Le journal de Gombrowicz

Le journal de Gombrowicz ( Dzienniki) adaptation et mise en scène de Mikolaj Grabowski


img4366.jpgMême les  jours fériés religieux,  le théâtre est  très actif en Pologne. Le théâtre Imka (200 places) présente une adaptation du Journal de Witold Gombrowicz, œuvre majeure de la littérature moderne polonaise. Ce journal, écrit de 1953 à 1969, année de la mort de l’auteur,  a d’abord été édité dans la revue polonaise anticommuniste  Kultura  puis publiée en France.
Cette œuvre d’une vie est féroce et critique  avec  la politique, la littérature, la religion, la musique et bien d’autres. La Pologne est elle-même l’objet d’un humour sarcastique; comme il l’écrit dans son journal en 1955: «De ce  Polonais vaniteux, fier et amoureux de lui-même, tenter de faire un être qui ait conscience aiguë de son caractère insuffisant et provisoire. Et de cette vision nette et lucide, de ce refus catégorique de cacher ses faiblesses faire une force. Pour cela, il aurait fallu entreprendre une révision déchirante et non seulement renouveler notre attitude face à l’histoire et à l’art polonais, mais encore réviser entièrement notre conception traditionnelle du patriotisme en le fondant sur des bases véritablement nouvelles».
Comme souvent avec les acteurs des pays de l’Est, le jeu est très engagé et très juste. L’adresse
photo.jpgaux spectateurs est fréquente dans cette mise en scène qui , dans une tonalité ironique, fait allusion à l’actualité polonaise d’aujourd’hui. Nous redécouvrons avec plaisir  Magdalena Cielecka, une actrice réputée en Pologne et connue des scènes françaises puisqu’elle a jouée dans presque toutes les mises en scène de Krzysztof Warlikowski .
Ici, à la différence des mises en scène de Kristoff Warlikowski ou de Krystian Lupa qu’on a pu voir en France, la scénographie est minimaliste:  plateau nu et  mobilier sur roulettes apporté par les comédiens en fonction des scènes. Les extraits de ce journal sont entrecoupés de pauses musicales notamment des tangos (Gombrowicz a vécu 24 ans en Argentine), chorégraphiées ou chantées.
Le spectacle appartient maintenant au répertoire du théâtre Imka,  et  donc régulièrement reprise au cours des saisons, pratique courante en  Pologne comme en Russie car  les théâtres ont un noyau de comédiens permanents.   Si vous allez à Varsovie, n’hésitez pas à   découvrir ce théâtre dont le répertoire est riche. Il y a en Pologne un vrai amour du théâtre, et cela  quelques soient les générations: il fait  partie intégrante de la culture de tout habitant des villes,  à la différence de notre Hexagone…

 

Jean Couturier

 

Théâtre Imka à Varsovie

Jean Couturier

 

Au répertoire du théâtre Imka à Varsovie www.teatr-imka.pl


Archive pour juillet, 2011

NORD-OST

NORD-OST 

D’après Tchétchénie, le déshonneur russe d’Anna Politovskaïa, avec Catherine le Hénan et Rachid Benbouchta


Nous avions pu voir, il y a deux ans,
au Théâtre du Cormier de Cormeilles en Parisis (95). une ébauche prometteuse de cette évocation du rôle joué par Anna Politovskaïa pour la libération des otages retenus plusieurs jours dans un théâtre de Moscou, en 2002, par des terroristes tchétchènes.
Catherine Le Hénan interprète cette héroïque journaliste dans la grande nef dépouillée de Gare au théâtre, elle y promène sa détermination invincible et désespérée pour convaincre les Tchétchènes de la laisser abreuver et nourrir au moins les enfants.
Rachid Benbouchta se joint à elle dans la deuxième partie, il incarne un preneur d’otages intraitable et désespéré qui y laissera sa vie, comme plus d’une centaine d’otages asphyxiés par le gaz envoyé sur ordre de Poutine. La simple nudité de ce spectacle rayée par des éclairages étranges est un bel hommage à cette héroïne invincible par  delà de son assassinat.

