : « Je la ressens plus essentielle, plus charnelle, plus joueuse, plus théâtrale, bref, plus moderne dit-il ». Le spectacle fait ainsi briller le texte claudélien d’une clarté qu’on ne lui soupçonnait pas et rend sa simplicité à une œuvre parfois dénoncée comme intellectuelle.
Élise Blanc.
Au Théâtre Mouffetard jusqu’au 3 Juillet; puis au Festival Off d’Avignon du 8 au 31 Juillet.