De beaux Lendemains
De beaux Lendemains de Russel Banks, mise en scène d’Emmanuel Meirieu
Grâce à la sobre présence successive sur le plateau et au micro de quatre grands comédiens – Catherine Hiégel, Carlo Brandt, Redjep Mitrovitsa et Judith Chemla – , c’est un magnifique travail d’Emmanuel Meirieu. De Beaux Lendemains est une mise en espace sonorisée dans un univers feutré de neige sourde avec voix d’enfants, bruits criards de tôle froissée et de catastrophe routière, plutôt qu’une mise en scène conceptualisée.Le 27 janvier 1990, dans l’hiver blanc de l’Est Américain, un car scolaire verse dans un ravin pour s’immobiliser dans la glace : un accident tragique pour quatorze enfants. Le roman de Russell Banks est de facture chorale avec ses quatre témoignages successifs en forme de monologue.
Ce sont les survivants qui parlent: la conductrice du bus et une adolescente blessées dans l’accident, un père meurtri par la mort de ses deux enfants et un avocat new-yorkais venu défendre les parents des victimes. Sur la scène, trône solitairement un micro sur pied, dont l’un ou l’autre des intervenants se saisit parfois.
La conductrice d’abord, immense Catherine Hiégel, vêtue en travailleuse, raconte le parcours qu’elle fit ce jour-là, comme tous les autres jours auparavant : les rituels des habitudes, les arrêts devant telle ou telle habitation, sa connaissance de tous les enfants et de leurs parents, son amour aussi pour ces gamins qu’elle entend parler dans le bus, redevenue à son tour petite fille parmi eux. Elle ne comprend pas et ne comprendra jamais ce qui s’est passé ce matin-là : une petite tache sur la voie, un chien peut-être qui traverse indûment la route, rien n’est moins sûr.
Derrière le car scolaire, suit le camion de Billy, père des deux jumeaux et vétéran du Viet nam, veuf et amant d’une femme du village qui perdra également son petit garçon dans l’accident. Lui, non plus ne comprend pas, tendu par l’alcool, la colère et la culpabilité, orphelin des siens à cause d’une violence continue, fatale et incompréhensible dans les événements qui l’accablent.
Carlo Brandt joue et mime la douleur d’un homme, une souffrance à la fois profonde et à fleur de peau. Les mots peuvent-ils traduire toutes les sensations désespérées qui l’assaillent ? Seul, isolé, sans le moindre contact ou possibilité de partage avec les autres parents auxquels il ne s’assimile pas, voilà l’état récurrent et pathogène qui est le sien, tandis qu’il erre pour évacuer sa peine. Survient ensuite l’avocat élégant et vorace de New-York, venu pour obtenir des dédommagements substantiels à verser aux parents des victimes. Redjep Mitrovitsa est cet homme sensible et construit, intéressé et calculateur – un père blessé par la conduite de sa fille égarée dans la sphère de la drogue – qui tente, de façon trouble, de venir au secours de ces êtres démunis.
Il croit pouvoir tenir en la jeune fille survivante – handicapée, en fauteuil roulant – une alliée de premier plan. Il n’en sera rien, Nicole Burnell ne joue pas à ce jeu-là car d’autres problèmes la préoccupent : elle reste et restera désespérément celle qu’une vie indigne a façonnée malgré elle, bien avant la catastrophe physique. Judith Chemla est juste dans ses débats et le récit de sa propre histoire, à la fois lucide et émouvante. La petite chanteuse de rock du village est capable de pousser des airs intensément purs pour dire sa peine stridente.
Un spectacle rare et savant, populaire et universel, qui traite des tourments de l’âme, sur une composition musicale interprétée par Raphaël Chambouvet et avec, à la guitare, l’interprète country Stéphane Balmino. Un vrai moment de théâtre.
Véronique Hotte
Théâtre des Bouffes du Nord du 7 au 26 juin 2011