Textes sans attendre

Textes sans attendre 

Quelques pupitres, des chaises, des jeux d’ombre et de lumière : la lecture d’un texte n’exclut pas une mise en espace, ni un réel jeu d’ acteurs.Cinq pièces ont été sélectionnées par un groupe de réflexion sur les écritures théâtrales contemporaines, réuni autour de Stéphane Braunschweig depuis octobre 2009: entre bas-fonds vulgaires et hauteurs métaphysiques, sont ainsi questionnées: les origines, l’idolâtrie, la certitude scientifique, la dégradation physique, toutes les inquiétudes profondes et inavouables d’une époque : la nôtre.

 

‘Nzularchia (La Trouille) de Mimmo Borrelli, lecture dirigée par Angela de Lorenzis.

 Gaetano est le fils du boss mafieux Spennacore, et vit dans les ruines de la demeure familiale, où se terre son père, recherché après l’assassinat d’un membre de clans rival. Par une sombre nuit, le fils s’introduit dans la maison et se rapproche de la cachette du père, accompagné de Picceri, son frère jamais né, alter ego forgé de toute imagination…

Une pièce obscure qui a valu à son auteur les prix Riccione Teatro (2005), Eti-Olimpici Teatro (Meilleur spectacle d’innovation) et Vittorio Gassman (2008). Mimmo Borrelli ne craint pas de superposer les voix dans une fugue effrénée. Son écriture, avec des métaphores concrètes, joue sur différents dialectes, et le langage presque inventé qui unit Gaetano à son double est habilement rendu en français par la traduction de Jean-Paul Manganaro qui voit dans la pièce « une signification intérieure rythmée et non pas intellectuelle » . Il lui faut dans une lecture un cadre, proche de celui de L’Enfer de Dante. Et, même si un décor permettait d’en exprimer mieux la couleur sinistre, la voix des acteurs déroule un univers complexe et glauque, qui semble transcender la scène pour vous frapper « en pleine figure », selon les mots d’une spectatrice enthousiaste.

Jean-Marie Winling (le père), avec sa voix de basse, s’empare de la salle dès la litanie lyrique du premier monologue, et il a une présence magistrale. De même, Claude Duparfait s’impose en Picceri, prostré dans les gestes pénibles d’un fœtus non mené à terme, la voix frémissant dans les aigus. À Stanislas Nordey (le fils) en revanche, on peut reprocher une interprétation un peu trop intellectuelle, et qui s’égare dans la gestuelle… Toute l’histoire peut être lue comme un souvenir lancinant que se joue le père en dévorant son fils. Le traducteur le dit lui-même : il fallait  des fous pour jouer ça…

 

Le Test de Lukas Bärfuss, lecture dirigée par Claude Duparfait.

 Pierre est le fils de Simon,un politicien en pleine campagne électorale, embarqué sans doute pour un cinquième échec consécutif. Père lui-même, il semble vivre heureux sa vie de chef de famille comblé. Jusqu’au jour où Frantzeck insinue dans sa tête le doute sur sa paternité… Rongé par l’incertitude, Pierre finira par faire un test ADN et découvrira l’abominable…

Lukas Bärfuss est l’un des auteurs germanophones contemporains les plus joués dans le monde. C’est Bruno Bayen qui l’introduit en France en 2005, avec Les Névroses sexuelles de nos parents. Le Test, pièce aux accents shakespeariens, est présenté dans une lecture si pleine d’évidence qu’elle semble rendre toute mise en scène superflue.

Le texte comporte deux parties, simplement numérotées 1 et 2, . Au départ, un long monologue, sanglant, enchaînant les mots comme de la vermine. Et cette violence continue dans un humour cinglant, une ironie délicieuse qui cisèle à grands traits la réalité bien bourgeoise d’une famille aux apparences tranquilles. L’intrigue s’essouffle un peu dans le 2, plus tragique… Mais la salle était prise. La lecture, parfaitement maîtrisée , a un rythme impeccable, et chaque personnage s’anime à merveille:Jean-Marie Winling, que l’on retrouve en Simon, prend des airs soumis devant sa femme, l’imposante Annie Mercier, qui mène le public dans une complicité savoureuse, et Claude Duparfait, plus nerveux en Frantzeck, tire les ficelles dans l’autre sens. Christophe Brault (Pierre) introduit la pièce en maudissant sa femme, Chloé Rejon. Les repères vont s’effondrer : quelle est la vérité d’un test scientifique?

 

Félicité de Olivier Choinière, lecture dirigée par Stanislas Nordey.

 Une fascination d’employés pour Céline Dion, une jeune fille séquestrée par sa famille, et la monstruosité d’un corps vomi… Trois figures féminines tracent le cercle d’une intrigue compliquée, où le texte progresse en s’effaçant et où les personnages s’intervertissent comme dans un miroir. Les définitions qui ouvrent la pièce multiplient les 1890923.jpgréalités parallèles.

Olivier Choinière est un écrivain québecois a vu sa pièce Félicité- créée en 2007-présentée au Royal Court Theatre à Londres, dans une traduction de Caryl Churchill, avant d’être jouée en Écosse, en Australie, et à Zürich. La lecture met le texte sur scène, presque brut. Une histoire qui résonne dans la parole d’un chœur étrange, dont les voix s’échangent, rebondissent, se contredisent. Narration alternée, vivante, presque visible, où les lecteurs enchaînent les rôles. Jean-Baptiste Anoumon, Christophe Brault et Annie Mercier se retrouvent face à Chloé Rejon, l’incarnation des trois féminins. Elle est surtout l’oracle, et joue, avec une force mystérieuse, celle dont les yeux brillants nous guident sur le chemin de la pièce.

Une pièce surprenante qui déroule tout un suspense, mais qui s’épuise à la longue en forçant trop sur la mise en abyme.

 Élise Blanc.

 

Lectures du 18 juin au Théâtre de la Colline. 

 

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