Watch me fall

Watch me fall, Compagnie Action Hero (Grande-Bretagne)

« I Wanna be a Star ! » Qui n’a jamais rêvé d’être la star d’un soir ? Aujourd’hui, c’est leur tour. Trois, deux, un, c’est parti ! Pendant plus de 50 minutes, la troupe anglaise Action Hero, invitée au Théâtre de la Ville dans le cadre du Festival Chantiers Europe 2011, nous fait vibrer à sa manière au rythme des prouesses spectaculaires des trompe-la-mort.
Sous la coupole du théâtre, une piste est balisée au sol. Le public s’installe de part et d’autre et prend des tonnes de clichés : à l’entrée, on a distribué des appareils photos à cet effet. Une jeune femme à la chevelure platine et à la robe bleue étoilée est en train de racoler au micro (surtitrage instantané sur écran). Un jeune homme distribue des canettes de Coca. On aperçoit les futurs terribles accessoires qui vont être utilisés pour les tours aussi acadabrantesques que risibles qui nous seront proposés : un petit vélo de garçon, un mini tremplin, une glacière contenant force boissons, des seaux renfermant des balles de ping pong, un club de golf et un morceau de gazon synthétique…
Il n’est pas utile de dévoiler ici toutes les « prouesses » auxquelles nous avons assisté (la moindre n’étant pas le casque de moto en feu…). Sachez simplement que le mot d’ordre de ce spectacle est la mystification. Mais si cette représentation est axée sur l’esbroufe, le faux-semblant et l’illusion, on ne comprend pas bien où les deux jeunes comédiens veulent nous emmener : s’agit-il d’admiration ? de mise à nu des rouages des shows simulant tous les dangers ?
La performance est bien ficelée, c’est indéniable : jeu maîtrisé, ambiance de foule déchaînée, musique et lumière à l’allant, mais le dessein de la démarche reste floue. Et l’on part en se demandant un peu à quoi l’on a assisté.

Barbara Petit

Du 14 au 16 juin à 19h00 au Théâtre de la Ville.

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Archive pour juin, 2011

Operette morali

Operette morali de Giacomo Lepoardi, mise en scène de Mario Martone.

EN URGENCE :  On vous en reparlera plus longuement.

Mai si vous n’habitez pas trop loin, allez voir si vous le pouvez: le spectacle se joue encore ce soir seulement. C’est en italien et mieux vaudrait  comprendre la langue de Leopardi (mais surtitré) , c’est un peu long ( trois heures et quart avec entracte), mais quel texte que celui du grand Leopardi, magnifiquement soutenu par toute une équipe d’excellents acteurs et une mise en scène des plus inventives et des plus intelligentes qui soient pour servir d’écrin à ces dialogues philosophiques. Mieux vaut ne pas être fatigué mais quel voyage, quelle beauté!

 

On ne vous le répétera pas… Merci à Emmanuel Demarcy-Motta d’avoir invité ce spectacle.

Philippe du Vignal


Théâtre de la Ville encore ce soir mardi à 20 heures 30.

ASALTO AL AGUA TRANSPARENTE

ASALTO AL AGUA TRANSPARENTE  Festival Impatience,
  Mise en scène et interprétation Luisa Pardo et Gabino Rodriguez, Compagnie Lagartijas tiradas al sol

 