Edith Rappoport

 

 Nous n’irons pas en Avignon, Gare au Théâtre

 

VIGILE

VIGILE Théâtre Group de Lons le Saunier, Chalon dans la rue

Avec Patrice Jouffroy, Pio d’Elia, Salvatore de Filippo, Martin Petit Guyot, Valérie Laroche, Bernard Daisey, Oeil extétrieur Jérôme Rougier, aide à l’écriture Chantal Joblon.

lesvigilessansregard.jpg Le Théâtre Group anime avec une belle vigueur depuis une quinzaine d’années La Vache qui Rue à l’Amuserie de Lons le Saunier, y programmant chaque année une quinzaine de compagnies pendant huit jours. Leur compagnie a créé plusieurs spectacles décoiffants, souvent hilarants, comme Télé Moustic, Stand 2000, La Jurassienne de réparation et Élu qui sont toujours au répertoire.
Vigile, leur dernier spectacle présente un Forum sur la sécurité. Notre foule compacte est accueillie à l’entrée d’une école, lentement filtrée par deux vigiles inquiétants de Menouillard Security dont la camionnette trône à l’entrée. Nous pénétrons dans un dédale de cours, avant de nous asseoir sous un long, trop long préau, les derniers rangs ne parvenant pas à bien voir pour savourer tout l’humour de cet inquiétant spectacle. Patrice Jouffroy en commandant de la gendarmerie accueille Vigie conseil, agence de sécurité privée polyvalente, qui fait la promotion de son matériel technique, vantant l’efficacité des caméras de surveillance. On accueille une sous préfète élogieuse mais vite rappelée à d’autres tâches, il y a un hommage à un collègue mort, la vidéo-protection a tout de même ses limites, elle ne peut capter ce qui se passe dans les coins ! Une jeune cinéaste se fait vite renvoyer après avoir tenté de filmer la violence du tout sécuritaire, le spectacle se termine sur une démonstration de self défense. Le Théâtre Group a enquêté sérieusement la question pour élaborer ce tableau d’une profession trouble, milice envahissante qui gangrène peu à peu notre société, l’ironie arme de toujours du Théâtre Group ouvre des fenêtres salutaires.
On pourra retrouver les tournées des spectacles au répertoire sur www.lamuserie.com.

Edith Rappoport

 

LE BRAME DES BICHES

LE BRAME DES BICHES   Tragi-comédie industrielle de Marion Aubert, mise en scène Pierre Guillois


lebramedesbichestragicomedieindustrielledemarionaubertmiseensceneparpierreguillois.jpgPierre Guillois signe sa sixième et dernière saison du Théâtre du Peuple avec la commande de ce texte à Marion Aubert, “un véritable ovni théâtral” qui s’inscrit pleinement dans le projet de théâtre populaire avec des auteurs d’aujourd’hui qu’il a développé au Théâtre du Peuple depuis 2005.
En pénétrant aux abords de ce lieu magique, un immense théâtre en bois dont l’ouverture sur la montagne est attendue après l’entracte, au milieu d’une foule véritablement populaire, joyeuse et recueillie , on bénéficie d’un accueil hors pair d’une équipe attentionnée au bar avec des tartes et des glaces délicieuses, à la librairie bien garnie et au placement sur les bancs de bois.
On a pu s’acheter des coussins avec des photos des spectacles des précédentes saisons, nous achetons Celui d’Un cœur mangé monté en 2009 que Guy Benisty co-auteur du spectacle vient de reprendre à Pantin au cours de cette semaine. Une quarantaine d’acteurs, dont quatre comédiens professionnels entourés d’amateurs passionnés recrutés au cours de trois week-ends de stages qui ont eu  deux mois de répétitions, brossent cette tragi-comédie écrite sur mesure pour Bussang. De la ferveur, il en faut ! pour donner 27 représentations du 14 juillet au 27 août, c’est ce que le public vient lui aussi y chercher !
Le Brame des biches évoque avec un humour insolite la vie des filatures dans les Vosges à la fin du XIXe siècle, une de celles que la famille de Maurice Pottecher, créateur du Théâtre du Peuple, dirigeait. On y voit, traitée avec un humour revigorant, la misère ouvrière, les accidents du travail, les grèves, la détermination du patron à ne rien céder, sa femme qui s’ennuie, les aventures sexuelles, l’intervention du sous-préfet…Le texte un peu long est distribué avec finesse aux antipodes du réalisme, dans un remarquable travail choral emmené par le superbe meneur de jeu Jean-Paul Muel, fidèle de Bussang, Christophe Caustier (découvert dans La Fabrique de violence) interprète le patron.
Cette épopée autobiographique de Bussang, est interprétée, déclinée, commentée par l’ensemble des acteurs. La scénographie efficace de Philippe Ordinaire et les costumes d’Axel Aust, complice de toujours de Pierre Guillois font décoller les images de cette épopée.

