Journée de juin du Conservatoire national
Journées de juin du Conservatoire national, classe de Nada Strancar: L’Imprésario de Smyrne de Goldoni.
Un canapé et deux fauteuils rouges avec une table basse dans le fond, deux tables de café 1950 sur le devant , une table basse, un grand tapis, un palmier en plastique, des jardnières avec des petits buis ronds d’un vert acide surréaliste, également en plastique, un grand miroir suspendu, un piano droit noir dont le dos porte l’inscription « accueil » , avec dessus, un téléphone blanc et un gros classeur à feuilles perforées: tout ce bric-à brac est censé figurer le hall d’un hôtel. C’est à la fois, fade, laid et mal inscrit dans l’espace de jeu. Une maison aussi richement dotée que le Conservatoire aurait pu se faire aider, pour le décor et les costumes par un scénographe ou, comme il y a quelques années, par des élèves de l’Ecole des Arts Déco.
L’Imprésario de Smyrne est une pièce très fine- sans doute pas la meilleure de Goldoni mais où le célèbre auteur italien a un regard aiguisé sur la société de son temps, et sur les rapports entre les différentes classes sociales: un l’hôtelier qui revendique son titre et refuse qu’on l’appelle aubergiste,un riche Turc qui veut créer un opéra dans son pays et laisse à un impresario le soin de recruter chanteurs et chanteuses, jaloux , vantards et imbus d’eux-même.
Bien entendu, comme la plupart du temps chez Goldoni, la situation va se détériorer et le spectacle ne se fera pas. Et le dédommagement consenti par le seigneur turc sera trop dérisoire pour donner un petit quelque chose à chacun. La pièce comporte de nombreux personnages, ce qui est pratique quand il s’agit de distribuer seize élèves.
Oui, mais voilà qu’en fait-on? Il y a bien une sorte de mise en scène, même si le programme ne désigne pas comme telle Nada Strancar à qui l’on doit cette chose pas digne du tout de la grande comédienne qu’elle est. Ce que l’on voit est accablant , et l’on se demande comment Daniel Mesguich, pourtant directeur attentif, a pu laisser faire cette présentation de fin d’année. Les chers élèves font vraiment n’importe quoi, ou bien si c’est Nada Strancar qui les a ainsi dirigés , c’est plus grave; il y a, par exemple, une bagarre entre amoureux derrière un piano, mal réglée à laquelle on ne croit pas un instant , et dont la jeune fille ressort avec un œil au beurre noir… Et , comme il faut donner du grain à moudre à tout le monde, certaines scènes sont doublées, ce qui n’arrange rien mais ralentit encore un rythme déjà bien défaillant. La diction, surtout au début est approximative.Et, de ces jeunes comédiens, que l’on fait souvent crier sans raison, c’est à celui qui cabotinera le plus. Alors qu’il sont sûrement intéressants, et c’est vraiment dommage, à cause de cette mise en scène aussi bâclée que vulgaire, oui, vraiment vulgaire, de ne pouvoir en repérer quelques-uns. Ils ont l’air de bien s’amuser mais le tout a un côté amateurs ravis de faire joujou devant un public de copains et parents forcément indulgents… Quand même plutôt gênant pour une présentation de travail d’une classe de conservatoire national!
Cet Imprésario de Smyrne est une comédie mais ce n’est pas une raison pour se croire autorisé à faire n’importe quoi: la rigueur doit aussi et surtout s’exercer sur ce terrain là.On vous épargnera la description des costumes tape à l’œil, aux couleurs criardes et bling-bling, très laids et/ou mal adaptés aux personnages; on peut très bien jouer Goldoni en costumes d’époque ou pas ,mais, de là, à tomber dans le décrochez-moi çà! Non vraiment, pauvre Goldoni , pauvres jeunes comédiens qui méritent mieux que cela. Quand on voit la mise en scène aussi fine qu’intelligente de La Villegiature de Thomas Quillardet et Jeanne Candel créée au printemps à Vanves (voir le Théâtre du Blog) et reprise au Festival Impatience de l’Odéon, on se dit que Nada Strancar aurait mieux fait de trouver un autre terrain d’exercice. Heureusement, cette pitoyable chose ne s’est jouée que deux fois, mais nous sommes ressortis de ces deux longues heures, consternés par autant de médiocrité.
Quelque chose à sauver? Oui quand même mais… à la fin: dans la scène où le pauvre impresario annonce la faillite du projet, il y a comme un léger frémissement et , à la toute fin, quand les seize jeunes comédiens chantent en chœur mais ces petites émotions ne peuvent évidemment rattraper une énorme bavure.
Philippe du Vignal
Conservatoire national, salle Louis Jouvet