Au milieu d’un amas de cageots, sur fond d’un immense mur tapissé de journaux où sont projetées les traductions, les deux personnages évoquent la fondation de Tenochticlan, futur Mexico par les Aztèques au 13e siècle, après l’extermination des tribus qui l’habitaient alors. D’abord cité lacustre, il y avait alors 2000 kilomètres carrés de lacs, la ville prend son ampleur avec la création d’un réseau d’eau potable, elle s’épanouit au XIVe siècle sous le règne de Moctezuma qui en fait une cité maîtresse avant l’arrivée des conquistadors. Cortès extermine les Indiens qui lui ouvrent les bras, il détruit la cité, ses successeurs anéantissent le réseau hydraulique, jusqu’au XIXe siècle la ville subit de graves inondations. A l’époque contemporaine, Mexico est victime d’une incroyable pollution qui la rend invivable, des 2000 km2 de lacs, il n’en reste plus que 10 ! Les deux personnages mènent un dialogue alerte et très vivant sur cette dégénérescence, jonglant entre l’époque contemporaine, le misérable destin d’une indienne réduite à la misère au fond d’une banlieue éloignée et la description des splendeurs antiques. L’espace d’abord ordonné figuré par des rangées de cageots, se transforme en un invraisemblable dépotoir, surplombé par des sacs en plastique qu’on perce pour recueillir cette eau précieuse.. L’ironie et la belle présence des deux protagonistes suscitent une fascination dans le public qui met du temps avant de quitter la salle.

 

Edith Rappoport

Cent Quatre

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ÉPOUSAILLES ET REPRÉSAILLES

ÉPOUSAILLES ET REPRÉSAILLES.
D’après Hanokh Levin, mise en scène de Séverine Chavrier,

Séverine Chavrier est musicienne, philosophe, et elle avait créé ce spectacle au Théâtre des Amandiers de Nanterre, elle est à présent en résidence au Cent Quatre qui a repris une nouvelle vie depuis la rentrée dernière avec  José Manuel Gonçalvès. comme directeur.
On est accueilli dans le vaste hall occupé par le somptueux manège de François Delarozière où l’on peut chevaucher d’étranges animaux, et déguster des pizzas dans les transats disposés pour accueillir le spectateurs du festival Impatience organisé avec le Théâtre de l’Odéon.
Les épousailles commencent par des représailles, Séverine Chavrier au piano provoque l’impatience de son conjoint qui s’enfuit au fond d’une image projetée sur grand écran. Les épousailles sont plus tendres, mais ce jeu doux amer entre des couples cherchant à réussir une vie amoureuse, mais échouant inévitablement, sont réglés d’avance.
Malgré une belle virtuosité d’acteurs et les rires du public, cette dramaturgie de la désillusion,  plutôt efficace, peut décevoir certains.

 

Edith Rappoport

 