Edith Rappoport


Théâtre du Peuple de Bussang, jusqu’au 27 août www.theatredupeuple.com

Trahisons

Festival d’Avignon

spectacle6677.jpgTrahisons, d’ Harold Pinter, mise en scène de Frédéric de Verville.

Trahisons est l’histoire d’un triangle amoureux : il y a l’épouse, Emma, le mari, Robert, et l’amant qui est aussi son meilleur ami, Jerry. Pourtant, Harold Pinter oblige, on ne tombe pas dans le vaudeville et ses péripéties attendues. La chronologie torturée permet une visite dans les profondeurs des relations et une analyse poussée des personnages, de leur évolution intérieure.
Paradoxalement, c’est l’action qui est au centre de la pièce, dans la mesure où elle souligne la cascade des conséquences issues d’un simple choix et l’importance de ce choix sur la construction d’une personne.
Frédéric de Verville réalise une mise en scène plutôt simple, préférant laisser le texte imposer de lui-même son humour sarcastique, grinçant. Scénographie banale, peut-être même trop pour une pièce qui prétend échapper au vaudeville… et les fréquents changements de décors créent des ruptures souvent longues que la musique, malgré une bande-son bien choisie, n’atténue pas toujours. L’ensemble reste plaisant et peut satisfaire celui qui veut rire jaune ou qui a aussi soif de découvertes.

Elise Blanc

Théâtre la Salamandre jusqu’au 31 juillet.

Paris Quartiers d’été aux Invalides

Paris Quartiers d’été aux Invalides

 

La majestueuse cour d’honneur des Invalides est devenue cette année pour sa 22ème édition, le lieu de représentation des spectacles chorégraphiques de ce festival. Un havre de sérénité au milieu des doutes. L’avenir de Paris Quartiers d’été est menacé: l’Etat a réduit sa subvention, et le lieu habituel de ses spectacles au Palais Royal est occupé par la Comédie-Française du fait des travaux salle Richelieu.
Une pétition est en ligne sur le site du festival afin d’éviter que l’été à Paris ne devienne un désert culturel. en juillet / août; tous les parisiens ne partent pas en Bretagne, dans le sud de la France, ou ailleurs, et beaucoup d’entre eux apprécient la ville et ses longues soirées lumineuses. Cette Cour d’honneur a donc accueilli Angelin Preljocaj avec Empty Moves I et II, un spectacle difficile dans une esthétique très inspirée de Merce Cunningham sur une bande sonore de John Cage. Les conditions climatiques de cette fin juillet n’ ont pas favorisé l’accueil du public.
Mais ballets néoclassiques de Biarritz de Thierry Malandain néoclassiques devraient  rassurer les spectateurs. Et début août, on pourra découvrir la chorégraphe Emmanuelle Gat, avec  Brillants Corners.
Allez déambuler dans le programme de ce festival qui a  su nous donner  dans le passé de grands moments d’émotion, comme cet inoubliable Roméo et Juliette » du Footsbarn Travelling Theater dans les jardins du Palais Royal, il y fort longtemps  et plus récemment, en 2009, un spectacle de Bartabas
sur  son cheval,  au petit matin jusqu’au lever du soleil , dans différents endroits  de la capitale.

 

Jean Couturier

 

http://www.Quartierdete.com » www.Quartierdete.com

Les Aventures d’Octave

Festival d’Avignon

Les Aventures d’Octave, texte et interprétation d’Alain Payen, mise en scène de Pascale Siméon.


