PLANÈTE

PLANÈTE  par le  Collectif les Possédés, le D’Evguéni Grichkovets, création dirigée par David Clavel,

Un homme face à la façade d’un immeuble, il commente longuement les fenêtres éteintes et allumées. Un femme se prépare à sortir en grande tenue, elle va rencontrer son amoureux. L’homme au pied de l’immeuble parle, parle à perte de vue, rêve sur un amour impossible dans la grande ville sans âme. La femme rentre dans on appartement, le téléphone sonne, c’est son amoureux, mais peu à peu l’amour se délite. Et malgré une présence des acteurs, l’on perd le fil de ce texte qui n’est pas vraiment théâtral.

Edith Rappoport

Théâtre de la Bastille Jusqu’au 1e juillet à 19 h 30 www.theatre-bastille.com


Archive pour juin, 2011

Le bal de Ndinga,

Le Bal de Ndinga de Tchikaya U Tam’si, mise en scène Pascal Nzonzi


f7274ddba686b4cd3.jpg« Indépendance cha-cha tozuwi ye ! / Oh Kimpwanza cha-cha tubakidi / Oh Table Ronde cha-cha ba gagner o ! / Oh Lipanda cha-cha tozuwi ye ! » Ce 30 juin 1960, c’est cette fabuleuse chanson de Grand Kallé et l’African Jazz  qui résonne dans toute la République démocratique du Congo. C’en est fini de l’ex-Congo belge, l’heure est enfin à la liesse.
Mais, parmi la foule déchaînée, certains accusent le coup : le prix à payer pour cette indépendance est exorbitant. Comme Ndinga qui vient de s’écrouler au sol : un soldat mutiné lui a tiré une balle dans le dos, Ndinga est mort au bal de l’espoir. Son destin tragique va devenir le symbole de la souffrance d’un peuple qui a payé cher sa liberté. Pour qu’on n’oublie jamais les délires et dérives de la soif de pouvoir, en 1970 Tchikaya U Tam’si gravait ce drame intime dans une pièce de théâtre, Le bal de Ndinga.
Vingt après ses premières représentations, Pascal Nzonzi porte de nouveau sur la scène ce texte puissant, émouvant, plein de finesse et d’humour. Mais cette fois, il joue seul. Tel un griot lors d’une veillée africaine, il retrace les dernières heures de la vie de Ndinga avec un immense talent de conteur : à lui seul, il parvient à recréer cette ambiance vibrante si particulière à Léopoldville, incarnant toute une palette de personnages qui gravitent autour de Ndinga : son ami Jean-Pierre, sa nièce, le patron colonialiste de l’hôtel Regina où il est boy,  Sabine dont il rêve de s’acheter les plaisirs, et le ridicule sergent Baudouin… C’est une véritable performance qu’accomplit sous nos yeux le comédien, nous faisant revivre la fin des arrestations arbitraires, de la traite des « nègres » comme des « chiens », à l’aide seulement d’un décor minimal et de quelques tubes de l’époque. « La mort est la seule denrée de luxe qui se donne gratuitement », déclare le comédien qui termine la représentation en nage : il a tout donné et nous sommes comblés !
Vous n’entendrez plus jamais le refrain d’ Indépendance cha cha de la même manière…

Barbara Petit

 Maison de la Poésie, 157 rue Saint-Martin, jusqu’au 3 juillet à 20h00 du mercredi au samedi, 16h00 le dimanche.