Festival Impatience:  Compagnie la Sérénade interrompue, Au Cent Quatre

Juin aux jardins

spectacleparcourssensibledanslesjardins.jpgLe mois de juin est cruel : orages, trombes d’eau… Et ce n’est pas vrai seulement pour cette année de sécheresse et de pluie espérée : ainsi a-t-on vu disparaître quelques festivals parisiens, faute de beau temps fiable et de lieux de « repli ». Il existe, et on les a vus à l’occasion des Rendez-vous au jardin, des spectacles, des manifestations – disons, des inventions artistiques -, pour lesquels la question du « repli » n’a aucun sens, parce qu’ils sont conçus pour les jardins, nés des jardins, jardins qui eux-mêmes mettent en scène la vie sociale. Mais cela est une autre histoire.
Il y a quelques années, Gilberte Tsaï avait créé La Main verte avec Gilles Clément, jardinier et poète, « inventeur »- au sens où l’on découvre un trésor – de la vertu et, du coup, de la vogue grandissante des mauvaises herbes. Aujourd’hui, elle emmène la jeune troupe du Nouveau Théâtre de Montreuil dans un nouveau Parcours sensible dans les jardins. Prenez neuf jeunes comédiens jardiniers, avec leur grand tablier bleu, mettez-les au vert. Ils vous feront surgir des buissons, des plantations, des haies, des charmilles, des jonchées de bois raméal (oui, c’est le terme), de la fourche d’un énorme tilleul : Louis XIV et sa vision de Versailles, la guerre franco-anglaise des jardins, le cri de la carotte qu’on arrache, la fuite désespérante des couleurs avec les changements du ciel, les travaux et les jours, les dictons populaires et la poésie verte, vous entraînant, vous surprenant en une double promenade, horticole et poétique. Claude Monet, Cesare Pavese, l’Abbé Delille et même Shakespeare (la forêt de Macbeth) sont mis à contribution, ravigotés par la poésie de Jean-Christophe Bailly. Un parcours de plaisir, tout simplement, pour les cinq sens, avec nos jardiniers comédiens qui adoptent joyeusement et réinventent chaque jardin.
Gilles Clément a également inspiré Stéphanie Barbarou et Laurence Hartenstein, qui lui ont emprunté le titre de leur voyage en cinq « stations », Digitales vagabondes. C’est le schéma de dispersion de ces plantes qui leur a montré la voie. Ou comment voyager en regardant ses pieds et en se projetant jusqu’aux montagnes de la Chine lointaine. Jugez-en par les titres des différentes stations : Avancer tout en restant là autour du périphérique parisien ; un pied après l’autre, on vous dit. Zig-zag au Caucase : revoyez sur votre atlas la place déterminante de cette montagne. Estomper la carte au dessus du Bosphore : cette fois, c’est la mer qui fait fondre les frontières, lieux d’éternels échanges, comme on ne veut pas toujours le savoir. Relier à l’oreille le sommet des montagnes en Aise centrale : une indication sur le nom de leur duo, Station Miao. Chez les Miaos, minorité de Chine repliée dans ses montagnes, les jeunes filles, dit-on, chantent collectivement leur amour aux jeunes gens, en écho, de somment en sommet. Ce qui a conduit  notre duo à expérimenter des sons inouïs, et nous à la cinquième station : Surgir dans le Far-Est chinois.
Précisons qu’à chaque « station », on ne stationne pas, on suit les marcheuses-chanteuses-inventeuses (-trices ) d’une pratique qui ne ressemble à aucune autre, celle du voyage léger comme un rêve, quoique lesté de preuves matérielles, d’actes artistiques visuels et sonores et de réflexions scientifiques et philosophiques. Une aventure délicate, aux dimensions de la terre, qui commence juste de l’autre côté du périphérique.
Allez donc écouter les jardins qui chantent, même sous la pluie.

Christine Friedel

Parcours sensibles  au jardin-école du jardin horticole de Montreuil (93) à 15h et 19h30 jusqu’au 19 juin. Nouveau Théâtre de Montreuil, 01 48 70 48 90.

Digitales vagabondes- 5e station – au parc départemental de l’Île Saint-Denis, le 19 juin de 16h à 17h. Entrée gratuite, réservation 01 48 13 14 49.


Fados

amaliarodriguesfadoportugues103973740.jpgFados

C’est à une soirée inhabituelle qu’Emmanuel Demarcy-Mota  a invité le public du théâtre de la Ville,  en partenariat avec le Musée du Fado et la ville de Lisbonne. Le 10 juin, jour de la fête Nationale Portugaise,  le Fado est à l’honneur.
Trois générations de chanteurs et quatre musiciens  ont chanté la douceur et la mélancolie de ces  mélodies, que de nombreux chorégraphes ont utilisé pour leurs  créations.
Le théâtre est transformé en annexe de l’Olympia dans les années soixante. Pas d’oreillettes pour les chanteurs, les retours-son apparaissent en avant-scène, pas de lumière tournoyante ou d’effets laser, et comme projecteurs, une seule  poursuite et quelques latéraux suffisent à mettre en valeur l’artiste.  La présence charismatique des cinq chanteurs impressionne, en particulier Cristina Branco et un  vétéran de plus de 70 ans,  Carlos do Carmo, légende vivante du Fado qui a fait chanter la salle à la fin.
Le maire de Lisbonne était présent , et il a souhaité que ce chant identitaire de tout un peuple dans le monde, puisse appartenir à la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’UNESCO. La décision doit être prise en septembre prochain.  Cette soirée réussie est complétée par une exposition  sur la carrière d’Amàlia Rodrigues à Paris qualifiée de « reine du Fado »…


Jean Couturier


Théâtre de la ville dans le cadre de Chantiers-Europe 2011

LA DOUZIÈME BATAILLE D’ISONZO

LA DOUZIÈME BATAILLE D’ISONZO   d’Howard Barker, mise en scène Guillaume Dujardin.