C’est l’histoire d’Antoine Pageault, qui fait chaque jour douze tours de rollers en trente minutes. Il tourne en rond. Il pense à Octave, le chêne nain que son père, René Pageault, a planté pour laisser une trace à la postérité et à partir duquel il a créé un livre pour enfants. Il pense à Georgette image107.jpg, la banquière aux gros seins, et à son idylle avec René, à sa mère, Jacqueline, à Caroline, l’illustratrice, au vendeur du Bricorama. Surtout, il pense qu’il doit écrire la fin, la toute dernière histoire d’Octave…
Dans ce premier monologue, Alain Payen crée un univers loufoque et merveilleux, comme tout droit sorti de ses grands yeux bleus pleins d’enfance, et Pascale Siméon met sur scène ce spectacle avec une certaine magie. Tout le décor surgit d’une simple malle : le parc dans lequel Antoine fait du roller, la maison de campagne, Octave, et avec lui, tous les accessoires et même les personnages, incarnés par des petites poupées. Le plateau devient un espace de jeu.
Pour le temps, le comédien, qui a passé au début un pacte de durée avec le spectateur, suit son passage avec précision. Aidé d’une grosse horloge, il surveille ainsi la temporalité du spectacle, et avec elle celle de la vie d’Antoine, soigneusement subdivisée en quatre saisons. Les deux réalités coexistent, superposées par Alain Payen qui passe de l’une à l’autre en craquelant l’illusion théâtrale pour notre plus grand plaisir.
Petits et grands, vous ne verrez pas le temps passer !

Elise Blanc

Théâtre des Corps Saints

La pitié dangereuse

Festival d’Avignon

La pitié dangereuse, d’après le roman de Stefan Zweig, adaptation d’Elodie Menant, mise en scène de Stéphane Olivié Bisson.

elodiemenant390.jpgDans ce premier roman de Stefan Zweig, une jeune fille, Edith Kekesfalva, paralytique depuis peu, tombe sous le charme d’un lieutenant,  lors d’un bal organisé par son père en son honneur. Le jeune Anton Hofmiller revient visiter la maison, et  se lie entre eux un lien étrange et disparate. Si Edith s’attache à lui, seule la pitié guide les émotions du lieutenant, tandis que sa famille le pousse à se lier à elle, de plus en plus…
C’est un véritable bijou de tension théâtrale, un spectacle sur le fil du rasoir qui vous strie les nerfs et dont on sort tremblant. Dans cette intrigue psychologique où les esprits s’affrontent comme sur un échiquier, le jeu des acteurs est remarquable de finesse et de nuances.
Les personnages sont en proie à de profonds débats intérieurs qui les opposent à eux-mêmes, et ces duels internes font d’eux des blocs d’être indépendants entre lesquels le moindre échange, le moindre contact provoque une étincelle. La scène frémit de cette électricité latente. Entre chaque tableau, se joue une valse, écho de la première danse qui réunit les deux jeunes gens, et dont les notes se font de plus en plus stridentes à mesure que la tension grandit, jusqu’à la crise.
Dans la salle, tous les yeux sont fixés sur la scène, avides et captifs de cet étau qui se resserre, de ces chemins tortueux qui se nouent entre les âmes et que l’intensité du jeu rend visibles. Les acteurs  rendent perceptible le plus étroit recoin du coeur des personnages. Arnaud Denissel surtout est magistral en lieutenant Hofmiller, avec un jeu est à la fois puissant et subtil. Tour à tour violent et désespéré, il ne chercha psa à aller tout à fait vers l’identification mais reste ainsi à distance . David Salles est le docteur Condor, son double ,qu’il interprète avec le réalisme qui convient à  un homme concret et rodé par l’habitude de la médecine. Elodie Menant est très juste elle aussi dans le rôle d’Edith, la jeune hirondelle, fragile mais trônant sur un siège à l’ombre majestueuse et terrible.
Le spectacle en un mot nous ravit en portant sous nos yeux tous les sentiments qui traversent le vide : derrière chaque parole, l’implicite devient palpable, concrétisé par l’extrême tension d’un jeu virtuose.

Elise Blanc.

Théâtre de l’Oulle, jusqu’au 31 juillet.