RENDEZ-VOUS AUX JARDINS

RENDEZ-VOUS AUX JARDINS

 

Roger Després a invité Jacques Rebotier dans la friche agricole couvrant le grand axe de la Défense qu’il cultive depuis plusieurs années, chaque dimanche aux beaux jours, avec les amis venus l’aider. Il y a installé une yourte avec coussins et canapés à proximité d’un troupeau de brebis et de chèvres occupées à brouter dans leur enclos. Jacques Rebotier est venu avec cinq musiciens issus du Conservatoire de Lyon, armés d’instruments rares comme une trompette marine, un non accordéon, un violoncelle avec deux archets et un trombone et une contrebasse. Ces jeunes musiciens jouent une série de brèves qu’il présente avec humour comme Tu m’aimes plus ou j’aime le vent, des morceaux insolites dans ce cadre agreste.
Le concert terminé, la vingtaine d’amis qui ont pu feuilleter les ouvrages publiés par Rebotier, se rendent à la Ferme du bonheur, cinq cents mètres plus loin en escortant le troupeau qu’on ramène à la bergerie, étrange parcours le long de la voie rapide en contrebas de l’avenue de la République.
La soirée se termine sur un couscous avant de nouvelles interventions de Rebotier.

 

Edith Rappoport

Ferme du Bonheur Nanterre

AVENIR RADIEUX, UNE FISSION FRANÇAISE

AVENIR RADIEUX, UNE FISSION FRANÇAISE de et par Nicolas Lambert,

C’est une lecture/mise en espace du nouveau spectacle de Nicolas Lambert qui joue en solitaire depuis une dizaine d’années son étonnant Elf, la pompe à fric , sur les dérives  financières à partir du commerce du pétrole dans notre société. Texte en main, accompagné par un musicien derrière un transparent où sont projetés des textes sur les grandes étapes de la construction atomique en France, Nicolas Lambert incarne les protagonistes politiques , de  droite comme de gauche, qui l’ont mis en place et peu à peu privatisée . Sous de Gaulle, c’était Messmer, Giscard a poursuivi,  et sous Mitterrand, Mauroy n’a pas démenti.  Et d’Eurodif à Framatome, on est parvenu à Areva.
Les Iraniens ont investi de l’argent dans cette construction, argent qui ne leur a jamais été remboursé. Aucun contrôle fiable n’a pu être mené dans le cadre du service public et du Parlement, et  l’on se retrouve  dans un marché concurrentiel ! Les images des décideurs sont projetées,  pendant que Nicolas Lambert incarne avec une belle dextérité leurs gestes, tout particulièrement Nicolas Sarkozy que l’on reconnaît bien.
Malgré cette avalanche d’informations pas encore vraiment théâtralisées, ce spectacle prometteur devrait  connaître une belle carrière comme Elf la pompe à fric , que l’on pu voir au Grand Parquet (Voir Le Théâtre du Blog), dans les réseaux associatifs et dans quelques institutions courageuses.

Edith Rappoport

Festival Taparole, La Parole errante, à  Montreuil.  Et fin juillet au festival Jolie Môme à Saint-Amand Roche Savine.

I am the wind (Je suis le vent)

I am the wind  (Je suis le vent) de Jon Fosse, texte traduit en anglais de Simon Stephens, surtitré en français, mise en scène de Patrice Chéreau. 