Depuis six ans, Guillaume Dujardin organise cet étrange Festival dans des caves de particuliers, la première année à Besançon où sa troupe est installée,  et cette année dans une vingtaine de villes en Franche-Comté et bien au delà, jusqu’à Lyon, Strasbourg et même Karlsruhe. Avec un matériel léger:  quelques spots, des chaises, une sonorisation et  grâce au relais d’associations locales,  Guillaume Dujardin  présente cette année du 10 mai  au 21 juin, une quinzaine de textes contemporains montés par de jeunes et moins jeunes metteurs en scène, mais chaque spectacle n’ est joué  que  trois fois seulement.
La douzième bataille d’Isonzo d’Howard Barker (auteur anglais bien connu: voir Le Théâtre du Blog pour ses précédents spectacles joués en France), c’est celle du douzième mariage d’un  vieillard aveugle qui épouse Teena, une jeune fille de 17 ans, aveugle elle-aussi. Leur étrange ballet amoureux se joue sur les marches de la cave, Teena en robe blanche attend un contact qui ne vient pas, seulement une déploration d’Isonzo sur ses onze mariages précédents.
Elle se dénude, attend, frêle et fragile,  une main qui ne viendra pas: Isonzo s’écroule  en effet avant de pouvoir la toucher. Il y a une étrange pudeur dans cette bataille qui ne se livre pas.

 Edith Rappoport

6 ème Festival des caves à Lons-le-Saunier

Habitaculum

Habitaculum, expérience théâtrale et sensorielle par la compagnie Kamchàtka

 

img0034a.jpgOn est emmené dans une vieille camionnette genre pick-up par groupe de vingt « spectateurs » jusqu’à un quartier excentré de la ville. Une fois descendus, des « comédiens » nous incitent par gestes et , après une attente , à nous diriger vers l’angle de la rue. Après une marche, nous pénétrons dans l’ancien couvent de la ville, et toujours, sans un mot  d’explication, nous y pénétrons.
Visites dans des pièces diverses (dans l’une des machines soufflent de la neige en billes de polystyrène), on nous offre cérémonieusement du thé dans la cour, on nous accompagne , en nous fournissant manteaux et valises. D’étranges personnages nous disent adieu par les fenêtres. Une plaque sur le couvent rappelle que des enfants juifs ont été sauvés ici grâce à l’évêque de Toulouse, c’est bien sûr la clef de l’histoire, comme dans Locus Solus de Raymond Roussel où les actions précédent le récit.

Le public a beaucoup apprécié ce décalage obtenu avec de petits moyens: des costumes démodés, la saison changée par les manteaux d’hiver, l’échange des rôles entre spectateurs actifs et acteurs en retrait.

Nous avons fait un voyage dans le temps. La camionnette vient nous ramener dans le présent. 

Claudine Chaigneau

http://www.kamchatka.cat/

Derrière le Hublot. L’autre Festival de  Capdenac,  11 et 12 juin 2011

Les Journaux de Nina Arsenault. (The Silicone Diaries)

Les Journaux de Nina Arsenault.  (The Silicone Diaries)  mise en scène de Brendon Healy.