La Nuit des Rois

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La jeune princesse Viola, rescapée d’un naufrage, sans nouvelles de son frère jumeau Sébastien, échoue en Illyrie. Là règne le duc Orsino, follement épris de la belle Olivia qui rejette ses avances depuis qu’elle porte le deuil de son frère. Eprise elle-même du duc, Viola se cache sous les traits d’un jeune page et devient l’intermédiaire d’Orsino auprès d’Olivia, qui ne reste pas insensible au charme du « jeune homme »…
Ce spectacle des Comédiens et Compagnie réunit tous les ingrédients de la commedia dell’arte triomphante. Jeux de masques, de cape et d’épée intermèdes musicaux, pantomime, déclamations baroques: tout est fait pour nous plonger dans le joyeux désordre de l’univers shakespearien. La technique gestuelle est parfaitement maîtrisée, pleine d’une de fraîcheur comique renforcée par des bruitages surprenants. Ces effets sonores suggèrent le décor, aidés souvent d’effets visuels tout aussi efficaces : le plateau est d’abord englouti par l’océan avant que l’on construise le palais, plante une forêt, ou dépeigne les ténèbres d’une cellule.
Et en cette nuit carnavalesque, tout est confusion : les actrices qui incarnent Viola et Sébastien, alternent les rôles indifféremment, Feste le fou (l’énergique Guillaume Collignon, acteur acrobate à l’enthousiasme communicatif) s’invite sur les genoux des spectateurs pour chanter la sérénade à sa belle, les jeux de mains, les tornioles et les baisers se succèdent à un rythme effréné que l’on a peine parfois à suivre…

Les comédiens nous entraînent dans un tourbillon fou. Pierre Audigier s’impose en Orsino de façon étonnante, à la fois royal et pétillant d’une certaine enfance. Mais c’est le savoureux trio formé par Sir Tobie (Stéphan Debruyne), Sir Andrew (Jean Hervé Appéré) et Maria qui remporte la palme du burlesque (Bérangère Mehl et sa voix malicieuse sont un vrai délice).
La compagnie continue ainsi dans sa lignée de spectacles pleins de musique et de rires. Un joyeux charivari dont on sort étourdi et ravi.

Elise Blanc.

Le Petit Louvre, salle de la Chapelle jusqu’au 31 juillet.

Des Femmes

Des Femmes texte et mise en scène de Wajdi Mouwad, d’après Les Trachiniennes, Antigone et Electre de Sophocle, traduction de Robert Davreau.

sicu35687233apx470.jpgDes Femmes était déjà, bien avant son arrivée à la Carrière de Boulbon,  au centre des controverses  artistiques et morales. La presse a traité la question; nous préférons  donc ne pas l’aborder ici. Cantat n’était pas à Avignon en personne  mais nous avons entendu ses chants et  ses récitations enregistrées, accompagnés par ses musiciens en scène et nous avons compris immédiatement les raisons du choix de  Mouawad: cette voix d’outre-tombe, sortie d’un monde archaïque,  a capté les hurlements des dieux, les pulsations de la terre, les rugissements des créatures mythiques. Et  on avait du mal à imaginer l’œuvre sans Cantat et ses musiciens !
Ils ont écrasé les comédiens et dominé la première partie:
Les Trachiniennes , qui était, en fin de compte, la partie la plus faible de l’ensemble.  Nous attendions beaucoup de Sylvie Drapeau en Déjanire, l’épouse trahie et déspérée d’ Héraclès qui tue son mari accidentellement. Sylvie Drapeau est une des grandes vedettes de la scène montréalaise mais  elle s’est révélée très décevante. Une voix chancelante, un corps mal à l’aise et un jeu qui n’était pas encore clair, le reflet d’une mise en scène qui a  profondément déstabilisé  ce premier épisode et créé  l’impression dès le départ, que le travail scénique  n’était pas encore terminé.