          che769reau2.jpgDans la grande salle du Théâtre de la Ville dont la jauge a été réduite, la scène s’avance au plus près du premier rang de spectateurs, comme pour le précédent spectacle  Rêves d’automne de l’écrivain  norvégien monté récemment ici même par Patrice Chéreau.
C’est une étendue de sable avec, au milieu  de l’eau, une sorte de radeau, un praticable plat monté sur un axe montant et descendant, avec deux vérins hydrauliques qui vont  reproduire le tangage et le roulis d’un  bateau. Dans le fond, un grand mur gris foncé avec un cadre où figure  une marche , comme un quai de port avec une bite d’amarrage. Le dispositif de Richard Peduzzi, collaborateur attitré de Chéreau depuis des décennies, simple mais impeccable d’intelligence et de vérité fonctionne à merveille et constitue une élément essentiel de ce spectacle créé en mai dernier au Young Vic Theatre de Londres.
Il y a deux hommes que Fosse nomme L’un et L’autre (on ne saura rien plus sur leur identité).  L’ Un prend
dans ses bras l’Autre, qui est torse nu, le pantalon ruisselant d’eau et le garde de longues minutes, sans dire un mot, , après lui avoir enfilé délicatement l’un des deux chandails qu’il porte sur lui, avant de le déposer tout aussi délicatement sur le sable. Il y a,  pour accompagner ce silence, une musique d’harmonica légère et un peu plaintive. On ne saura guère plus de l’étrange complicité qui semble les lier :  » Je ne voulais pas, je l’ai fait,  dit L’Un. Je suis parti avec le vent » . » J’ai besoin de silence et je veux que tout soit visible ». L’Autre répond à l’Un empêtré dans sa solitude et qui se sent « aussi lourd qu’une pierre ou comme un mur de béton qui se craquelle »: « Tu n’aimes pas les autres et tu ne t’aimes pas ».
L’Un  propose alors à l’Autre de de partir sur ce petit bateau avec lui pour aller  loin de la côte vers un une île « où rien ne pousse, où il n’y a que des rochers gris et nus ».   Mais l’Un, comme  enivré par cette aventure, emmène le bateau vers le large; l’Autre a terriblement peur, surtout pour l’Un qui se tient muet sur l’avant du bateau et  qui finira par disparaître dans les vagues .
La dernière phrase de l’Un, très belle,  est celle du titre:  » Maintenant je suis parti avec le vent. Je suis le vent ». C’est, comme toujours avec Chéreau, superbement mis en scène,  et il sait traduire, comme peu l’on fait avant lui sinon Claude Régy à qui l’on pense en voyant cette mise en scène, l’univers  de Jon Fosse; pas le moindre effet inutile, pas la moindre redondance mais un rigueur absolue, et la netteté indispensable à la traduction dans l’espace du poème dramatique de Jon Fosse, dans les belles lumières conçues par Dominique Bruguière.
Et il  a su choisir deux formidables acteurs: L’ Un, c’est Tom Brooke, grand et maigre,  avec un magnifique regard et une  grande solidité dans l’interprétation ; L’Autre, c’est Jack Laskey, qui a, comme Tom Brooke, une vérité et une présence fabuleuses sur le plateau. A la fois, dans la tempête comme  dans l’apaisement final de ce « voyage de deux vies entremêlées » comme l’écrit Chéreau.
Le texte de Jon Fosse est rempli de ces fulgurances poétiques qui rythment un dialogue, et qui lui donnent, par moments, un émotion palpable que l’on perçoit mieux en anglais évidemment. Jon Fosse a beau dire que « le langage n’est qu’une intime partie de ce qui est  » et  » si je parviens à bien écrire, je peux toujours exprimer ce qui ne peut être dit par des mots grâce aux silences, aux pauses , aux ruptures ».
Mais, malgré toute l’intelligence de la mise en scène de Patrice Chéreau, le texte reste fragile et, passées les vingt cinq premières minutes ,l’on parfois du mal à garder une attention permanente à ce qui se dit, surtout si l’on jette en même temps  un coup d’œil à la traduction simultanée. Même si le spectacle ne dure qu’une grande heure, le temps parait alors  parfois  long.
Alors à voir? Oui, malgré ces réserves, mais surtout si vous êtes un inconditionnel de Jon Fosse et/ou de Patrice Chéreau, oui, si vous voulez voir ces deux jeunes et grands acteurs,  mais soyons francs: on comprend très bien que Chéreau ait pu être attiré par ce texte de l’auteur norvégien mais on est quand même un peu déçu, surtout après Rêves d’automne qui est quand m^me d’une autre dimension…

 

Philippe du Vignal

 

Théâtre de la Ville jusqu’au 14 juin.

 

Texte publié à l’Arche Editeur.

Loin d’eux

Avec Loin d’eux (1999) de Laurent Mauvignier que David Clavel et Rodolphe Dana du Collectif Les Possédés portent à la scène, Rodolphe Dana se rapproche vertigineusement du spectateur. L’acteur est tous les personnages.

