Wladimir Dimitrievic
Mort accidentelle de Vladimir Dimitrievic.
Dans les environs de Clamecy dans l’Yonne, près de son dépôt de livres, Vladimir Dimitrievic, sans doute trop fatigué, seul à bord de sa camionnette, a percuté un tracteur. Il avait 77 ans et avait fondé, à Lausanne, en 1966, avec une énergie exemplaire, la maison d’édition L’Âge d’homme , et sans lui, c’est toute la littérature et le théâtres de Russie et des pays de l’Est qui nous seraient restés longtemps mal connus , voire inconnus, notamment dans la collection Classiques slaves forte de quelque 500 titres.
Yougoslave d’origine, il quitta son pays en 54 pour la Suisse où il vécut de petits boulots, mais fut tout jeune possédé par le démon de la littérature; grand lecteur, il devint assez vite éditeur, dans des conditions financière très dures; dans les années 70 , quand ils s’installa aussi à Paris , il dormait dans sa camionnette pour économiser une nuit d’hôtel puis plus tard dans le sous-sol de la rue Férou où il avait installé sa librairie et le siège de sa maison d’édition.. « Un groupe d’amis avait décidé de fonder une maison d’édition. En Suisse, à Lausanne et ouvert au monde. J’étais libraire alors et je cherchais dans les catalogues les livres que j’avais aimés dans mon adolescence belgradoise. Beaucoup y manquaient. Ces titres en puissance étaient ma contribution à ce projet à venir. Et mon lien avec les amis que je m’étais faits en Suisse, les lecteurs qui fréquentaient les librairies où je travaillais. Passionné de littérature américaine, c’est Thomas Wolfe que j’avais apporté dans mes bagages. Comme si l’exil de son Ange exilé avait été déjà inscrit dans ma vie. Et les auteurs slaves, dont le fabuleux Biély, auteurs oubliés, écartés, blasphémés, censurés… autant d’Anges bannis. Ces écrivains se mêlaient, comme maintenant, avec les auteurs suisses, ceux du passé et les contemporains. J’ai eu la chance de les côtoyer, ils sont devenus les compagnons de la maison. Nache dom (« notre maison »), disaient les dissidents et les opposants à l’Est. Mil quatre cents livres d’auteurs suisses y sont eux aussi dans leur maison, au même titre les artistes, les traducteurs, les philosophes, les poètes, les peintres venus de Russie, d’Angleterre, de Pologne, d’Amérique, de Serbie, d’Espagne, de Bulgarie, d’Italie, d’Israël, de Flandre, de Tchèquie, de Grèce ».
C’est bien en effet grâce à lui que l’on put lire de grands écrivains polonais Witkiewicz, et Reymont mais aussi les écrits de Kantor comme de Malévitch dont notre ami Gérard Conio assura l’édition. Bouleversé par la disparition de son vieiux complice, il est parti ce matin aux cérémonies d’adieu mais écrira prochainement un article sur son travail d’éditeur.
Loin de s ‘en tenir aux domaines de littérature de l’est, Dimitrievic publia aussi de nombreux écrivains germaniques comme, entre autres Dürrenmatt, suisses ( Ramuz) ou belges Hugo Claus mais aussi espagnols comme Unanumo ou américains comme Thomas Wolfe. C’est encore lui qui édita les œuvres complètes de Jules Lafforgue: au total quelque 3.000 titres! Par son ouverture d’esprit et par sa générosité, il réussit une tâche exemplaire. Le théâtre comme la littérature et les arts plastiques, grâce à son immense culture et à ses intuitions, ne serait ps ce qu’ils sont en France si vous n’aviez pas été là.
Encore merci, M. Dimitrievic pour tout ce que vous avez fait avec patience, ténacité et intelligence. La France vous doit beaucoup.
Philippe du Vignal