Beaucoup de critiques (publiées et captées au hasard des rencontres) insistaient sur le fait que Wajdi Mouawad n’a pas suffisamment exploité l’espace magique de Boulbon et ses grandes falaises qui dominent  les gradins où se tenaient les 900 spectateurs de la première. La mécanique du décor d’Emmanuel Clolus, a surtout  été conçue en fonction des théâtres européens et canadiens  qui allaient recevoir le spectacle  et il ne pouvait  adapter sa scénographie à un tel espace. Malgré la beauté évidente de Boulbon, c’est plutôt un carcan qui a dû beaucoup peser sur leur  travail et nous nous demandons pourquoi ils ont accepté d’y jouer, étant donné tous ces obstacles. Dans cette perspective, la faiblesse générale des comédiens  (à quelques exceptions près) et l’inégalité du travail de Mouawad avec eux, sont beaucoup plus graves : on déplorait ces  voix qui n’avaient ni la force ni la profondeur d’expression nécessaire pour cerner le monde tragique de Sophocle. Si Antigone a le mieux passé la rampe c’était surtout  grâce, non seulement  à la musique, et  à la voix bouleversante de Cantat , mais aussi au  jeu mûr et puissant  de Patrick Le Mauff  dont la présence  a fait vibrer la scène tout en faisant  ressortir les faiblesses des autres comédiens..  Mouawad a conçu le jeu des deux protagonistes sur deux régistres : Antigone (Charlotte Farcet) était  un être encastré  dans la terre qui bougeait comme une  statue sculptée dans une matière inflexible, un corps qui incarnait sa vision de la justice à laquelle elle  s’est  vouée  en  enterrant son frère.  L’idée était  louable mais bien au-delà des possibilités de la comédienne qui n’a pas pu s’imposer à côté de Le Mauff, dont le jeu réaliste correspondait parfaitement à celui du grand patron politique intransigeant et grand meneur du monde des mâles qui l’entoure.   Le résultat était une rencontre manquée entre deux comédiens qui n’étaient tout simplement pas des acteurs du même calibre.
Même impression dans la première partie d’
Electre. L’exposition- la longue rencontre entre Sara Llorca (Electre ) et  Anne-Marie Perron (le Coryphée) …rôle peut-être destiné à Cantat?- était le moment le plus gênant de la soirée. La monotonie des voix désarmante.   Par ailleurs, Sara Llorca avait tendance à  hurler mais, au moment du retour d’Oreste, (joué par Samuel Côté qui n’a pas toujours déçu),  la comédienne s’est alors réveillée  et s’est lancée corps et âme dans cette  merveilleuse orgie des retrouvailles.
Ici Mouawad  a capté une explosion de  joie brutale et presque incestueuse. Electre, à moitié nue,  s’agrippe au corps de son frère ,et tous  deux plongent dans  un énorme tonneau  d’eau,  éclaboussant toute la  scène. L’émotion  était  barbare, brutale, violente et terriblement bouleversante.
Quant à Antigone (Charlotte Farcet)  elle s’est aussi donné  à un moment de délire  frénétique.   Son corps,  libéré  de la parole s’exprime merveilleusement bien,  surtout  quand cette libération s’accompagne de la  musique de Cantat. La comédienne  se lancent dans un rock endiablé en mimant des hurlements muets, devant les vieux  qui croient l’avoir  réduite au silence en décrétant sa mort.  Le metteur en scène a bien cerné des pulsations de la révolte archétypale  d’une jeunesse, surtout leur  contestation violente face à une société menée par les puissants et les vieux. Déjanire est un cas à part, de par sa situation de mère et de femme mûre, mais Antigone est, elle, assoiffée  de la justice des dieux, Electre possédée  par son besoin de vengeance : voici les deux présences qui ont  interpellé  l’imaginaire de  Mouawad. Toutes les deux  se vautrent dans la terre, la boue, peut-être même des excréments,  pour souligner l’intransigeance des dieux.   Ces images sont très puissantes  mais l’émotion provoquée par cette créativité visuelle et corporelle n’est ni soutenue ni  toujours heureuse.  

Wajdi  insiste sur cette nostalgie de jeunesse en interrompant les dénouements tragiques par des moments de  fantaisie ludique  qui ne réussissent pas  toujours. Nous étions  touchés par  la folie poétique de Créon, qui croit voir le mariage d’Antigone et de son fils après leur suicide.  En revanche, l’apparition d’ Héraclès  enveloppé de pansements et ensuite en cadavre- pur kitsch- affreusement brûlé,  nous met devant un absurde  « retour de la momie ». Cette scène devrait disparaitre.  Nous sommes ballotés entre  des moments de génie  et des  moments d’ennui dans un spectacle dominé par la musique et la voix de Bertrand Cantat, par le jeu de Patrick Le Mauff , et par un projet scénique qui cherche à créer des archétypes d’un jeunesse révoltée mais où un  excès de sympathie  de Mouawad pour cette jeunesse,  semble avoir  brouillé  son jugement artistique..
La grande œuvre viendra mais elle n’y est pas encore…

 

 Alvina Ruprecht

Carrière de Boulbon puis tournée en Europe, parfois avec B. Cantat (la question est toujours en discussion)  et au Canada… mais sans B. Cantat.

 


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