 

            loindeux.jpgLoin d’eux de Laurent Mauvignier est le récit de l’événement tragique qui disloque la vie d’une famille – le père, la mère, l’oncle et la tante – , le suicide d’un fils unique : « Nous quatre ce jour-là on s’était levés comme d’habitude, et la journée comme les autres suivait son cours comme on dit, suivait sa route et tranquillement sa route allait vers l’heure de ce point où la vie plus jamais ne serait la même. Un silence d’éternité pour chacun de nous, en une seconde, le trente et un mai quatre-vingt-quinze, à seize heures. » La parole réservée du père est toutefois éloquente quand elle s’exprime, même s’il a le regret après coup d’avoir gardé un silence trop long. Mais si l’on entend la voix paternelle, on entend également la parole blessée de la mère et les mots compassionnels de l’oncle et de la tante, comme dans un dessin entremêlé de fils différents qui s’avérerait en définitive, savamment coordonné à travers la trame invisible du tapis d’un destin. La présence du fils prend toute sa résonance sur le plateau, investie par un seul comédien, Rodolphe Dana, qui incarne entre rigueur et sobriété les cinq voix de cette partition musicale. De cette méditation infinie, plurielle et pudique, qui tourne autour d’un même être aimé et resté inaccessible, ressort le sentiment de la différence à l’intérieur même du milieu d’origine. Il n’était guère possible au fils de se déprendre de cette volonté à se trouver loin d’eux, une aspiration dont la spontanéité est demeurée à jamais incomprise à ses proches. Le disparu souhaitait-il réussir peut-être ce qu’eux, sans le savoir et sans la moindre exigence personnelle, n’avaient pas pu accomplir. Ainsi, être soi pleinement et ne pas vouloir être eux, ces proches caractérisés par la convention et la normalité des gens humbles et soumis à leur condition modeste de travailleurs sans gloire. Pourtant, le fils sait intimement que ses parents ont soin de lui en dépit de leur maladresse, pleins d’amour et de sentiment pour le mal-aimé. Luc, apte à voler dans d’autres dimensions artistiques, est un fervent connaisseur des classiques du cinéma plus que des films de sa stricte contemporanéité car les classiques de naguère parlent d’aujourd’hui et de la modernité avec d’autant plus de ferveur qu’ils semblent éloignés d’un présent appréhendé comme agressif, brutal et sans recul. Luc entretient naturellement en lui un point de vue, un regard, une façon d’apprécier, de vivre et de se comporter. La réalité existentielle si forte soit-elle de cet amoureux du cinéma n’a pas empêché d’éradiquer la solitude et l’isolement cruels qui gagnent peu à peu sa fragilité. Ce sont les parents qui depuis leur province ont installé le fils à Paris dans sa petite chambre d’étudiant tandis qu’il est garçon de café dans un bar de nuit. Il peut ainsi se rendre au cinéma dans la journée et acheter les fameuses affiches du septième art qui peuplent sa mansarde. Mais peu à peu, aller au cinéma est devenu plus difficile dans la lassitude et l’éloignement anonyme. Pour les parents, l’énigme demeure entière de n’avoir pas compris ni senti l’authenticité des velléités libertaires filiales. Des lettres restent, des souvenirs d’appels téléphoniques trop rares, des réceptions du voyageur à la gare avec ses bagages lors de retours furtifs au foyer. Des retours dont la griffe a toujours été celle du silence, le refus de parler, une protection encore pour Luc qui ne tend pas à s’expliquer, ni à convaincre ses parents dans l’attente d’une lumière quelconque. Le silence est une prudence, une discrétion, une façon de protéger les sentiments éprouvés. L’écriture de Mauvignier répond à cette tactique et cette façon d’être singulière à l’intérieur d’une quête d’apaisement et d’harmonie. Ces mots simples et agencés sont produits par le silence intérieur de l’être, et disent sa position instable dans le monde par rapport à une prétendue intégration.