 

      silicone224043thesiliconediaries.jpgPrésenté dans le cadre du Festival Magnetic North à Ottawa, qui est un espace  du nouveau théâtre  anglophone , Les Journaux de Nina Arsenault tient à la fois du monologue confessionnel et d’une démonstration scientifique qui suit les moindres traces du processus d’une  transformation  sexuelle.
Nina Arsenault , autrefois un homme, est devenu une femme d’une grande  beauté  et elle nous révèle tout, à travers un discours franc, intelligent sans le moindre désir d’épater le spectateur  peu habitué au monde des transexuels.  Ce qu’on nous invite en effet à regarder n’est  pas toujours agréable puisqu’il  retraçe les différentes interventions chirurgicales  et nous comprenons les graves risques qu’elle courait.
Nina est constamment  à la recherche de la beauté idéale, d’une hyperféminité qui met en évidence la nature purement reconstruite d’un corps dont on a dû extirper la chair masculine pour reconstruire la femme. La chair doit toujours coïncider  avec les attentes de « l’autre » monde mais la tragédie de cette recherche du plus beau corps possible devient l’obsession permanente de ceux qui veulent  mener une vie sans confusion identitaire.
Les vidéos, empruntées à  différentes salles d’opération,  témoignent de la réalité crue des  interventions. Le jeu est retenu mais séducteur.   La voix grave et douce de l’artiste  murmure  les explications; son corps se tortille pour nous montrer toutes les attitudes d’un objet  complètement refait. Elle parle souvent de la geisha, modèle évident de  la gestualité  destinée à  plaire, à  séduire, à évoquer  la grâce.
La reconstitution d’un corps entier  qui  porte en lui  un  rapport renouvelé  avec le monde,  affirme jusqu’à quel point ce  spectacle incarne l’essence même du théâtre. Nina, comme un  personnage de scène, est  une pure reconstruction.  Son  recours aux accessoires, au maquillage, aux  vêtements,  révèlent jusqu’à quel point la féminité ou  la masculinité ne sont que  signifiées, mise en place  par la publicité, par les idées stéréotypées et donc pas nécessairement reliées à l’être biologique.
Cependant, à  la fin du spectacle, Nina ne peut rentrer chez elle et quitter son costume.   Elle est devenue cet autre  dont elle ne peut plus se défaire.  Ce corps est  à la fois un objet de grand luxe qu’on exhibe et une  prison qui ne pardonne pas.   Et le spectacle qui met  parfois mal  à l’aise. Les moments  où Nina pleure la mort d’une amie, nous entrainent  vers un pathos qui n’a pas de  place dans un spectacle qui  cherche plutôt  le regard attentif  des spectateurs.
Il s’agit surtout de faire comprendre la nature de ce  voyage « transgenre » mené par ce  « shemale/femmemâle » et peut-être aussi l’occasion de remettre en question la notion du  « voyeur »  associé habituellement  à une réalité  qu’on est censé cachée des regards trop curieux.
Un moment de théâtre étonnant et, malgré tout, émouvant.

 

Alvina Ruprecht

 

Spectacle présenté par la troupe Buddies  in Bad Times de Toronto à la Salle académique de l’Université d’Ottawa.

L’ Ile des esclaves de Marivaux

 L’ Ile des esclaves de Marivaux, mise en scène de Christian Huitorel

liledesesclaves189.jpg Créée en 1725 cette comédie en un peu plus d’une heure et onze petites scènes a une fin  grinçante, puisque les maîtres arrivent à reconquérir leur pouvoir après avoir subi comme une sorte de rééducation et que les serviteurs/esclaves Cléanthis comme Arlequin retrouvent, même avec des promesses d’amélioration, leur ancienne condition.
L’histoire a par moments presque l’allure d’une fable brechtienne. Deux Athéniens: le seigneur Iphicrate et son valet Arlequin, à la suite d’un naufrage, arrivent sur une île inconnue. Ils semblent être bien seuls. Mais un certain Trivelin, ancien esclave et gouverneur de l’île, signifie très vite à Iphicrate qu’il assurera la protection d’Arlequin et décide de leur faire inverser leurs habits. C’est la loi de l’île, explique-t-il,  pour que le maître, enfin lucide,  puisse reconnaître ses erreurs et traite désormais correctement ses employés. Aucune vengeance dans l’air mais une sorte de camp de rééducation nécessaire et transitoire.