Cette parole rustre et austère transcende la parole bavarde de nos sociétés « communicantes » et se rapproche du silence humain. Dana sait épouser le souffle âpre et vivant d’un père, d’une mère, d’un fils…, et exprime au plus près la fulgurance des aveux de l’âme.

 

Véronique Hotte

 

Loin d’eux, de Laurent Mauvignier, co-mise en scène de David Clavel et de Rodolphe Dana du Collectif Les Possédés.Du 6 juin au 1er juillet 2011 à 19h30, relâche les 11, 12, 13, 19, 25 et 26 juin au Théâtre de la Bastille. Réservations :01 43 57 42 14

 

 

Exit the King (Le Roi se meurt)

Exit the King (Le Roi se meurt) d’ Eugène Ionesco, mise en scène de James Richardson.

  Exit the King pourrait être la didascalie d’un  drame qui signale le départ imminent du personnage mentionné et  semble  plus près de la pensée d’Ionesco que le titre d’origine. Cette traduction nous situe immédiatement dans la mise en abyme théâtrale évoquée par Ionesco , quand la Reine insiste  pour que le Roi se presse parce qu’il ne reste que 90 minutes et qu’ils doivent en finir avec cette histoire. En effet, il s’agit d’un départ définitif dont le Roi ne veut pas entendre parler !
Il refuse  en effet de croire que ses jours sont comptés malgré les sombres nouvelles annoncées par la Reine, son médecin et son entourage.  Monter cette pièce d’Ionesco, mal connue et peu jouée au Canada anglophone, était une gageure,  éloignée qu’elle est des jeux  sur le langage et  des logiques déconstruites qui appartiennent au style  habituel de l’auteur. Certes, le lien existe entre l’anti-héros Béranger du Rhinocéros et cet autre anti-héros qui se croit éternel et indestructible mais les styles sont très différents.
Malgré un contexte caricatural évident,Le Roi se meurt s’inspire surtout du théâtre classique avec ses longs monologues, ses trois unités et ses personnages nobles. La pièce se prête à une lecture plutôt poétique aussi bien que politique , mais, pour un public avide d’un Ionesco qui dérange, le résultat pourrait paraître statique, avec des répétitions d’idées qui finissent par ralentir le rythme  et fatiguer le spectateur.
Pourtant, le metteur en scène en y voyant un commentaire sur l’actualité politique ,a gagné son pari. Le public, poli et attentif, a bien remarqué les rapports entre ce tyran égoïste, indifférent, et les événements au Moyen -Orient ou ailleurs. Mais de multiples lectures sont possibles, étant donné l’inscription de cette œuvre dans l’histoire de France, et il faut admirer la ténacité de cette  compagnie qui cherche à former un public, plutôt habitué aux œuvres canadiennes et aux  pièces de boulevard héritées du théâtre populaire américain ou britannique.
James Richardson a réussi son coup, grâce à une  bonne distribution, à une mise en scène intelligente et surtout, à l’interprétation magistrale d’Andy Massingham. Son  jeu très physique lui  permet de passer au-delà de la parole et de mettre en relief le côté à la fois comique et pathétique, et  le dénouement tragique de l’œuvre.
Quand sa première femme, la Reine Marguerite, cynique et agressive (Mary Ellis), devient un ange de la mort qui mène doucement  son mari vers l’inévitable en le dépouillant des symboles du pouvoir, la transformation de ce tyran insupportable se fait devant nos yeux. Il devient  sourd, aveugle,  et finalement muet,  et son corps, ravagé par la mort annoncée, semble se recroqueviller, avant de s’écrouler sur le trône gigantesque dont la démesure nous renvoie ironiquement à l’illusion d’un immense pouvoir, désormais disparu.   La douceur du jeu, l’élégance de la langue, et la tendresse à la fois grotesque et sinistre de cette dernière rencontre  atteignent un niveau de tragédie inespéré.
Un moment de très grand théâtre et un dénouement qui fait oublier les lacunes du début du spectacle.

Alvina Ruprecht

Actuellement à l’Irving Greenberg Theatre Centre,Ottawa.

Croisades

Croisades de Michel Azama par le Théâtre Majâz, sur une idée de Lauren Houda Jussein et Id Shaked, traduit en hébreu par Eli Bijaoui et en arabe par Ula Tabari, sous-titrée en français, mise en scène d’ Id Shaked .

croisades.jpgMajâz est un » collectif » de comédiens comme on dit maintenant, qui regroupe un  Israélien, un Palestinien, une Franco-libanaise, une Franco-Iranienne, un Marocain et une Espagnole,  qui sont pour la plupart issus de l’École Jacques Lecoq et qui ont fait des stages avec Ariane Mnouchkine. La pièce, écrite en 89 souvent jouée en France par de jeunes  compagnies, a été créée à Saint-Jean d’Acre en 2009, puis à Beer Sheva, Jérusalem et Jaffa. Elle est ici interprétée en hébreu, en arabe et en français, sur-titrée en français.
C’est dans un lieu qui n’est jamais précisé,mais « où il fait très chaud et sec, » comme hier, dans la salle de répétitions du Théâtre du Soleil, une évocation de la guerre et de ses horreurs, où les vivants croisent les morts qui continuent à parler longuement.. Bien entendu, on pense au conflit israëlo-palestinien. La pièce est inégale sans doute mais comporte  des moments d’une forte intensité.
Ce n’est ni une fable ni un commentaire mais plutôt une suite de courtes scènes , ici sans autre décor que deux praticables tubulaires montés sur roulettes, et un rideau de fond. Azama parle de la guerre et de ses atrocités avec des récits de combats où l’on tue pour tuer, où l’on ne sait pas si l’on va tuer ou être tué l’instant qui suit , sans savoir non plus  qui est dans la lunette du fusil.
On tue par réflexe, parce que l’on se méfie, parce que l’on a peur de l’autre, et l’on s’aperçoit après coup que vient de tomber une vieille femme qui venait chercher de l’eau avec un jerrycan  ou un ami.On tue ensuite pour venger un ami, un parent, et l’ engrenage devient irréversible.
Et Azama ne nous fait grâce d’aucun détail, quant aux atrocités : cela rappelle aux meilleurs moments le  fameux récit de la bataille de Salamine qu’Eschyle décrit dans Les Perses. Et les femmes font preuve d’autant de violence que les hommes :  » « Celle qui tient le fusil décide de quoi on parle  » ou  » Un prisonnier ne fait pas de remarques personnelles » menace l’une d’elles,  le Kalachnikov à la main. Mais bien sûr, malgré tout, comme dans toutes les guerres, il y a quand même des amours entre jeunes de camps opposés, des amitiés aussi qui vont parfois voler en morceaux.
La mise en scène d’ Id Shaked qui a constamment cherché ne pas tomber dans le réalisme-et il a eu raison- est précise et rigoureuse;  il sait ce que veut dire une direction d’acteurs. Et avec peu de moyens. Les six comédiens: Guy Elhanan – Hamideh Ghadirzadeh – Lauren Houda Hussein – Lyazid Khimoum – Doraid Liddawi – Sheila Maeda sont vraiment impeccables ; ils ont tous une belle présence et une gestuelle aussi fine que précise (merci aux enseignants de chez Lecoq) et aux meilleurs moments savent faire naître une véritable émotion.
Le spectacle est trop long ( presque deux heures!) et il aurait fallu  couper sans état d’âme dans le texte d’Azama  trop bavard, qui  s’englue souvent dans les bonnes intentions, ce qui n’a jamais favorisé l’éclosion d’un bon théâtre. Et les choses, faute d’une véritable dramaturgie, peinent à se mettre en place, surtout au début mais Id Shaked réussit à garder  rythme et  cohérence à cette pièce qui se termine,  plutôt qu’elle ne finit.
Alors, à voir? A vous de juger, mais cet acte de dénonciation d’un système répressif ne peut malheureusement être efficace, que soit en Israël, en Palestine ou à Paris.Lepublic, acquis d’avance,  était cependant très attentif. Quelques spectateurs sont sortis, en partie, à cause de la chaleur étouffante qui devait bien friser les 37 °, mais les six comédiens, d’origine et de pays divers, sont très à l’aise et font preuve jusqu’au bout d’une réelle unité de jeu et de solidarité.
Saluons la performance! Par les temps qui courent, ce n’est pas si fréquent dans notre  douce France. Saluons aussi Ariane Mnouchkine qui les a accueillis.