Apparaissent alors deux femmes, Cléanthis et Euphrosine, elles aussi débarquées du bateau naufragé: Trivelin engage alors Cléanthis à faire une sorte de portrait de sa patronne,  cinglant et sans complaisance de ses petites manies et des humiliations qu’elle lui a fait subir. Les choses se compliquent! Cléanthis et Arlequin se mettent en effet eux aussi à jouer les séducteurs entre eux mais, en vain, dans une scène très drôle, sans que l’on sache très bien, si elle est au premier ou au second degré. Bref, il concluent vite  qu’ils ne sont pas faits pour ce genre de rituel qui n’est pas de leur classe. Et Arlequin propose à alors  Cléanthis de séduire Iphicrate et il ordonne à son maître de tomber amoureux d’elle. Quant à lui, il essayera de conquérir Euphrosine. Iphicrate essaye de de prendre Arlequin par les sentiments mais cela ne  marche pas et l’ancien valet n’est pas dupe. Comme dirait  Brecht, l’huile ne peut se mélanger à l’eau.

Euphrosine finit par avouer qu’elle a nettement  abusé de son pouvoir envers Cléanthis, et Arlequin pardonnera à son maître tous les mauvais traitements qu’il lui a infligés et lui rendra sa liberté dans un geste de générosité: il lui explique ce qui fait la différence entre les êtres: le cœur bon, la vertu et la raison et non la seule différence de classe sociale. Bref, Cléanthis comme Arlequin pensent que la leçon est suffisante et que pardon vaut mieux que vengeance, conformément au souhait de Trivelin. Euphrosine propose à Cléanthis de partager sa fortune avec elle.

Mais Trivelin va trouver les deux  serviteurs agenouillés devant leurs maîtres et il leur fait une petite leçon de morale : il demande à ces quatre naufragés qui ont vécu cette drôle d’aventure d’avoir une vraie réflexion sur la société: « la différence des conditions n’est qu’une épreuve que les Dieux font sur nous ». Et  Trivelin leur dit qu’un bateau pourra les ramener tous les quatre dans leur patrie,  à Athènes.
Trois siècles plus tard et soixante ans avant la Révolution française, Marivaux le visionnaire, frappe juste. Des dialogues écrit dans une langue admirable et un scénario,  étincelant.  Quant à la mise en scène de Christian Huitorel, elle a une justesse et une précision remarquables. Et sa direction d’acteurs formidablement efficace: en quelques minutes (et ce serait facile d’en faire un peu trop) il réussit  à camper ses personnages ; et  les cinq acteurs-dont lui-même- ont une diction et une gestuelle parfaite, crédibles jusqu’au bout.

Il y a comme une espèce de petit miracle sur la scène du Lucernaire et on l’on voit rarement un public aussi attentif.  Un théâtre « pauvre » comme aurait dit feu Grotowski, sans prétention aucune et sans vidéo!!! Sans non plus allers et retours dans la salle,   gadgets et criailleries: Christian Huitorel sait placer les choses et les sentiments à leur juste place. Avec un beau et vrai sens de l’artisanat théâtral.

Seul petit bémol, les pneus noirs qui servent de sièges sont d’une laideur insoupçonnable. Mieux vaut oublier… Pas grave et facilement réparable. Allez encore un effort, Christian Huitorel, comme aurait dit le cher marquis de Sade!
Alors à voir? Oui, y compris par les adolescents qui y trouveront facilement matière à réfléchir sur la la lutte des classes. Et Marivaux, qui écrivit cette comédie acide, apprécierait…

Philippe du Vignal

Théâtre du Lucernaire, rue Notre-Dame des Champs, Paris (VI ème) jusqu’au 27 août à 21 h 30

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