Philippe du Vignal     


Cartoucherie de Vincennes, salle de répétition du Théâtre du Soleil jusqu’au au 3 juillet , les lundis, mercredis, jeudis et vendredis à 20H30, le samedi à 14H et à 20H30, le dimanche à 14H.
Rencontres avec Michel Azama et l’équipe du spectacle, les dimanches 5 et 26 juin à 16h30.

En hommage à Juliano Mer-Khamis, metteur en scène palestinien assassiné devant son théâtre en avril dernier, il y aura une projection de son documentaire Les Enfants d’Arna,  les dimanches 12 et 19 juin à 16h30.

Le texte de Croisades est publié aux éditions Théâtrales.


Réservations :Théâtre du Soleil T: 
01-43-74-24-08

http://www.theatre-majaz.com

Love letters

love letters, de A.R Gurney, mise en scène  d’Isa Mercure et Gilles Guillot.

 loveletters.jpgIls ont huit ans, et Alexa invite Tom pour son anniversaire. Ils ont trente ans, ils ont soixante ans… Le principe de la pièce – devenue un  passage obligé pour stars de la scène – est connu :  deux comédiens, assis face au public chacun sur son banc d’écolier, ne se regardent jamais, et lisent les lettres d’amour de toute une vie.
Ni avec toi, ni sans toi : Love letters n’a rien d’une scène de ménage, puisque entre Alexa et Tom, il n’y eu jamais de ménage. Trop amis d’enfance pour devenir amants, dans leur jeunesse – ils se rattraperont plus tard.
Elle, trop riche et  abandonnée  par  ses parents,  mal mariée, et pas qu’une fois. Lui, trop ambitieux, trop bien marié et rangé. Elle, trop artiste, doutant  d’elle-même…  Tout les empêche de se rejoindre mais  une chose les lie indissolublement : ils s’aiment, ils sont à chacun le grand amour d’une vie, l’ami unique, l’alter ego capable de renvoyer durement la balle, mais toujours présent. Assez différents pour se faire grandir l’un l’autre, trop modestement humains pour pouvoir se sauver l’un l’autre.
On retrouve dans la pièce d’E.R.Gurney, l’Amérique du cinéma qui fait rire et pleurer, avec ses parcours de réussite ( Tom devient sénateur) et d’échecs – Alexa passe pas mal de temps en rehab’. Femme libre “punie“ de sa liberté face à un homme “puni“ de son conformisme, vivant pourtant leur lumineuse parenthèse d’amour…
Ici nous sommes au théâtre, en gros plan, dans la salle dite du  » paradis » au Lucernaire. Isa mercure et Gilles Guillot jouent avec gourmandise des contraintes de ce Love letters et du peu d’accessoires que leur permet l’auteur. Le simple verre d’eau joue le passage du temps, de la paille juvénile en plastique rose à la prise en main un peu tremblante d’une femme réfugiée dans l’alcool, ou à celle  toujours ferme du sénateur établi.
Les lettres elles-mêmes, prises, rejetées, donnent le rythme de l’amour et des querelles. Les silences aussi. Les lumières de Serge Peyrat réchauffent cette histoire éternellement jeune, jusqu’au froid final.
Un théâtre de l’émotion, et du sourire.

 

Christine Friedel

Au Lucernaire à  21h – 01 47 44 57 34, jusqu’au 2 juillet. Puis en Avignon, au Petit Louvre du 8 au 31 juillet.

La Chambre de Camille

La Chambre de Camille mise en scène Compagnie Hippocampe

 

« Une main qui se pose sur l’épaule ou la cuisse d’un autre corps n’appartient plus tout à fait à celui d’où elle est venue : elle et l’objet qu’elle touche ou empoigne forment ensemble une nouvelle chose, une chose de plus qui n’a pas de nom et n’appartient à personne ; et il est question à présent de cette chose particulière et qui a ses limites définies. » C’est cette scène où un homme et une femme, emmêlés par le vécu de leurs expériences intimes, luttent ensemble pour trouver leur âme, qu’imaginait le poète Rainer Maria Rilke devant les sculptures d’Auguste Rodin. Un programme magnifique dont s’est emparée la compagnie de mime corporel Hippocampe pour réaliser La Chambre de Camille, une « fiction amoureuse librement inspirée par Camille Claudel et par les sculptures d’Auguste Rodin » pour reprendre ses propres mots.
Et, sur de nombreux points, le projet est mené à son terme : le spectacle n’est presque composé que de gestuelle. Des fragments de beaux textes amoureux, extraits de Quand nous nous réveillons d’entre les morts d’Ibsen, des Lettres à Lou d’Apollinaire, et de celles de Rodin à Camille Claudel , préalablement enregistrés, en alternance avec la musique, choisies avec goût et bien à propos (Ricardo Herz), pour créer le dispositif verbal. La performance physique des quatre jeunes comédiens, Sonia Alcaraz Cartegena, Melody Maloux, Guillaume le Pape et Luis Torreao, est irréprochable, tout en concentration et retenue : les corps maîtrisés sont hautement expressifs et la gestuelle précise. L’effet plastique produit est impressionnant, par exemple dans le passage d’un extrême à l’autre : un pantin manipulable comme pâte à modeler ailleurs figé dans une raideur absolue.
Mais ce rendu visuel semble à lui seul remplir le spectacle, ce qui est insuffisant. En effet, il n’y a pas d’histoire : les saynètes s’accumulent sans jamais avoir de liens entre elles. Cette absence d’intrigue pourrait à la rigueur être compensée par des informations minimales sur les personnages ou le cadre spatio-temporel mais non!
Des deux couples présents sur scène, nous  pouvons  supposer qu’il s’agit pour l’un de Camille Claudel et d’Auguste Rodin. S’il y a d’autres personnages, ce n’est pas suffisamment clair (une question nous venait fréquemment à l’esprit : qui sont -ils  et quels sont les rapports entre eux ?)
Par ailleurs, les petits sketchs ne sont ancrés dans rien de concret ( un décor minimal : fauteuil et paravent); avant tout oniriques, farfelus et imaginaires: nous ne comprenons pas souvent ce que nous voyons. Certes, les comédiens prennent des postures de statues à l’infini et jouent avec ! Mais c’est bien là le seul lien qui nous renvoie à Rodin et à Camille Claudel (et encore, pour ceux qui connaissent ces sculptures).   Il y a donc un problème de démarche dans  cette création : parfois, on se laisse à penser que les personnages pourraient être n’importe qui et nous raconter n’importe quelle histoire, s’il n’y avait le petit texte de présentation pour nous apprendre que le couple Rodin-Claudel était un prétexte.
Un résultat  trop flou: on aura seulement compris que l’on nous parlait de relation de couple. Est-ce du théâtre ? Ce spectacle de mime, a priori issu d’un travail d’improvisation, nécessiterait  un sérieux recadrage!

Barbara Petit

 

Au Lavoir Moderne Parisien (35 rue Léon 75018) jusqu’au 4 juin 2010 à 20h30.

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